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      Prévisionnels en franchise : quinze décisions de justice éclairantes

      Tribune publiée le 1 mars 2022 par Jean-Pierre PAMIER
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      Dans un litige sur trois, les juges ont condamné, en 2021, des franchiseurs pour avoir transmis des prévisionnels trompeurs à leurs partenaires. Dans les autres cas, le plus souvent donc, les franchisés ont été déboutés de leurs demandes de nullité du contrat.

      La question des prévisionnels continue de générer chaque année son lot de litiges entre franchiseurs et franchisés. Généralement en situation de liquidation judiciaire, les plaignants reprochent à leur ancien partenaire d’être à l’origine de leur échec. En cause : des prévisions qui les ont, selon eux, trompés quant à la rentabilité de leur projet.

      En conséquence les ex-franchisés réclament que soit prononcée la nullité de leur contrat et/ou que leur ex-franchiseur soit condamné à leur verser des dommages et intérêts en compensation du préjudice subi. Il est rare qu’ils soient entendus.

      Trois arrêts de cassation sanctionnent des prévisionnels trompeurs

      Cour de cassation juridique franchiseCette année 2021 a vu toutefois la Cour de cassation rendre au moins à trois reprises, une décision favorable aux franchisés concernés.

      Elle a ainsi confirmé, le 1er décembre 2021, la condamnation d’un franchiseur, prononcée par la cour d’appel de Paris en 2018, entre autres pour des « prévisionnels erronés ». Le franchiseur avait remis à son futur partenaire « un compte prévisionnel pour les trois premières années d’exploitation dont les données se sont révélées grossièrement irréalistes et dont l’écart avec les chiffres d’affaires réalisés dépassait la marge d’erreur inhérente à toutes données de nature prévisionnelle, tandis qu’il (n’était) reproché aucune faute de gestion au franchisé. »

      La plus haute juridiction française a par ailleurs cassé le 12 mai 2021 un arrêt de 2019 de la même cour d’appel de Paris favorable à un franchiseur. Les magistrats de cassation ont notamment relevé que si les chiffres d’affaires prévisionnels transmis par le dirigeant de l’enseigne pouvaient sembler en rapport avec la réalité du réseau, en revanche, les résultats d’exploitation du franchisé avaient été « inférieurs dans une proportion très importante aux résultats prévisionnels »

      De plus, « la quasi-totalité des franchisés cités (…) implantés dans des villes de tailles diverses, avaient eu, à l’exception de (la capitale régionale) peu comparable, des résultats  faiblement positifs, négatifs, voire lourdement négatifs pour les années considérées malgré des chiffres d’affaires parfois largement supérieurs, ce qui privait de tout caractère sérieux les prévisions communiquées par le franchiseur au franchisé et était, par conséquent, de nature à induire celui-ci en erreur sur la rentabilité du magasin concerné. »

      Précédemment, la Cour avait confirmé par un arrêt du 10 février 2021 la condamnation d’un franchiseur à plus de 300 000 € de dommages et intérêts en raison de prévisions trop optimistes. Un écart de 34 % avec la réalité, sur une activité que le franchisé découvrait complètement, ayant compromis la rentabilité de l’opération.

      Pour la Cour c’était bien « sur la base de données communiquées par le franchiseur que l’expert-comptable du franchisé (avait) établi ses prévisions d’exploitation ». Elle relevait ensuite que « les chiffres communiqués ainsi étaient nettement surévalués, dans des proportions telles que le franchisé était dans l’impossibilité de réaliser le modèle économique défini par le franchiseur ». La société franchisée « n’avait pas les moyens de contrôler ces informations, (en raison de son manque d’expérience dans l’activité), et ce d’autant plus qu’elles émanaient (…) d’un des plus grands groupes du secteur. »

      Conséquence : « vu l’ampleur de la tromperie », la Cour de cassation estimait que le franchisé avait perdu toutes ses chances de ne pas signer le contrat. Elle approuvait donc la cour d’appel de Toulouse d’avoir, dans son arrêt de septembre 2018, condamné le franchiseur aux dommages et intérêts correspondant à la dette de caution du franchisé et à son compte courant d’associé perdu.  A noter : le franchisé n’avait pas demandé la nullité de son contrat.

      Deux arrêts d’appel pointent le manque de sérieux des prévisionnels transmis

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceDeux autres décisions – d’appel celles-là – ont été en 2021, favorables en totalité ou en partie aux franchisés en matière de prévisionnels.

      Le 26 mars, la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion a annulé le contrat d’un franchisé. Le prévisionnel qui lui avait été transmis par le masterfranchisé faisait état d’un chiffre d’affaires annuel de plus de 1,1 million d’euros et d’un résultat d’exploitation de 350 000 alors qu’en réalité le premier exercice du franchisé s’est soldé par un CA de 756 000 € et un résultat d’exploitation négatif de -117 000 €.

