Les franchisés Carrefour ne peuvent pas rester
enfermés 99 ans dans le groupe !
Le 4 novembre 2025, la cour d’appel de Rennes a annulé la procédure de sauvegarde d’un franchisé Carrefour. Les magistrats ont estimé que sa société ne rencontrait pas de « difficultés insurmontables », caractérisation nécessaire pour bénéficier de ce type de procédure. Certains observateurs ont vu dans cet arrêt un signal adressé aux autres franchisés Carrefour en rupture avec le groupe, dans le but de les dissuader d’utiliser cette solution judiciaire pour quitter le réseau. Cet arrêt ne va-t-il pas en effet en décourager certains ?
L’accent est mis aujourd’hui par une partie de la presse sur cet arrêt et sur celui de la cour d’appel de Rouen du 23 octobre pour en tirer des conclusions erronées.
Je rappelle que si ces deux décisions semblent – par une lecture tronquée et partiale du groupe Carrefour – négatives pour les franchisés en litige, elles viennent après plusieurs dizaines d’autres prononcées en sens inverse, qui ont validé le caractère insurmontable des difficultés subies par beaucoup de franchisés.
De nombreux tribunaux, cours d’appel et la Cour de cassation ont pu statuer depuis six ans sur « la dépendance économique » des exploitants à l’égard du groupe, « les conditions tarifaires prohibitives » imposées par Carrefour, qui n’hésite pas à prendre « en otage » ses franchisés (selon les propres termes des juridictions et procureurs de la République).
Et les procédures de sauvegarde validées ont permis en effet aux franchisés concernés de surmonter l’ensemble de leurs difficultés et notamment de pouvoir s’extraire de la franchise participative Carrefour qui les enferme au sein du réseau pendant 99 ans !
La décision de la cour d’appel de Rennes est contestable et contestée. Dans ce litige, la même cour a rendu le 18 mars 2025 un premier arrêt qui donnait raison au franchisé dans des termes opposés à celui du 4 novembre 2025.
Cette dernière décision nous semble contraire à la jurisprudence et aux textes légaux qui ne limitent pas la démonstration des difficultés d’un exploitant au volet économique et financier.
« Une procédure de sauvegarde peut être ouverte si l’on rencontre des difficultés que l’on ne peut pas surmonter seul, quelle qu’en soit la cause »
Mais précisément, en quoi les difficultés de votre client étaient-elles « insurmontables » ? Quand on voit son chiffre d’affaires stable, ses fonds propres constants et sa rémunération de 125 000 € en 2023, cités par la cour d’appel, y avait-il vraiment péril en la demeure ?
Trois ans avant la fin de ses contrats, le franchisé a annoncé qu’il ne les renouvellerait pas du fait de ses nombreuses difficultés d’exploitation, inhérentes aux inexécutions contractuelles du groupe franchiseur.
Durant la période antérieure à cette résiliation, ni la filiale de Carrefour en charge de la franchise ni celle qui est présente au capital en tant qu’associée minoritaire ne sont venues proposer la moindre solution.
Même le changement du système frigorifique nécessaire à l’exploitation ne peut être mis en œuvre du fait du refus de Carrefour, ce qui pose de réelles difficultés dans la gestion quotidienne du point de vente.
Et depuis la dénonciation des contrats, Carrefour refuse toutes les décisions stratégiques que le gérant propose afin de lui permettre de redresser la barre et de retrouver de la rentabilité.
Toute solution alternative dans ce but (solliciter un fournisseur proposant des prix d’achat 20 % moins élevés par exemple) est systématiquement refusée par l’associé minoritaire de sorte que la société exploitante se trouve dans une situation de blocage perpétuelle.
Je rappelle que, concernant l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, les articles du Code de commerce ainsi que la jurisprudence sont extrêmement clairs. Une procédure de ce type peut être ouverte quelle que soit la nature des difficultés rencontrées, qu’elles soient d’ordre économique, financier, social ou juridique et même s’il s’agit de difficultés avec son franchiseur, ou ses associés, dès lors qu’elles ne peuvent être surmontées par le franchisé seul.
J’ajoute que – toujours de jurisprudence constante – les motivations du débiteur n’ont pas à être prises en compte, quel que soit l’effet d’aubaine que pourrait lui procurer la sauvegarde.
