Confronté aux importantes difficultés de ses établissements, franchisés ou non, un franchiseur débutant modifie complètement son concept. Sans succès. La cour d’appel de Paris estime que cette « dénaturation » révèle l’absence de réalité de son savoir-faire initial et annule en conséquence le contrat de franchise.
La cour d’appel de Paris a récemment annulé un contrat de franchise pour « défaut de cause » lié au manque de réalité du savoir-faire initial. Le savoir-faire étant, rappelons-le, avec l’enseigne et l’assistance, l’un des trois piliers indispensables de toute franchise.
Dans ce litige, le DIP (Document d’information précontractuel) est remis en août 2015 et le contrat de 7 ans signé en octobre en échange du paiement d’un droit d’entrée de 48 000 €.
Le cas est un peu particulier dans la mesure où le franchiseur vient de créer sa structure de développement en franchise en mars 2015 et où le partenaire devient le premier franchisé du réseau.
Un concept initial original et un projet séduisant avec déjà six points de vente
La proposition semble séduisante. Original, le concept de restauration rapide repose sur une offre de plats et de pâtisseries conçus par de grands chefs et servis en bocaux de verre dans un cadre de bistrot parisien.
Les produits commercialisés sont essentiellement frais et bios. Les repas sont à consommer sur place pour 15 € en moyenne ou à emporter pour 22 € et visent une clientèle plutôt haut-de-gamme dans des quartiers d’affaires ou touristiques.
Le franchisé n’a pas de cuisson à réaliser, et donc des frais de personnel limités et pas de cohabitation difficile à craindre avec les copropriétaires de son immeuble.
Par ailleurs, la société du franchiseur qui a commencé à exploiter le concept en 2011 a depuis lors ouvert six établissements en Île-de-France.
Quant aux « ratios-clés de la franchise » transmis en annexe du DIP, ils indiquent un chiffre d’affaires annuel compris entre 800 000 et 2 millions d’euros pour 180 à 300 repas par jour dans un restaurant de 100 m² comprenant entre 60 et 80 places assises.
Le franchiseur transmet également son bilan et son compte de résultat pour 2014 ainsi que le chiffre d’affaires réalisé par un des restaurants au concept avoisinant 1,85 million d’euros sur son exercice 2014-2015.
Un concept initial original et un projet séduisant avec déjà six points de vente

Il ouvre son établissement dans une ville de province en janvier 2016, après avoir obtenu un prêt bancaire d’un peu plus de 400 000 € pour lequel, comme son associé, il s’est porté caution solidaire à hauteur de plus de 200 000 €
Son prévisionnel est atteint lors des trois premiers mois d’exploitation, mais dès le mois de mai 2016, rien ne va plus. Le franchisé se fait aider par sa Chambre de commerce, tente de mettre en œuvre des solutions. En vain.
Au 31 décembre 2016, il se retrouve avec un chiffre d’affaires de 245 000 € et un résultat négatif de plus de 250 000 €.
Liquidations en série des premiers franchisés et du franchiseur et fin du concept
Des réunions avec le franchiseur – qui le mettait alors en demeure de régler plus de 40 000 € de factures – débouchent sur un échéancier de remboursement et une exonération de redevances pendant six mois. Mais la confiance est rompue.
D’autres franchisés réunis dans un collectif dès l’été 2017 alertent le responsable du réseau. Trois d’entre eux sur six sont contraints de cesser leur activité. Et le 12 septembre 2017, le tribunal de commerce de Reims ouvre une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société franchisée.
La mesure est convertie en liquidation judiciaire le 24 avril 2018 après la fermeture du restaurant.
En octobre 2020, le franchisé et sa société holding assignent les sociétés du franchiseur devant le tribunal de commerce de Paris. Lequel donne globalement raison aux franchisés en octobre 2023.
Une décision dont les sociétés du franchiseur font appel.
Puis elles sont, elles aussi, placées en liquidation judiciaire en novembre 2023 et février 2024. Le concept cesse alors d’être exploité.
La cour d’appel de Paris confirme la nullité du contrat de franchise

Les magistrats considèrent que « le savoir-faire transmis » par le franchiseur n’était « ni substantiel, ni identifié » et donc « impropre à remplir sa fonction » qui est de « procurer au franchisé un avantage concurrentiel ».
Or, cet avantage, rappelle la cour, est « la contrepartie essentielle de l’engagement du franchisé. » Cette contrepartie étant inexistante, le contrat est nul.
Pour fonder leur décision, les juges relèvent que, durant l’exécution du contrat de franchise en litige, le franchiseur a « remplacé les produits frais par des surgelés » (alors que les restaurants du réseau ne disposaient pas des installations frigorifiques nécessaires au vu des stocks à conserver).
Il a également « développé des recettes non conçues par des chefs étoilés », « utilisé, en contradiction flagrante avec un élément central de l’identité du concept (…) des récipients en plastique (au lieu des bocaux en verre), supprimé toute proposition de produits bios et sous-traité la production (du contenu) de ses bocaux ». L’enseigne s’est mise aussi à vendre des sandwiches…
Le franchisé avait donc raison de parler de « dénaturation du concept ».
