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      Exporter son concept de franchise : la marche à suivre

      Dernière mise à jour le 27 septembre 2023

      La franchise ouvre en principe la voie au développement international. Le choix  de la bonne formule, des pays cibles et des partenaires s’avère toutefois délicat. Quatre franchiseurs témoignent et deux experts vous conseillent.

      Le développement international ? Beaucoup de franchiseurs en rêvent. Mais peu y parviennent vraiment. Selon la Fédération française de la franchise, seuls 21% des réseaux d’origine française, soit un peu moins de 350 enseignes* comptaient, en 2017, au moins un point de vente à l’étranger. Interrogée sur le sujet, la FFF n’indique pas combien d’unités au total sont ainsi implantées, ni combien de franchiseurs regroupent, par exemple, plus de 5 ou plus de 10 unités à l’export. Impossible donc de savoir combien de réseaux nés en France développent une réelle stratégie à l’international. On peut supposer toutefois qu’ils sont  peu nombreux.

      D’ailleurs, les réussites éclatantes sont rares. Tout le monde n’aligne pas, comme les pressings 5 à sec, près de 1900 établissements dans 31 pays.

      Alors comment réussir ? Tous les concepts de franchise sont-ils exportables ? A quel moment de son développement peut-on se lancer ? Quelles régions du monde, quels pays cibler ou éviter ? Quelle(s) formule(s) choisir, entre la franchise directe, la joint venture ou la masterfranchise ? A moins que l’on ne puisse recourir tantôt à l’une, tantôt à l’autre ?  Comment sélectionner ses partenaires ? Quels objectifs de développement leur fixer ? Jusqu’où faut-il adapter le concept français aux coutumes et aux cultures locales? Que prévoir en termes juridiques et comment contrôler la duplication de votre réussite tout en respectant l’indépendance de vos partenaires ?

      Quatre franchiseurs explicitent leurs choix et deux experts vous apportent leurs réponses.

       

      *La FFF a recensé en France en 2017 au total 1976 réseaux dont 318 d’origine étrangère. Sur les 1658  d’origine française, 349 comptaient au moins un point de vente à l’international (hors Dom-Tom). Source : La franchise en chiffres, tableau 3, FFF 2018.

      Attention, dans l’enquête annuelle 2018 réalisée pour la FFF et la Banque Populaire, le taux de franchiseurs exportateurs ressort à 39 %. Mais il s’agit là du résultat d’un sondage réalisé auprès de 202 franchiseurs.

      Un dossier réalisé par Jean-Pierre Pamier

      Préalables et préparations indispensables

      Pour le consultant David Borgel, animateur de la structure spécialisée Franchise World Link, la réussite d’un franchiseur à l’international est une question de préparation. Avec un double préalable : fédérer déjà « au moins une trentaine de franchisés en France et connaître le métier de franchiseur »

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      David Borgel, animateur de la structure spécialisée Franchise World Link

      Ensuite, il ne faut pas souhaiter seulement  « planter un drapeau , mais se doter d’un véritable plan de développement et se donner les moyens de le réaliser ». C’est à dire ne pas se borner à « envoyer le membre de la direction qui parle anglais humer l’atmosphère » . Et dénicher dans chaque pays visé « un véritable  correspondant : expert, fédération, etc., afin de bien évaluer le marché et vérifier que l’on pourra être, à la fois, compétitif et rentable ». Parfois les droits de douanes, les taxes à payer, les coûts locatifs ou les taux de fréquentation réels ne le permettent pas. Et seul un intervenant « local » peut vraiment le savoir.

      Si cette étude préalable est favorable, le consultant conseille de « déposer très vite la marque et le nom de domaine. Et, comme en France, d’opter pour la stratégie de l’escargot » : le mieux est de « commencer par les pays limitrophes, Belgique, Luxembourg, etc., pour des questions évidentes de langue et de distance, « puis de viser les pays d’Afrique francophone ou d’Asie où le tampon « made in France » fonctionne bien, notamment dans l’alimentaire et la restauration« .

      « Un investisseur local, qui connaît bien le pays est indispensable »

      Attention, même si, pour David Borgel, « tout concept est exportable à partir du moment où on trouve un investisseur », mieux vaut « éviter, par exemple, de vouloir implanter des salles de sport en Allemagne ou de la restauration rapide en Angleterre, des secteurs qui y sont déjà saturés ». 

      « Le plus dur ensuite c’est de trouver un partenaire ». Car pour l’expert, « un investisseur local qui connait bien le pays est indispensable ».