Dans les dossiers Carrefour, comme je vous le disais, de nombreuses décisions ont été prises en ce sens par les tribunaux de Lyon, Lille, Amiens, Chambéry, Caen, toutes confirmées par la suite en appel et en cours de cassation pour celles qui sont arrivées jusque-là.
La décision de la cour d’appel de Rennes n’est pas un coup d’arrêt à cette série. C’est un arrêt isolé, contraire à ceux rendus dans de nombreux cas similaires.
Malheureusement, la situation de la société franchisée – la société Breizh Distri – est si préoccupante que la future décision de la Cour de cassation dans 12 ou 24 mois risque d’arriver trop tard, ce qui pourrait provoquer un drame pour elle.
« La rentabilité est l’un des principaux problèmes des franchisés de proximité chez Carrefour »
Dans un entretien paru en avril dernier dans LSA, le directeur exécutif de Carrefour France, Alexandre de Palmas, opposait « la très bonne santé du réseau de franchise aux récriminations d’une minorité ». Les franchisés de proximité Carrefour sont-ils nombreux à rencontrer de graves problèmes de rentabilité ?
Oui. J’interviens presque uniquement aux côtés de franchiseurs. Les seuls franchisés que je défends sont les franchisés Carrefour et j’en compte plus d’une centaine. J’assiste également l’Association des Franchisés Carrefour qui regroupe aujourd’hui près de 400 adhérents. Toutes ces personnes connaissent des problématiques communes.
La rentabilité est l’un des principaux problèmes rencontrés au sein des réseaux Carrefour. Le groupe met en avant les chiffres d’affaires des franchisés. Mais cela ne veut rien dire, ce qui compte réellement, c’est la marge et le bénéfice généré par les exploitants.
A titre d’exemple, sur 5 millions de chiffre d’affaires la majorité est en réalité engagée pour les achats de marchandises auprès du fournisseur Carrefour, laissant peu ou pas de résultat après règlement des charges sociales et autres charges fixes et variables.
En réalité, le résultat net généré par les franchisés se situe nettement en dessous de la concurrence.
Le partenariat gagnant-gagnant n’est pas au rendez-vous.
Dans le cas de votre client franchisé débouté par le tribunal de commerce de Lyon le 22 octobre, sa rémunération était quand même très importante en 2022…
Ce litige l’oppose au groupe Carrefour depuis 7 ans, depuis qu’il a lui aussi dénoncé ses contrats.
Ces bons revenus – très au-dessus en effet de la moyenne des franchisés de la branche Carrefour Proximité en 2022 – s’expliquent uniquement par le fait qu’il a changé de fournisseur, ce qui lui a enfin permis de dégager de la rentabilité.
A défaut, il aurait toujours une rémunération désastreuse… D’où le conflit avec le groupe Carrefour. Je rappelle que ce franchisé, comme pléthore d’autres sous approvisionnement avec le fournisseur CSF (entité Carrefour), ne se dégageait autrefois qu’une rentabilité médiocre. A l’époque, il ne pouvait se rémunérer correctement et se versait un salaire très, voire trop faible pour son investissement au sein du magasin. L’évolution de son revenu est en réalité corrélative avec la performance de sa société qui a connu une évolution exponentielle de sa marge et son résultat depuis le changement de sa source d’approvisionnement. Ce qui démontre le caractère abusif des prix d’achats pratiqués par le fournisseur CSF.
Ceci étant, Carrefour revendique près de 5 000 magasins en franchise ou en location-gérance dans sa branche proximité…

Ces chiffres sont révélateurs du nombre de franchisés qui se trouvent soit dans des situations de blocage, soit dans des situations précaires. Il est important de souligner que cette enquête a duré cinq années et ce n’est qu’à l’issue de cette période et après avoir récolté les preuves nécessaires que les services du Ministre ont sollicité 200 millions d’euros d’amende civile devant le tribunal de commerce de Rennes.
Par ailleurs, je conseille également plus de 40 franchisés du réseau Promocash (qui compte 150 points de vente). En plus des problématiques identiques à celles des franchisés Carrefour, le franchiseur s’est engagé à leur reverser des ristournes. Or, en violation du contrat de franchise, les franchisés Promocash ne peuvent aucunement vérifier la réalité des montants reversés.
