Après avoir requalifié un contrat de concession en contrat de franchise, la cour d’appel de Lyon l’annule pour vice du consentement du franchisé. La cour a jugé le Document d’information précontractuelle « insuffisant » et les « données estimatives » de chiffre d’affaires transmises par le franchiseur « trop optimistes ».

Dans ce litige, un contrat dit « de réseau » est signé en janvier 2015 entre un commerçant indépendant, son associée et une enseigne d’un tout autre secteur d’activité.
Objectif : développer une variante du concept de la tête de réseau lancée en 2012 alliant des services aux particuliers – qui en constituent l’essentiel – à la vente d’accessoires – c’est la nouveauté – dans une partie des locaux d’exploitation.
Malheureusement, le niveau d’activité espéré n’est pas atteint, notamment sur le volet marchandises. Et malgré ses efforts pour faire face à ses difficultés, la société du commerçant est placée en redressement judiciaire en janvier 2018 puis en liquidation en juin 2019.
En 2020, le liquidateur, le commerçant et son associée assignent l’enseigne en justice.
Ils réclament la nullité du contrat pour vice du consentement par erreur provoquée sur la rentabilité ainsi qu’une indemnisation à hauteur du passif de la société, soit 350 000 €
En février 2022, le tribunal de commerce de Lyon déboute le liquidateur et les commerçants de l’intégralité de leurs demandes.
Les juges reprennent en effet à leur compte l’argumentation de l’enseigne selon laquelle le « contrat de réseau » est un contrat de concession, qu’il est valide et qu’elle n’a commis aucune faute dans son exécution.
La cour d’appel de Lyon requalifie le contrat de concession en contrat de franchise
Sollicitée par les plaignants, la cour d’appel de Lyon infirme le jugement de première instance.
Les magistrats considèrent d’abord que le « contrat de réseau » est en réalité un contrat de franchise.
Contrat qui « se caractérise principalement par la mise à disposition des signes distinctifs du franchiseur, la transmission d’un savoir-faire et une assistance continue apportée au franchisé ».
A la différence du contrat de concession commerciale par lequel « un commerçant indépendant (le concessionnaire), se procure auprès d’un autre commerçant fabricant ou grossiste, (le concédant), des produits qu’il s’engage à commercialiser sous la marque du concédant, lequel lui confère une exclusivité géographique délimitée. »
Or, dans ce litige, selon la cour, le contrat de janvier 2015 prévoit la mise à disposition de l’adhérent, des signes distinctifs de l’enseigne. Mais aussi la transmission d’un savoir-faire et une assistance continue pendant le contrat.
Les juges relèvent que le terme de savoir-faire revient à plusieurs reprises dans le contrat et surtout qu’une formation initiale « est obligatoire » tandis que le franchisé prend l’engagement de suivre une formation continue tout au long du contrat (deux séquences par an).
Les magistrats observent également que l’assistance continue figure dans les engagements contractuels de la tête de réseau.
Pour la cour d’appel, il s’agit donc bien d’un contrat de franchise et non de concession.
Un DIP – Document d’information précontractuelle – « insuffisant » selon la cour

Certes, reconnaissent-ils, le DIP (Document d’information précontractuelle) transmis en novembre 2014 contenait une bonne partie des informations prévues par le code de commerce. Mais, concernant « l’état général et local du marché », les renseignements étaient « particulièrement succincts et indigents ».
Les précisions chiffrées sur la population de la zone de chalandise du futur franchisé étaient tirées d’une « source Insee datant de 2009 ». Des informations « pas pertinentes au vu de leur ancienneté », selon la cour.
Par ailleurs « aucune information n’était donnée sur les perspectives de développement du marché local ».
Pour les magistrats, « le DIP s’avère ainsi tout à fait insuffisant pour permettre à l’adhérent de s’engager en connaissance de cause, comme l’exige l’article L. 330-3 (du code de commerce) ».
« Une information manifestement trop optimiste quant aux perspectives de chiffre d’affaires »
« A cette insuffisance », poursuit la cour, « s’ajoute le fait que la société (franchiseur) a fourni aux candidats (…) des « données estimatives » portant (…) sur un chiffre d’affaires annuel de 1 125 000 euros ». Alors que l’établissement franchisé n’a atteint, sur ses 18 premiers mois d’exercice, que 445 000 €, subissant une perte de 118 000 € au 31 décembre 2016.
« De plus », relève l’arrêt, « après avoir validé les locaux (de 600 m²) choisis par l’adhérent dès novembre 2014 tant pour l’emplacement que pour la superficie », (le franchiseur) recommandait en octobre 2017 au franchisé de « déménager ».
Enfin, les juges citent l’analyse du mandataire judiciaire selon lequel la partie distribution de marchandises ne générait « pas de chiffre d’affaires » et que « le loyer (était donc) trop élevé car supporté par la seule activité de services » de l’établissement.
Conclusion : la société du franchiseur « n’a pas délivré à la société (franchisée) les informations exigées pour le DIP » et lui a communiqué « une information manifestement trop optimiste quant aux perspectives de chiffre d’affaires ».
« Or, ces éléments étaient déterminants du consentement de l’adhérent et portaient sur une qualité substantielle du contrat envisagé », estime la cour d’appel.
Les arguments du franchiseur n’ont pas convaincu les juges
« L’erreur ainsi commise sur la rentabilité du concept est, en outre, excusable », poursuit l’arrêt, « dès lors que (les candidats) ne justifiaient d’aucune expérience dans le (secteur d’activité concerné) ». Même s’ils animaient précédemment en boutique un commerce de proximité.
Les arguments du franchiseur expliquant que son concept étant nouveau, « il ne disposait pas du recul nécessaire, qu’il était matériellement impossible de l’expérimenter avant de le proposer aux adhérents et qu’il s’avère particulièrement rentable vu le nombre (d’établissements) actifs et leur chiffre d’affaires moyen » n’ont pas convaincus la cour.*
Pas plus que les accusations reprochant au gérant franchisé de ne « pas avoir tenu compte des recommandations qui lui ont été faites » et de s’être « désintéressé de son établissement en étant absent lors des visites ».
Le contrat de franchise est annulé et des indemnités limitées accordées aux franchisés
Le vice du consentement étant retenu par la cour, il entraîne la nullité du contrat.
« Au vu des éléments produits aux débats, et notamment du diagnostic financier ainsi que de « l’état des réponses à la consultation des créanciers » établi par le mandataire judiciaire le 4 janvier 2019 », la cour évalue le préjudice subi par la société franchisée – non à hauteur de son passif de 350 000 € comme elle le réclamait – mais à 70 000 €, que la société franchiseur se voit condamnée à verser au liquidateur judiciaire.
Par ailleurs, considérant que les franchisés « ont procédé à des apports, tant lors de la création de (leur société) qu’au cours de son existence afin de tenter de remédier aux difficultés de celle-ci », la cour condamne également le franchiseur à leur verser 30 000 € à chacun afin de compenser leur « perte de chance de récupérer leur créance d’apport en compte courant et d’avoir pu mieux investir leur argent ».
