Fermer
Secteurs / Activités

      Franchise participative : Carrefour gagne en cassation contre un couple de franchisés - Brève du 24 avril 2024

      Brève
      24 avril 2024

      La cour d’appel de Caen avait donné à un couple de franchisés Carrefour les moyens de modifier l’objet social de leur société, afin de pouvoir sortir du groupe au terme de leur contrat. Elle estimait que le franchiseur, présent au capital, avait commis un abus de minorité en s’opposant à ce projet. Décision annulée par la Cour de cassation.

      Cour de cassation juridique franchiseLa Cour de cassation vient, le 13 mars 2024, d’annuler un arrêt de la cour d’appel de Caen dans un litige opposant un couple de franchisés au groupe Carrefour. En cause : sa formule de franchise participative.

      Dans cette affaire, un contrat de franchise est signé en 2014 pour 7 ans. Comme c’est toujours le cas chez Carrefour, le franchiseur prend – via une filiale – une participation de 26 % au capital de la SARL des franchisés.

      De même, l’objet social de la société franchisée est limité à l’exploitation d’un supermarché sous l’une des enseignes du groupe, à l’exclusion de toute autre.

      Et les statuts de la société précisent que cet objet social ne peut être modifié qu’à la majorité des 3/4, c’est-à-dire avec 75 % des voix, là où les franchisés disposent de… 74 %.

      Les franchisés Carrefour veulent modifier l’objet social de leur société pour reprendre leur liberté à la fin de leur contrat

      Or, approchant du terme de leur contrat, les franchisés constatent « une rentabilité anormalement faible » de leur affaire, due – selon les conclusions d’un rapport d’experts-comptables – à la politique tarifaire du groupe de franchise.

      Aussi convoquent-ils le 20 décembre 2019, une assemblée générale extraordinaire d’associés de leur société avec pour objectif de modifier ses statuts et son objet social, afin de pouvoir reprendre leur liberté après le terme de leur contrat en 2021.

      De même, ils souhaitent réaménager les pouvoirs des gérants de façon à ne plus être soumis à la majorité des 75 % concernant les décisions relatives au changement d’enseigne et à l’approvisionnement.

      Le franchiseur, qui détient 26 % des parts de la société franchisée, s’y oppose et bloque la décision

      Logo du groupe CarrefourMais lors de cette assemblée générale, le représentant du franchiseur Carrefour utilise sa minorité de blocage de 26 % pour s’opposer à la volonté des associés franchisés.

      Opposition renouvelée lors d’une seconde assemblée générale extraordinaire le 13 mars 2020, après que les franchisés aient annoncé dans les délais prévus (soit un an à l’avance) qu’ils ne renouvelleraient pas leur contrat de franchise une fois celui-ci parvenu à son terme.

      Opposition confirmée encore lors de l’assemblée générale ordinaire du 12 juin 2020. D’où la naissance d’un conflit devant les tribunaux.

      La cour d’appel de Caen considère en 2022 qu’il y a, de la part de Carrefour, un abus de minorité

      Saisie, la cour d’appel de Caen estime dans son arrêt du 20 janvier 2022, qu’ il y a eu, de la part du franchiseur un « abus de minorité » au sens de l’article 1833 du code civil.

      En l’occurrence, le représentant de Carrefour a bloqué – au nom de ses seuls « intérêts égoïstes » une décision qui était « dans l’intérêt général de la société ».

      Décision qui lui était même « indispensable », puisqu’une fois le contrat de franchise dénoncé, il fallait modifier l’objet social de la société afin qu’elle puisse continuer à fonctionner.

      En conséquence, la cour décide de nommer un « mandataire ad hoc » afin que, lors de la prochaine assemblée générale de la société franchisée, il vote en lieu et place du franchiseur « dans le sens de l’intérêt général » de la société franchisée.

      Sans surprise, le groupe Carrefour se pourvoit en cassation contre cette décision.