Le tribunal de commerce de Caen s’est prononcé sur ce point en faveur des franchisés dans le cadre d’une décision du 17 juillet 2025 en condamnant l’entité filiale du Groupe Carrefour, la société Genedis, à communiquer sous astreinte de 1 000 euros par jour et par société les accords commerciaux afin de permettre la vérification des sommes retenues (ou non) par Carrefour au détriment de ses franchisés Promocash.
Ainsi, au sein des différents réseaux, de nombreux exploitants constituant ensemble un nombre significatif, se soulèvent contre le modèle captif et non-viable économiquement du groupe. Ces derniers revendiquent principalement un meilleur équilibre des conditions contractuelles ainsi qu’une meilleure répartition des richesses générées par les sociétés franchisées.
« Le franchisé doit pouvoir changer d’enseigne à la fin de son contrat s’il prouve qu’il a trouvé mieux ailleurs pour sa société »
Le 23 octobre 2025, un couple de franchisés Carrefour Contact passé à la concurrence a été désapprouvé par la cour d’appel de Rouen, sur saisine de la Cour de cassation. Le 13 mars 2024, la plus haute juridiction française avait en effet considéré que Carrefour, présent au capital de la société franchisée, n’avait pas commis d’abus de minorité en votant contre leur volonté de quitter le réseau. Ces arrêts ne mettent-ils pas fin à la piste de l’abus de minorité pour sortir du groupe Carrefour ? Ne valident-ils pas son système de franchise participative ?
C’est l’inverse. Dans son arrêt du 13 mars 2024, la Cour de cassation reproche simplement à la cour d’appel de Caen dont elle a cassé la décision de ne pas avoir tiré toutes les conséquences de son dispositif.
En effet, la Cour de cassation rappelle à titre préliminaire que le refus des associés minoritaires de modifier l’objet social à l’issue du contrat de franchise est susceptible de constituer un abus de minorité. La mise en œuvre de son fondement est donc toujours possible.
Il n’y a là nulle validation du modèle de franchise participative Carrefour.
Quant à la cour d’appel de Rouen, elle ne le légitime pas davantage. Elle donne simplement un modus operandi.
Aucune stipulation des statuts, rappelons-le, n’interdit au gérant de résilier le contrat de franchise.
La cour indique ici que la dénonciation de ce contrat, lorsqu’elle est susceptible d’entraîner un changement d’enseigne, doit, selon elle, faire l’objet de l’accord des associés en assemblée générale.
Si Carrefour accepte la dénonciation et la modification des statuts afin de supprimer la clause d’enseigne (ce qu’il ne fait jamais), le contrat peut faire l’objet d’une résiliation. S’il s’y oppose (ce qu’il fait systématiquement), ce refus est susceptible de caractériser un abus de minorité.
C’est un simple arrêt procédural.
Si le franchisé prouve que le modèle économique qu’il a trouvé pour sa société est meilleur, il doit pouvoir changer d’enseigne à l’issue de son contrat de franchise. Il doit d’ailleurs pouvoir le faire aussi en cours de contrat en cas de faute du franchiseur et/ou fournisseur et/ou associé comme en cas de manquement au partenariat gagnant-gagnant.
En tout état de cause, le franchisé ne peut légitimement exploiter sous enseigne Carrefour contre son gré pour une durée de 99 années.
Cette décision de la cour d’appel de Rouen fait l’objet d’un pourvoi en cassation. Nous attendons donc la décision de la Cour suprême sur ce point.
« Non, les articles 2 et 15 des contrats de société Carrefour ne sont pas licites »
Dans la procédure initiée devant le tribunal de commerce de Rennes par l’AFC rejointe par le Ministère de l’Économie, les articles 2 et 15 des contrats de société Carrefour sont contestés. Le premier parce qu’il impose à la société franchisée d’exploiter son magasin uniquement sous enseigne Carrefour, le second parce qu’il interdit au gérant franchisé de modifier son enseigne à moins d’obtenir l’accord de Carrefour. L’espoir de voir ces clauses condamnées ne diminue-t-il pas quand on voit que le tribunal de commerce de Lyon les a jugées « licites » dans son jugement du 22 octobre 2025 en s’appuyant sur un « avis » de l’Autorité de la Concurrence ?

Elle précise simplement qu’en l’état du droit applicable à l’époque, il ne lui était pas possible de se prononcer sur les pratiques anti-concurrentielles du groupe Carrefour, dans la mesure où la prise de participation de ce dernier constituait une opération de concentration non contrôlable car les seuils légaux n’étaient pas atteints.
