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      Franchisés Carrefour Proximité : sortie de réseau interdite ? - Brève du 19 novembre 2025

      Brève
      19 novembre 2025

      Deux décisions récentes des cours d’appel de Rouen et de Rennes ont donné tort à des franchisés ayant quitté ou cherché à quitter le groupe Carrefour sans son accord. Sortir de cette formule de franchise participative contestée est-il pour autant devenu définitivement impossible ?

      Logo du groupe CarrefourLe 23 octobre 2025, la cour d’appel de Rouen a sanctionné un couple de franchisés normands ayant déposé l’enseigne Carrefour Contact pour passer chez Super U.

      Leur contrat de franchise de 7 ans avait été signé en 2014. Année après année, leur chiffre d’affaires avait augmenté mais la situation financière de la société franchisée avait été, selon eux, « structurellement déficitaire ».

      Ainsi, alors que le chiffre d’affaires était passé de 5,27 millions d’euros en 2015 à 6,37 M€ en 2019, le résultat, lui, avait reculé de 12 177 € à… 2 657 €.

      Les franchisés avaient alors décidé de ne pas renouveler leur contrat avec Carrefour, une fois celui-ci parvenu à son terme en 2021 et de passer à la concurrence.

      Or, pour cela, il leur était nécessaire de modifier les statuts de leur société (d’une durée de 99 ans) et notamment son objet social qui les empêchait de changer d’enseigne sauf au sein du groupe Carrefour.

      Problème, ils ne détenaient, comme dans toute franchise participative chez Carrefour, que 74 % des parts de la SARL alors que de telles décisions ne pouvaient être prises qu’à la majorité des 3/4, c’est-à-dire avec 75 % des voix.

      Des franchisés Carrefour passés à la concurrence approuvés par la cour d’appel de Caen en 2022… mais pas par la Cour de cassation

      Face à l’opposition systématique de la filiale de Carrefour détenant 26 % de leur société, alors qu’ils collaboraient avec le groupe depuis déjà 14 ans, ils se sont adressés à la justice.

      Saisie, la cour d’appel de Caen a estimé, dans un arrêt du 20 janvier 2022, qu’il y avait eu de la part de la filiale du franchiseur « abus de minorité ».

      Pour ces magistrats, la filiale de Carrefour avait bloqué au nom de ses seuls « intérêts égoïstes » et de la défense de sa franchise participative une décision qui était « dans l’intérêt général de la société ». Et même qui lui était vitale pour continuer à fonctionner.

      Une argumentation que les franchisés ont continué de faire leur dans la procédure en soulignant que, depuis leur passage chez U, le chiffre d’affaires de leur supermarché a progressé de 1 million d’euros en quatre ans et surtout que leur résultat a été de 262 131 € pour l’année 2023.

      En conclusion de son arrêt, la cour d’appel avait décidé de nommer un « mandataire ad hoc », afin qu’il puisse voter à la place du franchiseur lors de l’assemblée générale qui modifierait les statuts.

      Pour la cour d’appel de Rouen qui rejuge l’affaire, ces franchisés ont « outrepassé leurs droits » en mettant fin à leur contrat sans l’accord de Carrefour

      Sollicitée par Carrefour, la Cour de cassation n’a pas suivi la cour d’appel de Caen.

      Le 13 mars 2024, la plus haute juridiction française a considéré que les conditions de l’abus de minorité n’étaient pas réunies.

      Si l’associé minoritaire avait en effet « interdit une opération essentielle pour la société franchisée », en revanche, il n’avait pas procédé « dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés ».

      Il avait simplement fait valoir ses droits. Les décisions modifiant l’objet social d’une SARL ne pouvant pas être prises par son seul gérant, mais devant l’être par l’assemblée des associés.

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceUne analyse que reprend à son compte la cour d’appel de Rouen à qui a été confié le dossier.

      Pour elle, comme pour la Cour de cassation, « la dénonciation des contrats de franchise et d’approvisionnement (par les gérants franchisés) était illicite car excédant leurs pouvoirs. »

      La décision de nommer un mandataire ad hoc est de même contredite et les franchisés déboutés de leurs demandes de dommages et intérêts. (1)

      La cour d’appel de Rennes annule une procédure de sauvegarde contestée par Carrefour

      Dans un autre litige, la décision de la cour d’appel de Rennes, en date du 4 novembre 2025, est tout aussi favorable au groupe Carrefour.

      Dans ce dossier, une société franchisée bretonne a obtenu, le 5 septembre 2023, l’ouverture d’une procédure de sauvegarde judiciaire.

      En cause selon le franchisé : la faible rentabilité de la franchise Carrefour, due à « l’obligation d’approvisionnement quasi-exclusif » auprès d’une filiale du groupe « à des prix trop élevés et les faibles marges » permises aux exploitants qui compromettaient l’avenir de sa société.