      La Cour de cassation écarte plusieurs arguments du franchiseur, mais annule la décision de la cour d’appel de Caen sur la modification de l’objet social

      Fotolia_61530204_M© ty – FotoliaCertes, contrairement aux avocats du groupe Carrefour, la Cour de cassation affirme que « le refus d’un associé minoritaire de modifier l’objet social peut être contraire à l’intérêt général de la société ». Principe qui l’amène à publier sa décision dans son bulletin, signe de l’importance qu’elle lui accorde.

      Elle écarte par ailleurs d’autres arguments du franchiseur.

      Mais elle annule la nomination, par la cour d’appel de Caen, d’un mandataire ad hoc dans le but de modifier l’objet social de la société franchisée.

      Pour la Cour de cassation, dans cette affaire, les conditions de l’abus de minorité ne sont pas réunies.

      Pour qu’il y ait « abus de minorité », rappellent les magistrats, deux raisons cumulatives sont nécessaires. D’une part, il doit être démontré que l’attitude de l’associé minoritaire est « contraire à l’intérêt général de la société ». C’est-à-dire que, par son vote, il « interdit la réalisation d’une opération essentielle pour elle ».

      D’autre part, il doit être établi que sa position « procède de l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés ». 

      Et c’est sur ce point que la Cour de cassation s’oppose à l’arrêt d’appel.

      Celle-ci a basé sa décision sur le fait que la dénonciation des contrats de franchise et d’approvisionnement par les gérants franchisés était régulière. Or, comme elle l’a elle-même indiqué, elle impliquait la modification de l’objet social de la société franchisée.

      Mais précisément, rappelle la Cour, conformément à l’article L. 223-30 alinéa 2 du code de commerce, de telles modifications « échappent à la compétence du gérant ». La loi attribuant cette capacité « expressément aux associés ». Le texte précise même qu’ils doivent représenter « au moins les trois quarts des parts sociales ».

      Les gérants franchisés ne pouvaient pas, dans ces circonstances, dénoncer valablement leurs contrats.

      Conclusion de la Cour : en considérant que le refus du franchiseur Carrefour de modifier l’objet social de la société franchisée « ne s’expliquait que par sa volonté de préserver le système de franchise participative et ne répondait qu’à la défense de ses intérêts personnel (…), la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses constatations ».

      Les conditions de l’abus de minorité n’étant pas réunies, la Cour « remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Rouen ».

      Un revers pour les franchisés Carrefour en conflit avec leur franchiseur

      Cet arrêt n’indique pas une position nouvelle de la Cour de cassation qui fait au contraire explicitement référence à une de ses décisions datant de 1992. Mais il constitue à l’évidence un revers pour ceux des franchisés Carrefour qui aspirent à pouvoir quitter le groupe à la fin de leur contrat.

      Cette décision ne préjuge pas pour autant de celles que rendra la plus haute juridiction française dans d’autres conflits en cours au sein du même groupe. Conflits dans lesquels les premiers juges puis les magistrats de plusieurs cours d’appel ont autorisé des franchisés à modifier l’objet social de leur société à la majorité simple des associés, afin de pouvoir passer à la concurrence, cette fois dans le cadre de procédures de sauvegarde.

      >Références de la décision :

      -Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, 13 mars 2024, pourvoi n° 22-13.764

      >A lire aussi sur le sujet :

      -L’article de Yasmina Idani, docteur en droit, dans la Lettre de la distribution d’Avril 2024, pour qui « si la critique de la franchise participative sur le fondement du droit des sociétés est une impasse, il existe d’autres moyens de faire face aux abus permis par ce système. S’en saisir permettrait de responsabiliser le franchiseur sans qu’il soit nécessaire d’infléchir les règles du droit des sociétés ou d’avoir recours au droit des entreprises en difficulté. »

      -Des franchisés Carrefour en procédure de sauvegarde changent d’enseigne avec l’approbation de la justice