Cet avis n’est plus applicable compte tenu du fait que la jurisprudence a évolué et les pratiques anti-concurrentielles peuvent être analysées dans le cadre des opérations de concentrations. C’est également la position de la doctrine dont celle du professeur de droit Jean-Christophe Roda.
Le tribunal de commerce de Lyon n’a donc pas pris en compte la jurisprudence postérieure de la Cour de Justice de l’Union Européenne pourtant appliquée en 2024 par les autorités de la concurrence françaises et belges.
Sa décision fait l’objet d’un appel devant la cour d’appel de Paris.
Ainsi, la décision du tribunal des affaires économiques de Lyon n’aura, j’en suis certain, aucune influence sur celle du tribunal de commerce de Rennes car d’une part elle repose sur des fondements différents et d’autre part s’appuie sur une jurisprudence obsolète. Je rappelle également que le procureur de la République de Rennes soutient la démarche conjointe de l’AFC et du Ministère devant le tribunal de commerce et formule les mêmes demandes d’amende civile ainsi que la cessation des pratiques déséquilibrées.
« Oui, les franchisés Carrefour peuvent partir, mais sans récupérer le prix que vaut réellement leur fonds de commerce »
Dans son entretien déjà cité, paru en avril dernier, le directeur exécutif de Carrefour France expliquait qu’il est « normal que le groupe veuille protéger ses points de vente » en cas de franchise participative, dans la mesure où, au départ, c’est lui qui « détient 100 % du fonds de commerce qu’il a entièrement financé et développé » (et dont il revend 74 % aux franchisés). Il ajoutait sur le sujet : « Cela ne signifie pas que les franchisés ne peuvent pas partir. Personne n’est prisonnier au sein de l’enseigne ». Qu’en pensez-vous ?
La réalité est bien différente.
D’une part, ce n’est pas toujours le groupe qui crée ou acquiert le fonds de commerce, parfois c’est le franchisé qui l’apporte et même dans cette hypothèse, le groupe n’hésite pas à imposer une participation à 26 % très souvent.
D’autre part, si Carrefour est à l’origine du fonds de commerce, il le cède au franchisé. Imposer une prise de participation de 26 % des parts sociales d’une société est une pratique uniquement mise en œuvre par Carrefour. Nous intervenons pour de nombreux réseaux qui recherchent les points de ventes ou les cèdent à leurs membres et ne s’attribuent aucunement une minorité de blocage pendant 99 années.
Rappelons qu’un des piliers de la franchise est l’indépendance de l’exploitant, ce qui est clairement mis à mal par ce système.
J’ajoute que Carrefour impose la signature d’un pacte d’associés qui prévoit à l’avance une méthode de valorisation du fonds de commerce totalement fausse et injuste.
Une méthode qui permet de retirer notamment et de manière non-limitative dix ans de loyers commerciaux ainsi que l’ensemble des frais de remise aux normes du magasin.
Les deux choix qui sont laissés à l’exploitant sont en réalité : exploiter pendant 99 années ou céder ses parts sociales à Carrefour à un prix dérisoire.
On se rend compte que le franchisé n’est pas vraiment propriétaire de son fonds de commerce malgré le fait de l’avoir payé au prix fort. Aucun autre réseau de franchise ne pratique ainsi et c’est pour cela que je défends ces franchisés. C’est un combat de cause pour la franchise.
Notre rôle reste d’accompagner et de développer les franchiseurs en France et à l’international. La franchise c’est un modèle gagnant-gagnant qui doit permettre au franchisé de développer sa zone de chalandise, générer de la rentabilité, ce qui profite au franchiseur qui bénéficie du développement du chiffre d’affaires par le règlement des redevances de franchise.
Le modèle Carrefour est différent. La majorité des bénéfices est attribuée au groupe qui se rémunère sur les achats, les cotisations franchises, informatiques et autres, et parfois même les loyers immobiliers ou encore les redevances de location-gérance le cas échéant. Tandis qu’il laisse ses adhérents supporter uniquement les risques d’exploitation sans générer de la rentabilité.

Dans un entretien paru en avril dernier dans LSA, le directeur exécutif de Carrefour France, Alexandre de Palmas, opposait « la très bonne santé du réseau de franchise aux récriminations d’une minorité ». Les franchisés de proximité Carrefour sont-ils nombreux à rencontrer de graves problèmes de rentabilité ?