      Pour les magistrats, ce prévisionnel qui « ne mentionnait nullement les données auxquelles il (avait) pu se référer pour être établi (…) ne présentait pas les caractères sérieux et sincère requis (par la loi) ». Pour eux, il y a eu « vice du consentement » du franchisé. Le masterfranchisé a été condamné à rembourser à la société de son ex-franchisé 50 000 € au titre des droits d’entrée et 63 000 € au titre des redevances acquittées. Plus 10 000 € au titre du préjudice moral.

      A peu près au même moment, le 9 mars 2021, la cour d’appel de Rennes a accordé 10 000 € à l’ex-adhérente d’un groupement d’achats et 80 000 € au liquidateur de sa société pour une faute commise par la tête de réseau. Alors que l’exploitante n’a réalisé que 155 000 € de chiffre d’affaires sur son premier exercice, le prévisionnel transmis par l’enseigne en indiquait 500 000 (l’état local de marché parlait même de 2 millions). Un manque de sérieux flagrant d’autant que « la très grande majorité des points de vente à l’enseigne (avait) réalisé (dans la même période) des chiffres d’affaires très inférieurs. » L’écart était tel entre les prévisions et la réalité que la rentabilité était impossible pour la partenaire, ont estimé les magistrats.

      Attention, cependant : la cour n’a pas accordé la nullité du contrat à la plaignante. Parce qu’elle n’a fait procéder à aucune étude » de faisabilité de son projet et s’est « contentée des données transmises » par l’enseigne. « Il n’est même pas certain, ajoutait l’arrêt, qu’en étant informée de l’absence de sérieux des prévisions reçues, voire du caractère improbable du chiffre d’affaires annoncé, elle aurait renoncé à souscrire le contrat en cause. »

      La nullité du contrat de franchise, toujours difficile à obtenir

      Ces quelques arrêts favorables aux franchisés ne doivent pas faire oublier que la nullité du contrat est loin d’être accordée automatiquement par la justice, même quand le franchisé a le sentiment, voire la certitude, d’avoir été trompé par des prévisions gonflées.

      Il faut vraiment que les prévisionnels aient été élaborés et transmis par le franchiseur lui-même, que l’écart entre les prévisions et la réalité soit conséquent, que le franchisé soit néophyte dans l’activité et n’ait pas eu la possibilité de corriger le tir par lui-même, enfin qu’il n’ait pas commis d’erreur de gestion.

      Il est donc en fait le plus souvent compliqué d’obtenir cette fameuse annulation du contrat et les indemnités qu’elle peut entraîner, comme le met bien en évidence la dizaine d’autres décisions d’appel de cette année 2021 sur le sujet, déboutant les franchisés de leurs demandes.

      Le franchiseur a-t-il établi et communiqué lui-même les données litigieuses ?

      Ainsi, le 16 décembre 2021, la cour d’appel de Douai a refusé d’annuler un contrat de franchise et d’accorder au franchisé les dommages et intérêts qu’il réclamait pour cause de prévisionnel trompeur. Au lieu de 220 000 puis 226 000 € de CA, il n’avait atteint que 130 000 et 170 000 €. Et estimait avoir été trompé sur la rentabilité de son projet.

      Pour justifier sa décision, la cour d’appel s’est basée sur une décision de la Cour de cassation en date du 24 juin 2020, selon laquelle « L’erreur sur la rentabilité d’une franchise ne peut conduire à la nullité du contrat pour vice du consentement du franchisé si elle ne procède pas de données établies et communiquées par le franchiseur ».

      Or dans ce litige, selon les juges, « la société du franchiseur n’est pas l’auteur des comptes prévisionnels »... Puisqu’ils ont été réalisés par un cabinet d’expertise-comptable « mandaté par le franchisé ». Peu importe que ce cabinet ait été recommandé par le franchiseur. Peu importe que le franchiseur ait transmis à l’expert-comptable des éléments pour lui permettre d’établir le prévisionnel. Car, aux yeux de la cour, la nature exacte de ces informations n’est « pas précisée ».

      Dans une démarche similaire, la cour d’appel de Paris avait débouté le 14 octobre 2021 deux concessionnaires qui estimaient avoir été induits en erreur sur la rentabilité de leur magasin.« Il n’est nullement établi », indiquait l’arrêt, que le compte prévisionnel a été élaboré par la société concédante. Ce sont les concessionnaires eux-mêmes qui ont validé ces comptes mis au point par l’expert-comptable.