      Le consultant préconise pour cela le recours à la masterfranchise, formule où un entrepreneur formé au concept s’acquitte d’un droit d’entrée et de redevances et peut recruter lui-même des franchisés. Mais d’autres formules existent, que certains franchiseurs déjà matures en France préfèrent utiliser.

      Opter pour la franchise directe ?

       Parmi les franchiseurs français déjà bien présents à l’international, certains ont choisi de se développer plutôt en franchise directe.

      C’est le cas du groupe Gautier, fabricant de meubles qui développe l’enseigne du même nom  et revendique 120 magasins dans le monde, dont 50 hors de l’hexagone. Du Canada à la Corée du Sud ou à l’Ukraine et l’Ouzbékistan en passant par l’Algérie et l’Arabie Saoudite, il compte des franchisés au total dans 35 pays.

      Gautier-Montreal
      Magasin de meubles Gautier à Montréal, au Canada.

      Son choix : signer de simples contrats de franchise « avec exclusivité territoriale ». Car, selon son directeur général, David Soulard,  « la masterfranchise crée des niveaux intermédiaires coûteux : le masterfranchisé  prenant au passage sa marge, le produit devient inabordable sur le marché local ».

      L’expérience du groupe lui a aussi appris, explique-t-il, qu’il valait mieux « rechercher un partenaire par grande ville plutôt que pour tout un pays ». La franchise directe permet en effet de signer à chaque fois « avec un entrepreneur qui connait très bien le marché local, notamment pour l’implantation exacte du magasin. Si vous ne vivez pas à Séoul, vous ne savez pas où vous installer », fait valoir David Soulard. Et mieux vaut selon lui travailler « avec un partenaire différent pour Dehli, Bombay ou Bangalore qu’avec un seul pour tout le sous-continent indien ».

      « Nous ne comptons que sur nous-même pour transmettre nos valeurs »

      Bureau-Vallee-Espagne
      L’un des magasins du réseau Bureau Vallée en Espagne.

      Même choix en faveur de la franchise directe pour Bureau Vallée, distributeur de bureautique qui revendique quelques 300 magasins dont 50 à l’international. Mais d’autres raisons sont invoquées : « Nous préférons une présence directe pour la qualité de la performance et l’adaptation nécessaire aux marchés,  explique Bruno Peyroles. Et nous avons choisi de ne compter que sur nous-même pour être assurés de transmettre nos valeurs », ajoute le Pdg-fondateur.

      Le réseau s’est implanté notamment en Espagne où il a ouvert son premier magasin en propre en 2008, « après avoir beaucoup adapté le concept », puis son premier franchisé en 2013 et où il vient d’ouvrir sa vingtième unité. Basée à Barcelone, la directrice pour l’Espagne avance un objectif de 50 points de vente « d’ici trois ans », essentiellement avec des franchisés.

      Bureau Vallée se développe aussi en Afrique (Cameroun, Canaries, Tunisie…) et conclut des pactes d’actionnaires avec de « gros franchisés » dans les Dom-Tom.

      Autre option : mixer les formules

      Directeur général de La Boucherie Restaurant, Christophe Mauxion reconnaît s’être, jusqu’ici, développé à l’international « par opportunités ». Mais il a décidé désormais de « cibler des pays avec un plus grand potentiel ». Et pour y réussir, il explique vouloir adopter une stratégie mixte, alliant franchise directe et masterfranchise.

      La chaîne, qui compte 142 restaurants dont une quinzaine hors de l’Hexagone, vient d’ouvrir à Orlando en Floride une unité qui pourrait constituer une tête de pont pour les USA, où elle envisage de trouver plusieurs partenaires en utilisant, selon les cas, l’une ou l’autre formule.

      La-Boucherie-Orlando
      La Boucherie a ouvert à Orlando, en Floride, en novembre 2018, son premier restaurant américain

      Même démarche en Europe où l’enseigne recherche des masterfranchisés à l’Est (Pologne, Hongrie). Et des franchisés en direct en Allemagne, Espagne, Portugal, Italie, Belgique. Des pays « aussi faciles à gérer pour nous que la France : Munich ou Perpignan sont à la même distance de nos bases et mieux vaut de nos jours, par exemple, signer avec quelqu’un à Barcelone et quelqu’un d’autre à Madrid ».