      Estimant que cette procédure de sauvegarde avait pour but en réalité de permettre « frauduleusement » à la société franchisée de sortir du réseau pour rejoindre un concurrent, Carrefour Proximité et ses filiales présentes au capital ont fait opposition au jugement.

      Saisie, la cour d’appel de Rennes confirme la rétractation de la procédure de sauvegarde décidée en première instance.

      Pour les juges, la société franchisée ne connaissait pas de difficultés insurmontables et cherchait simplement à sortir du réseau

      Les juges considèrent en effet que la société franchisée ne connaissait pas les « difficultés insurmontables » qui, selon le droit des entreprises en difficulté, aurait justifié sa sauvegarde.

      Certes, ils admettent  que « le résultat était généralement très faible, voire légèrement négatif depuis 2017 ». Mais ils relèvent également que le chiffre d’affaires était stable autour de 5,5 M€, que « la dette bancaire a diminué régulièrement », passant de 460 000 € en 2017 à  52 000 € en 2023, tandis que les capitaux propres sont restés constants à environ 238 000 €. Il n’y avait donc pas de passif problématique à apurer.

      Pas non plus de diminution des sommes consacrées aux salaires et donc de risques pour les emplois.

      De même, si la rémunération (du gérant franchisé) a reculé, passant de 192 000 € pour 2020 à 125 000 € pour 2023, elle n’était, vu le secteur d’activité et le CA engrangé, « ni excessive, ni dérisoire » et « adaptée chaque année aux capacités financières de la société ».

      Au vu des comptes intermédiaires pour 2023, les magistrats rennais ne retiennent donc « pas de dégradation de la situation de la société au 5 septembre 2023 ». Et pas de « difficultés insurmontables au sens des dispositions de l’article L620-1 du code de commerce. » Donc pas de nécessité d’une procédure de sauvegarde.

      Sans surprise, Carrefour s’est félicité de cette décision.

      Une franchise participative sans issue ?

      Toute sortie du groupe Carrefour est-elle pour autant devenue définitivement impossible à ses partenaires sous franchise participative ? Sont-ils condamnés à renouveler indéfiniment leur contrat ou à voir leur société dissoute ?

      Cour de cassation juridique franchise

      Il semble bien en effet, depuis la décision de la Cour de cassation du 13 mars 2024, que les tribunaux risquent fort, dans les litiges à venir entre Carrefour et d’autres franchisés de la branche Proximité, de se prononcer comme la cour d’appel de Rouen.

      Et de considérer que Carrefour est dans son droit quand il empêche toute sortie de son groupe sans son accord, puisque c’est ce que prévoient de fait les statuts acceptés par les franchisés à leur entrée dans la franchise participative.

      Reste toutefois à connaître la décision du tribunal de commerce de Rennes, saisi sur le fond du sujet par l’Association des franchisés Carrefour et par le Ministère de l’Économie. Une décision attendue en 2026 et qui pourrait, si le déséquilibre significatif plaidé est reconnu, contraindre Carrefour à revoir au moins en partie ses contrats de franchise et de société.

      Reste aussi que la possibilité de sortir du groupe Carrefour et de rejoindre un réseau concurrent via une procédure de sauvegarde demeure ouverte.

      Car si les magistrats de Rennes ont estimé, dans le cas tranché le 4 novembre 2025 avoir affaire à un franchisé qui ne faisait pas face à des « difficultés insurmontables », d’autres litiges du même ordre concernant des franchisés Carrefour Proximité confrontés à de sérieux problèmes de rentabilité ont déjà été tranchés dans le sens contraire. Et validés en appel comme en cassation. Et il n’est pas dit qu’il ne pourrait plus y en avoir d’autres à l’avenir.

      (1) De la même manière, dans un autre cas de franchise participative Carrefour, le Tribunal des activités économiques de Lyon a jugé, le 22 octobre 2025, que la dénonciation unilatérale de son contrat après 14 ans de collaboration par un franchisé lyonnais était nulle, le gérant ayant « outrepassé ses droits ».

      Se référant constamment à l’arrêt du 13 mars 2024 de la Cour de cassation dans l’affaire examinée par la cour d’appel de Caen en 2022, les juges consulaires ont écarté l’argument de l’abus de minorité du franchiseur. Ils ont également refusé la nomination d’un mandataire ad hoc réclamée par le plaignant afin de faire approuver sa décision par l’assemblée générale de sa société et ont ordonné la poursuite du contrat de franchise Carrefour City concerné.

      >Références des décisions citées :

      -Cour d’appel de Rouen, chambre civile et commerciale, 23 octobre 2025, n° 24/01618

      -Cour d’appel de Caen, 2ème chambre civile, 20 janvier 2022, n° 21/01013

      -Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, 13 mars 2024, n° 22-13.764

      -Cour d’appel de Rennes, 3e chambre commerciale, 4 novembre 2025, n° 24/04264

      -Tribunal des activités économiques de Lyon, 22 octobre 2025, n°2018J298