      En outre, le délai de 11 mois qui s’est écoulé entre la première rencontre et la signature du contrat était « largement suffisant pour que les concessionnaires analysent et complètent les informations transmises par le concédant. »

      Les prévisionnels ont-ils été transmis avant ou après le contrat ?

      Conseils-DevenirFranchise-BusinessPlanCe facteur « délais » a toute son importance. Dans un arrêt du 16 décembre 2021, la cour d’appel de Montpellier a écarté l’accusation de tromperie sur la rentabilité parce que le prévisionnel établi par le franchiseur avait été transmis onze mois après la signature du contrat, pendant les travaux de construction du restaurant. Pas possible pour le franchiseur d’avoir dans ces conditions vicié le consentement du franchisé, relèvent les juges. Donc pas de nullité.

      La cour d’appel de Paris a également refusé, par un arrêt du 19 mai 2021, d’annuler le contrat d’un ex-franchisé signé en novembre 2010. Motif : les informations transmises dans le DIP en avril 2009 pour l’ouverture d’un emplacement de 50 m² dans un centre commercial ont semblé correctes aux magistrats. Et peu importe que, pour des raisons indépendantes de sa volonté, le franchisé n’ait pu ouvrir qu’à la fin de 2011 un emplacement de 100 m² dans le même centre en s’appuyant sur les données de 2009 qui concernaient une surface deux fois plus petite. Le franchisé « ne peut pas prétendre qu’il y a eu vice du consentement avec des prévisions élaborées un an après la signature du contrat », ont écrit les juges…

      Et que se passe-t-il si la société d’étude de marché s’est trompée ?

      La question de savoir qui est responsable d’une éventuelle tromperie sur la rentabilité se pose aussi quand intervient par exemple une société spécialisée dans les études de marché. C’est le problème qui a été soumis à la cour d’appel de Pau et qu’elle a tranché par une décision du 22 juillet 2021 défavorable au franchisé concerné.

      Dans ce litige, une société spécialisée avait délivré au franchisé un « Avis sur site » présenté comme une « pré-étude de marché ». En conclusion, la société prévoyait un chiffre d’affaires potentiel compris entre 1,6 et 1,9 million d’euros par an. Le contrat était signé sur cette base mais le premier exercice se soldait à 30 % en-dessous de la prévision. En liquidation judiciaire, le franchisé estimait par la suite que son échec était dû à la société d’étude de marché qui lui avait transmis des prévisions « impossibles à atteindre » et aussi au franchiseur qui lui avait conseillé de s’adresser à elle.

      Non, dit la cour d’appel et ce pour plusieurs raisons. D’abord, il n’y a pas de lien juridique entre la société d’étude de marché et le franchiseur, même si plusieurs franchisés du réseau y ont eu recours. Ensuite, il ne faut pas confondre un simple « Avis sur site » avec un compte prévisionnel détaillé qu’il appartenait au franchisé de réaliser, comme le franchiseur l’en avait informé. Par ailleurs, rien n’établit que les chiffres prévisionnels ne pouvaient pas être atteints. Enfin, le document transmis par la société d’étude de marché précisait clairement ne pas engager la responsabilité du franchiseur. Il indiquait en outre que ses hypothèses ne seraient vérifiables qu’après deux années d’exploitation. Or, le contrat a été résilié par le franchisé avant ce terme. Conclusion de la cour d’appel : ni la société d’étude de marché ni le franchiseur ne peuvent être, dans ce litige, accusés de tromperie sur la rentabilité.

      Des prévisionnels trop optimistes ne suffisent pas forcément pour annuler un contrat

      Parfois, même quand la cour d’appel reconnaît le caractère exagérément optimiste du prévisionnel transmis par le franchiseur, la nullité du contrat est refusée au franchisé.

      Le 20 janvier 2021, la cour d’appel de Paris a ainsi considéré qu’il n’y avait pas eu vice du consentement car, vu la connaissance que le franchisé avait de la profession et du marché local,  il était en mesure de « relativiser au moins en partie les exagérations du franchiseur ». En outre, il « savait bien que le prévisionnel fourni (par celui-ci) n’avait pas valeur contractuelle ».

      Le même jour, la même cour de Paris déboutait également une franchisée (malgré un écart de près de 50 % entre le CA prévu et la réalité) car « si les prévisionnels repris dans le DIP se sont révélés bien trop optimistes, le franchiseur avait précisé qu’ils avaient été construits sur la base des chiffres observés dans son réseau et qu’ils devaient être personnalisés ».

      Quant à la cour d’appel de Rennes, elle a estimé dans un arrêt du 2 février 2021 qu’il n’y avait pas eu tromperie, bien que le chiffre d’affaires prévisionnel ait été apparemment trop optimiste.