      Pour cette formule, les partenaires devront avoir un profil de plurifranchisés, c’est à dire d’entrepreneurs à la tête, dans leur ville, de plusieurs établissements dans différentes enseignes de restauration. « Si nous trouvons un professionnel qui détient déjà 40 à 50 restaurants dans le bagel, la pizza, les glaces, mais qui ne veut s’associer avec nous que pour New-York, nous pourrons signer avec lui, illustre Christophe Mauxion. En Europe, comme aux USA, nous verrons selon les régions. L’idée étant d’utiliser la masterfranchise pour les plus petites et la plurifranchise (en direct) pour les plus grandes ».

      « Animer un réseau en franchise directe à l’étranger demande des moyens »

      Attention toutefois à la franchise directe, alerte le consultant David Borgel (Franchise World Link). « Déjà la gestion d’une franchise en métropole (avec les animateurs, les visites, etc.) demande des moyens et des ressources. C’est encore plus vrai à l’étranger ».

      Le spécialiste conseille « d’éventuellement ouvrir une filiale pour commencer ». Ou de « signer un simple contrat de développement ». Ou encore de « jouer la franchise régionale« . Mais ensuite il faut, selon lui, opter pour la masterfranchise.

      « Chaque pays a sa culture il faut trouver localement quelqu’un qui pourra jouer le rôle de franchiseur, c’est à dire développer, recruter, animer le réseau du pays. Bref, faire ce que le   dirigeant français fait lui-même en France ».

      Atouts et risques de la masterfranchise

      La masterfranchise, c’est le choix de Dominique Munier, directeur des enseignes en franchise du groupe Beauty Success, pour son développement international. Le groupe, qui affiche 330 parfumeries à l’enseigne et 200 instituts Esthetic Center en métropole « cherche des partenaires qui ont la capacité d’assurer le suivi et le développement du réseau dans leur pays ».

      Beauty-Success-Abidjan
      Pour son développement en Côte-d’Ivoire (ici un magasin d’Abidjan), l’enseigne Beauty Success n’a adapté son concept qu’à la marge.

      « En franchise directe, nous avons déjà la France. Hors de nos frontières, nous ne pouvons et ne voulons pas gérer le SAV, les problèmes de traduction de tous les supports de communication, etc. Il faudrait pour cela une structure spécifique lourde. Et puis nos partenaires connaissent leur pays.

      Avec la masterfranchise, nous avons un interlocuteur : il a ses obligations, nous avons les nôtres. Nous mettons des outils à sa disposition et nous avons un seul objectif en retour : le développement qu’il va pouvoir assurer (en direct ou en franchise), adapté bien sûr au potentiel de chaque pays ».

      Le groupe, qui compte 31 unités hors métropole a signé avec la CFAO, une importante société privée, un contrat de masterfranchise prévoyant 20 ouvertures sur 10 ans dans 8 pays d’Afrique de l’Ouest. Il est aussi présent à Djibouti et aligne déjà 10 unités au Maroc. En perspective : « l’Europe de l’est et l’Asie, la Chine surtout ».

      Dominique Munier n’exclut pas l’idée de rechercher plusieurs masterfranchisés pour un même pays mais seulement quand cela est nécessaire, comme en Suisse ou en Belgique où plusieurs langues et cultures cohabitent.

      Une erreur dans la sélection du masterfranchisé peut s’avérer lourde de conséquences

      Franchiseurs et experts le reconnaissent toutefois : trouver le bon masterfranchisé n’est pas facile. Il doit disposer d’une surface financière suffisante et du profil adéquat. « Il faut aussi pouvoir lui imposer un plan de développement qu’il devra respecter sous peine de se voir résilier le contrat », précise David Borgel. « Et là, les juristes jouent un rôle essentiel ». (Voir parties suivantes)

      Enfin, la masterfranchise n’est pas sans risque. « Risque de perte de temps, (on donne parfois l’exclusivité sur tout un pays et un seul point de vente y est ouvert), risques d’insatisfaction des franchisés, de détérioration de la marque, voire de se faire détourner son savoir-faire et dénaturer son concept », avertit le consultant.

      Masterfranchise : les précautions à prendre

      « Quand on « vend un pays » 100, 300 ou 500 000 €, celui qui signe le chèque n’est pas derrière le comptoir, lance David Borgel. Il faut donc bien définir comment il va recruter, former, animer le réseau ».

      « Le contrat de masterfranchise doit être rédigé sur la base du contrat de franchise français, de préférence par un cabinet d’avocats ayant des bureaux ou des connexions à l’international, indique le spécialiste. Ce document doit ensuite être relu par un avocat local (car il y a toujours des spécificités) ».

