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      Les agences immobilières en franchise n’échappent pas à la loi Macron - Brève du 11 avril 2023

      Brève
      11 avril 2023

      Les agences immobilières sont-elles des commerces de détail au sens de la loi Macron du 6 août 2015 ? Les franchises du secteur doivent-elles, depuis 2016, limiter leurs clauses de non-affiliation post-contractuelles aux locaux de leurs agences ? Oui, deux fois oui, répond la cour d’appel de Paris.

      La cour d’appel de Paris s’est prononcée le 8 février 2023 dans un litige opposant une grande chaîne d’agences immobilières à un de ses ex-multifranchisés à propos d’affiliation à une enseigne concurrente immédiatement après la sortie du réseau.

      Dans cette affaire, plusieurs contrats de franchise sont signés entre les parties. Le premier en 1993 et quatre autres entre 2014 et 2017. Début 2019, le franchisé évoque avec son partenaire la possibilité de ne pas renouveler le contrat d’une de ses agences, signé en 2014.

      Le franchiseur lui signale alors que ce non-renouvellement conduirait nécessairement à la sortie anticipée de ses quatre autres agences. Ce qui se produit dans le courant de l’année.

      Fin août, le multifranchisé tombe ses cinq enseignes et s’acquitte des pénalités de départ prévues aux contrats. Aussitôt après, il rejoint un réseau concurrent.

      Le franchiseur saisit la justice pour non-respect par le franchisé de sa clause de non-affiliation post-contractuelle. Débouté en première instance par le tribunal de commerce de Paris le 21 septembre 2020, il fait appel.

      Pour la cour, les agences immobilières sont assimilables à des « magasins de commerce de détail »

      Reprise-franchiseDevant la cour, le franchiseur conteste la décision du tribunal en expliquant d’abord que les articles du code de commerce invoqués pour le débouter ne s’appliquent pas aux agences immobilières.

      Selon lui, en effet, ces articles L.341-1 et L.341-2 sur les réseaux de distribution issus de la loi Macron du 6 août 2015 ne concernent que les « magasins de commerce de détail ».

      Ce n’est pas l’avis de la cour d’appel. Constatant qu’il « n’existe pas de précision juridique sur cette notion » (effectivement présente dans le texte de loi), la cour indique que c’est à elle qu’il appartient de l’interpréter.

      Et, précisément, pour les magistrats, ces deux articles du code ont « pour objet la protection de la liberté d’exercice de l’activité commerciale (…) ». Pour eux, cela « implique que la notion de magasin de commerce de détail ne peut être interprétée en un sens restrictif, telle que la seule vente de marchandises ».

      Par ailleurs, l’article L.342-1 fait référence notamment « aux terrains et locaux » exploités. Pour la cour, « il s’ensuit qu’il ne peut être fait de distinction entre les activités de ventes de biens ou de services » dès lors que celles-ci s’exercent à partir d’un local. Ce qui est le cas des agences immobilières.

      La cour ajoute qu’en l’occurrence les documents du franchiseur parlent aussi bien de « points de vente » que « d’agences », tandis que le contrat mentionne à plusieurs reprises la qualité de « commerçant indépendant » du franchisé.

      En conséquence, les articles de la loi Macron « sont applicables aux contrats de franchise signés entre les parties. »

      Les règles différent selon que les contrats de franchise ont été signés avant ou après 2016

      Une différence doit être faite toutefois, rappellent les juges, entre les contrats de franchise qui ont été signés avant l’entrée en vigueur de la loi Macron en 2016 et celui (un seul sur les cinq concernés par ce litige) qui a été signé après, en 2017. La loi ne s’appliquant pas rétroactivement.

      La cour examine donc pour commencer les quatre contrats antérieurs à 2016.

      Elle rappelle que, si les clauses de non-affiliation peuvent être considérées comme « inhérentes à la franchise », elles doivent « rester proportionnées à l’objectif poursuivi ». C’est-à-dire permettre au franchiseur de protéger le savoir-faire qu’il transmet à son réseau et d’avoir le temps d’installer un nouveau franchisé sur la zone libérée, mais faire en sorte également que la liberté de réinstallation du franchisé sortant ne soit pas trop restreinte.

      Les clauses de non-affiliation post-contractuelles antérieures à 2016 annulées car étendues à tout un département

      Or, les juges estiment que les clauses concernées dans ce litige sont « disproportionnées par rapport aux intérêts légitimes du franchiseur » et portent « une restriction excessive à la liberté d’exercice de la profession d’agent immobilier ».