      Le franchisé reprochait à son ancien partenaire, débutant en franchise, de lui avoir transmis des chiffres d’affaires récents d’unités en propre déjà matures alors que seuls les comptes de la première année d’ouverture de ces points de vente lui aurait permis de mesurer exactement le potentiel de son affaire lors de son lancement.

      Au contraire, pour la cour, il n’y a « pas eu de dissimulation » puisque les comptes annexés au DIP indiquaient des niveaux de CA « très inférieurs pour deux des huit » points de vente en propre.  « Le DIP n’exonère pas le candidat franchisé d’établir son propre dossier prévisionnel », ont commenté les magistrats.

      La mauvais santé du réseau doit être flagrante pour espérer influencer les juges

      Enfin, la mauvaise santé du réseau est rarement prise en compte par les juges. Le 16 avril 2021, la cour d’appel de Rouen a ainsi débouté un franchisé qui réclamait la nullité de son contrat pour tromperie sur la rentabilité. Le plaignant soutenait qu’il ne se serait pas engagé s’il avait su que le franchiseur venait de fermer son unité pilote et s’il avait su également qu’il lui faudrait deux ans pour atteindre le CA prévu pour sa première année d’activité. Les fermetures de plusieurs établissements franchisés survenues postérieurement à sa signature du contrat confirmaient selon lui « le caractère non pérenne des magasins ouverts sur les bases des chiffres prévisionnels donnés par le franchiseur. »

      La cour rappelle d’abord que le franchiseur n’avait pas l’obligation légale d’avertir le candidat franchisé de la fermeture prochaine de son unité pilote. Elle affirme ensuite qu’il n’est pas établi que cette fermeture ait résulté de difficultés financières. Pour elle, le caractère irréaliste des prévisionnels transmis n’est pas prouvé. D’ailleurs le franchiseur a pu communiquer des chiffres montrant que « plusieurs franchisés avaient atteint voire dépassé les CA prévus. » Enfin, la fermeture de deux franchisés postérieure à la signature du contrat, « sans que soit établi un quelconque défaut de leur rentabilité ni la prévisibilité de cette fermeture, est insuffisant à démontrer le caractère erroné ou irréaliste des comptes prévisionnels. »

      La cour s’appuie même sur un article de presse faisant état de « la progression importante du chiffre d’affaires du franchiseur, de l’augmentation du nombre de ses franchisés et de son déploiement à l’international » Difficile dans ces conditions pour le franchisé de prouver qu’il a été induit en erreur.

      Prévisionnels : les candidats à la franchise doivent se montrer vigilants

      Les candidats à la franchise doivent le savoir : les franchiseurs ne sont nullement tenus légalement de leur transmettre des prévisionnels. Quand ils le font, ces documents doivent être sérieux et sincères nous dit la jurisprudence. Mais, on l’aura compris, l’insincérité de l’ex-partenaire est bien difficile à démontrer devant les tribunaux.

      Dans la pratique, peu de franchiseurs se risquent à de telles transmissions directes. Beaucoup se bornent à fournir des éléments, par exemple à la société d’étude de marché spécialisée et/ou à l’expert-comptable auxquels ils vous adressent afin de vous aider à réaliser vous-mêmes votre prévisionnel. D’autres vous le transmettent, mais après la signature du contrat, ce qui ne peut pas vous permettre ensuite d’invoquer un vice du consentement.

      Dans tous les cas, vous avez intérêt à prendre avec prudence les chiffres évoqués (souvent oralement) lors des entretiens préparatoires à votre signature du contrat et à vérifier très sérieusement vous-même la conformité des prévisions que l’on vous donne avec les résultats réalisés sur le terrain par les franchisés du réseau que vous envisagez de rejoindre.

      La jurisprudence 2021 en matière de prévisionnels confirme une fois de plus la nécessité de cette vigilance, que les experts de la franchise conseillent depuis déjà de nombreuses années.

      Références des décisions citées :

      >Cour de cassation

      -Cass com 01 12 21 n° de pourvoi 18-26572 ; Cass com 12 05 21, n° G 19-17.701 ; Cass com 10 02 21,  n° 18-25.474.

      Et aussi : Cour de cassation, civile, chambre commerciale, 24 juin 2020, 18-15.249

      >Cours d’appel

      -Paris : 20 01 21, RG n° 19/03382 ;  20 01 21, n° 18/06609 ; 19 05 21, n° 16/16055 ; 14 10 21, n° 17/10801

      -Douai : 16 12 21, n°18/04260

      -Montpellier : 16 12 21, n°16/08865, 17/00837 et 17/00650

      -Pau : 22 07 21, n° 18/03703

      -Rennes : 09 03 21, n°17/04874 ; 02 02 21, n° 18/01809

      -Rouen : 15 04 21, n° 19/02774

      -St-Denis de la Réunion : 26 03 21, n° 17/02040