      « Le masterfranchisé doit être suffisamment contraint par son contrat pour que le franchiseur  principal  n’ait pas ensuite à tout contrôler lui-même. Le franchiseur doit avoir un droit de regard, la possibilité par exemple, d’organiser des visites, des contrôles même chez les franchisés « finaux », mais attention à l’ingérence ! Le masterfranchisé doit rester un entrepreneur indépendant ».

      Des objectifs de développement raisonnables

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      Olivier Deschamps, avocat conseil des franchiseurs (Cabinet Linkea)

      Pour Maître Olivier Deschamps (cabinet Linkea), l’important est de « trouver un équilibre entre les deux parties au contrat ». Ainsi, le plan de développement doit être suffisamment exigeant, mais il sera plus efficace si les objectifs fixés sont « acceptables et, par exemple, atteignables par le masterfranchisé un peu avant la fin de son contrat, avec en outre, dans ce cas, l’assurance d’un renouvellement ».

      Qu’il s’agisse par ailleurs de la sélection des candidats, de la validation des emplacements ou de la communication du réseau, l’expert conseille au franchiseur principal de se donner la possibilité d’être informé (voire de s’opposer) mais de laisser autant et dès que possible le masterfranchisé prendre ses responsabilités (et les assumer en cas de difficultés).

      La sortie du masterfranchisé ne doit pas entraîner la disparition du réseau 

      Et, bien sûr, le contrat de masterfranchise doit fixer ce qui se passe à la fin. En prévoyant notamment « que les franchisés recrutés par le masterfranchisé s’engagent à poursuivre leur propre contrat avec son successeur (qui pourra être un repreneur ou le franchiseur principal). En contrepartie, souligne l’avocat spécialisé depuis près de 40 ans dans le conseil aux franchiseurs, il convient de proposer au masterfranchisé un « droit de sortie » avec, pour lui, des assurances quant à la valeur de revente du réseau qu’il aura développé ».

      Jusqu’où faut-il adapter le concept ?

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      David Soulard, Directeur Général des Meubles Gautier, se refuse à adapter son concept à l’étranger

      Directeur Général des meubles Gautier, David Soulard est catégorique. Pour lui, « il ne faut pas adapter le concept. Sauf sur des questions évidentes comme les horaires. En Arabie Saoudite, par exemple, les magasins sont ouverts jusqu’à 23 h. Nous devons nous aligner. De même pour les périodes de soldes ou les questions juridiques. Mais pas davantage ». Le franchiseur préfère même écarter certaines destinations. « Nous recherchons des pays qui s’ouvrent à l’aspect stylistique. Notre mobilier est contemporain. Aux USA, par exemple, il passera pour hypermoderne. Ou il ne passera pas plutôt, vu leurs goûts hyperclassiques ». Pas question alors, de s’adapter.

      Directeur des enseignes en franchise du groupe Beauty Success, Dominique Munier va dans le même sens. « Pour ne pas compromettre l’image du réseau, il faut rester ferme sur l’adaptation du concept, qui doit être duplicable à 95 % tel quel, indique le responsable. Sinon en quoi sera-t-il différenciant ? Il y a toujours des ajustements à apporter en fonction de la réglementation locale évidemment, mais les modifications du concept ne doivent intervenir qu’à la marge ».

      Christophe Mauxion (La Boucherie Restaurant) nuance : « il faut s’adapter aux cultures locales : en Russie ou en Afrique, les consommateurs préfèrent la viande bouillie ou très cuite. Cela entraîne des modifications à bien prendre en compte dans nos formations ».

      « Les clients sont friands de gastronomie française et d’ambiance française, donc ils apprécient le décor, poursuit le dirigeant. Dans l’assiette en revanche, qu’il s’agisse des assaisonnements, de la garniture ou de la cuisson, il faut s’adapter ».

      Le franchiseur doit pouvoir s’opposer à des modifications substantielles de son concept

       Autre aspect de la question : en masterfranchise, qui décide de l’adaptation éventuelle du concept ? « A priori, si le master franchisé doit pouvoir proposer des modifications, (notamment lorsqu’il a testé le concept dans un établissement pilote), le franchiseur doit avoir le dernier mot sur l’essentiel »,  avertit Maître Olivier Deschamps (cabinet Linkea).

      « On ne peut pas tout prévoir dans le contrat. Il est toutefois recommandé de s’y autoriser un droit de veto en cas de modifications substantielles et déterminantes pour le concept  apportées par le master », conseille le spécialiste.

      Jean-Pierre Pamier