      D’abord en raison de leur étendue géographique, puisque l’interdiction de s’affilier à un réseau concurrent après la fin du contrat est imposée « dans le ou les départements dans lequel le franchisé a son agence et ses succursales éventuelles ».

      Alors que, de l’avis des juges, « une interdiction d’exercer l’activité identique dans un périmètre beaucoup plus restreint s’avérait suffisante dans le cas présent. »

      La cour rappelle que le tissu des agences immobilières est « particulièrement dense » (là où le franchisé est implanté) et ajoute que « le franchiseur ne démontre pas en quoi ce savoir-faire nécessite une protection à l’échelle du département ».

      Autre motif d’annulation : leur périmètre excessif en termes de personnes concernées

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceEn outre, la cour considère également disproportionnée l’interdiction d’affiliation faite par ces contrats « à toute personne physique ou morale ayant à un moment quelconque de l’exécution du contrat exercé des fonctions dans ou pour la société franchisée ».

      Cette interdiction est trop large, selon les juges, puisqu’elle concerne par définition « tout salarié, tout sous-traitant et tout prestataire ayant collaboré avec le franchisé, quelle que soit la nature (activité immobilière ou non) et la durée de cette collaboration, laquelle a pu cesser bien avant la fin du contrat de franchise ».

      De plus, relèvent les magistrats, la clause « impose au franchisé de se porter fort du respect de cette obligation ».

      Enfin, la clause est excessive selon la cour car elle est étendue « à tout ayant cause, à titre universel ou particulier (de la société franchisée), – y compris donc l’acquéreur du fonds de commerce – »

      C’est d’autant plus injustifié, estiment les magistrats, « qu’environ 50 % des agences immobilières en France sont exploitées en réseau, réduisant de facto de façon considérable le nombre des successeurs susceptibles d’être intéressés par l’achat du fonds ».

      Les clauses d’affiliation post-contractuelles des quatre contrats signés avant 2016 dans ce litige sont donc annulées.

      Les clauses de non-affiliation signées depuis 2016 doivent, entre autres, être limitées aux locaux du franchisé

      La cour examine ensuite le contrat signé en 2017. Les magistrats rappellent que, selon l’article L.341-2 du code de commerce, les clauses de non-affiliation (postérieures à 2016) sont « réputées non écrites », sauf si elles répondent à quatre conditions cumulatives.

      A savoir :  concerner des biens et services en concurrence avec ceux qui font l’objet du contrat, être limitées aux terrains et locaux où le franchisé exerce son activité, être indispensables à la protection du savoir-faire transmis au réseau et ne pas excéder un an après la fin du contrat.

      Or si, dans ce litige, la clause de 2017 est limitée à l’activité exercée, à une durée d’un an et aux locaux de l’agence immobilière concernée et donc, si elle est « conforme » sur ces points-là à la loi, selon les juges, la troisième des quatre conditions n’est pas respectée.

      En effet, dans ce contrat comme dans les quatre autres, l’interdiction d’affiliation étendue à toute personne ayant à un moment ou à un autre collaboré avec le franchisé et à « tout ayant cause », « n’est pas indispensable à la protection du savoir-faire du franchiseur et porte une atteinte excessive au libre exercice de l’activité du franchisé ».

      Or, l’article du code de commerce « dispose expressément que les conditions qu’il énonce sont cumulatives ».

      En conséquence, cette clause de non-affiliation post-contractuelle de 2017 est également « réputée non écrite ».

      Le jugement de première instance déboutant le franchiseur est confirmé.

       

      >Référence de la décision :

      -Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 4, 8 février 2023, n° 20/14328

       

      -A lire aussi sur le sujet :

      -L’article de Maître Marie-Pierre Bonnet-Desplan, avocat à la cour, dans la Lettre de la Distribution de mars 2023.

      Pour la spécialiste, la limitation de la validité de la clause de non-affiliation aux terrains et aux locaux d’exploitation « n’a peut-être pas de sens pour toutes les activités ». « La clientèle de certaines d’entre elles, (comme) l’agence immobilière qui diffuse largement ses offres en digital et se déplace sur les lieux de visite (…) n’est pas nécessairement attirée et liée à une localisation physique particulière. »

      A ce propos, on peut noter en effet que, si la cour d’appel n’a pas précisé, pour les contrats signés avant 2016, la taille du périmètre qui lui aurait semblé adéquat (« plus restreint » qu’un département ne veut pas dire forcément limité aux locaux), cette indication ne vaut plus pour les contrats signés postérieurement où, là, le respect de la limitation aux seuls terrains et locaux est bel et bien exigé.