L’ampleur des transformations du concept révèle, selon la cour, le manque de réalité du savoir-faire initial transmis par le franchiseur
L’argumentation de la cour d’appel de Paris mérite d’être citée car, au-delà du litige jugé, elle concerne la franchise en général.
« Si le savoir-faire se doit d’être évolutif pour demeurer utile et spécifique, écrit la cour dans son arrêt, et si le franchiseur a l’obligation d’œuvrer à la recherche d’une solution lorsque les résultats ne sont pas atteints sans faute imputable au franchisé, les transformations apportées par le franchiseur doivent respecter l’esprit et la nature du concept initial sans le transformer au point de le rendre méconnaissable. »
« Or, les modifications réalisées (ici) heurtaient frontalement les éléments constitutifs et distinctifs du savoir-faire transmis et de l’identité du réseau. Dénaturantes, elles traduisaient, non la recherche d’une amélioration de la compétitivité (…) par des mesures innovantes ou de l’adaptation cohérente des méthodes commerciales aux difficultés rencontrées par l’ensemble des franchisés, mais des tâtonnements dispersés sans vision cohérente d’ensemble ».
Devant « l’effondrement rapide du réseau » – y compris des unités exploitées en direct par le franchiseur – et « l’absence de contrainte (extérieure) qui aurait pu l’expliquer », les juges considèrent que « ces modifications substantielles du savoir-faire en cours d’exécution révèlent qu’il était originellement impropre sous la forme transmise à permettre une réussite économique, le franchiseur ayant en réalité élaboré ses méthodes commerciales au fil de l’exécution du contrat sans les expérimenter préalablement et en laissant aux franchisés la charge d’en éprouver eux-mêmes, à leurs dépens, la pertinence et l’efficacité. »
La cour d’appel pointe aussi « l’erreur sur la rentabilité » provoquée selon elle par le franchiseur
La cour d’appel de Paris considère dans le même arrêt très argumenté que le contrat pouvait être annulé aussi en raison de « l’erreur sur la rentabilité provoquée par les données économiques et financières inexactes communiquées dès l’origine par le franchiseur. » Une rentabilité « par nature déterminante du consentement du franchisé » comme elle le rappelle.
Les magistrats relèvent ainsi que, dans ce litige, l’écart entre le chiffre d’affaires réalisé et le plus bas indiqué dans les « ratios-clés » du franchiseur a été de de 69 %.
Par ailleurs, alors que le même document indiquait que le coût d’achat des produits pour le franchisé ne dépasserait pas 42 % du prix de revente hors taxe, dans les faits, il a été de 53 %, réduisant d’autant la marge de l’exploitant. Tandis que la part des frais logistiques représentait 10 % du chiffre d’affaires au lieu des 4 % attendus.
Certes, admettent les juges, le franchisé a manifestement commis une erreur sur le choix de son local mais son prévisionnel « était en cohérence avec les données du franchiseur » et sa supposée mauvaise gestion, invoquée par celui-ci, n’est pas prouvée.
Au contraire, affirme la cour, « sa pertinence est établie par la Chambre de commerce et reconnue par le franchiseur lui-même lors de ses contrôles d’avril et octobre 2016 ». Un franchiseur qui n’a d’ailleurs « jamais formulé de reproche à son franchisé » sur sa gestion durant l’exécution du contrat.
Enfin, « l’effondrement général du réseau en France comme à l’étranger » prouve aux yeux des juges que le choix erroné du local « n’est pas (dans ce litige) une cause déterminante du manque de rentabilité objective du concept ».
Manque qui au contraire « trouve son origine dans la transmission d’un savoir-faire peu abouti et non éprouvé, dans le manque de communication relevé par la CCI et dans l’impossibilité de reproduire (par le franchisé) l’expérience développée (…) dans des lieux bénéficiant d’une fréquentation naturelle exceptionnelle. »
« Des fautes précontractuelles aggravées par des fautes contractuelles »
En conclusion, la cour estime que les « difficultés insurmontables » de la société franchisée contrainte à la liquidation ont été « exclusivement et directement causées par les fautes précontractuelles commises par (les sociétés du franchiseur) dont les effets ont été aggravés par leurs fautes contractuelles. »
En conséquence, la cour condamne solidairement ces sociétés à indemniser le franchisé et sa société holding des préjudices subis : mise en œuvre de sa caution bancaire (réduite toutefois après accord avec la banque) pour le premier et impossibilité de récupérer son avance en compte courant d’associés pour la seconde.
La cour fixe ainsi au passif des deux sociétés du franchiseur la somme de 88 000 € pour le franchisé et de 86 300 € pour sa société holding. Plus 10 000 € à chacun pour couvrir les frais de justice engagés en première instance et 10 000 encore pour ceux d’appel.

