Les franchises de services, notamment celles d’agences immobilières, sont-elles concernées par la loi Macron sur la non-concurrence post-contractuelle ? « Oui » a répondu la Cour de cassation comme la cour d’appel de Paris. Mais « non », affirme le Tribunal de commerce de Paris, se référant à l’Autorité de la concurrence.
Par un jugement du 23 décembre 2024, le Tribunal de commerce de Paris a validé la clause de non-concurrence post-contractuelle d’une chaîne d’agences immobilières.
Pour la franchisée concernée au contraire, cette clause n’est pas valable car elle ne répond pas aux exigences de la loi Macron.
Le jugement fera probablement l’objet d’un appel, mais la décision est à souligner puisqu’elle s’inscrit en opposition à la jurisprudence de la Cour de cassation sur le sujet et relance un débat que l’on pouvait croire tranché.
Selon la loi Macron, les clauses de non-concurrence post-contractuelles en franchise ne peuvent être valables qu’à certaines conditions
Les clauses de non-concurrence et de non-affiliation post-contractuelles ont pour but de limiter les possibilités des franchisés – et des concessionnaires, affiliés, licenciés, etc. – de rallier ou créer un réseau concurrent à l’issue de leur contrat.
Il y a dix ans, le législateur a voulu, tout en permettant aux réseaux de se protéger, accorder davantage de libertés qu’avant aux franchisés sortants.
Depuis, pour être licites, ces clauses doivent donc respecter des conditions précisées dans une loi du 6 août 2015 connue sous le nom de loi Macron et devenue désormais les articles L.341-1 et L.341-2 du code de commerce.
La rédaction de ces textes est claire sur les limites imposées aux franchiseurs dans ces clauses*.
En revanche, une ambiguïté est apparue quant aux secteurs d’activités concernés puisque l’article L.341-1 cite l’exploitation de « magasin de commerce de détail ».
Pour la cour d’appel de Paris, la notion de commerce de détail citée dans la loi Macron ne s’applique pas seulement à la vente de marchandises
Cette ambiguïté a déjà été tranchée par d’autres tribunaux et pas des moindres.
Le 8 février 2023, la cour d’appel de Paris s’est ainsi prononcée. Elle a contredit, dans un arrêt argumenté, le franchiseur à la tête d’un réseau d’agences immobilières qui affirmait n’être pas concerné par la loi Macron.
Pour les magistrats parisiens, ces articles du code de commerce ont en effet « pour objet la protection de la liberté d’exercice de l’activité commerciale » en général. Ce qui « implique que la notion de magasin de commerce de détail ne peut être interprétée en un sens restrictif, telle que la seule vente de marchandises ».
Autre argument : l’article L.342-1 du code de commerce fait référence notamment « aux terrains et locaux » exploités. Pour la cour, « il s’ensuit qu’il ne peut être fait de distinction entre les activités de ventes de biens ou de services » dès lors que celles-ci s’exercent à partir d’un local. Ce qui est le cas des agences immobilières.
Pour la Cour de cassation, « la notion de commerce de détail peut couvrir des activités de services aux particuliers comme les agences immobilières. »
Le 5 juin 2024, saisie par le franchiseur, la Cour de cassation a confirmé cet arrêt d’appel et publié sa décision dans son bulletin, ce qui signifie qu’elle lui accorde un caractère d’importance.
Comme les magistrats parisiens, la Cour considère qu’en l’absence de précision du texte, c’est à la justice de l’interpréter « au regard de sa finalité ».
Et, précisément, pour elle, l’objectif de la loi consiste à « faciliter les changements d’enseigne » des commerçants en réseaux « en vue de diversifier l’offre (et) d’augmenter le pouvoir d’achat des consommateurs (…) ». « Le législateur a donc poursuivi un objectif d’intérêt général qui ne justifie aucune différence de traitement entre les réseaux, selon qu’ils exercent une activité de vente de marchandises ou une activité de service ».
Conclusion pour la plus haute juridiction française : « la notion de commerce de détail (…) peut couvrir des activités de services auprès de particuliers, telle une activité d’agence immobilière ».
Selon le Tribunal de commerce de Paris, qui invoque l’Autorité de la concurrence, les agences immobilières en franchise ne sont pas concernées par la loi Macron
Qu’est-ce qui fait alors que le Tribunal de commerce de Paris prend aujourd’hui une direction contraire ?
Dans l’affaire jugée le 23 décembre 2024, les juges consulaires estiment que la clause de non-concurrence post-contractuelle en litige est valide et proportionnée dans la mesure où elle était limitée à un an et au département où exerçait la franchisée.
Ils considèrent qu’une « agence immobilière qui preste des services mais ne vend aucune marchandise n’est pas une activité de commerce de détail telle que définie par l’Autorité de la concurrence ». Elle n’entre donc pas, pour eux, dans le champ de la loi Macron qui stipule notamment que la clause doit rester limitée aux locaux de l’exploitant.
Maître Martin Le Péchon, qui conseille le franchiseur dans cette affaire et se félicite de la décision du tribunal, précise qu’en effet, « l’Autorité de la concurrence (ADLC) définit un magasin de commerce de détail comme un magasin effectuant, pour plus de la moitié de son chiffre d’affaires, de la vente de marchandises à des consommateurs pour un usage domestique. »
« L’ADLC estime en outre, ajoute l’expert, que sont toujours exclus de la notion de commerce de détail, les prestations de services à caractère immatériel ou intellectuel (banque, assurance ou agence de voyage), ainsi que les établissements de services ou de location de matériels (laveries automatiques, vidéothèques ou salles de sport), les restaurants et les entreprises qui réalisent la totalité de leurs ventes en ligne ou par correspondance ou via des livraisons directes aux consommateurs. »
Qu’en diront la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation si elles sont sollicitées dans ce litige comme il est probable ? Cette contestation nouvelle de leur position les amènera-t-elles à la préciser davantage ? Nombre d’acteurs de la franchise, actuels et futurs, aimeraient bien le savoir.
*Selon l’article L.341-2 du code de commerce, pour être valables les clauses de non-concurrence et non-affiliation post-contractuelles des réseaux commerciaux doivent tout à la fois :
-concerner les biens et services en concurrence avec ceux qui font l’objet du contrat,
-être limitées aux terrains et locaux à partir desquels l’exploitant a exercé son activité pendant le contrat,
-être indispensables à la protection du savoir-faire transmis,
-être limitées à un an après la fin du contrat.