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      Amendement Brottes : confusion et atteinte à la franchise

      Tribune publiée le 6 février 2015 par Frédéric FOURNIER
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      « La loi Macron veut-elle tuer la franchise ? » s’interrogeait la Fédération Française de la Franchise dans un communiqué, régissant à l’adoption par l’Assemblée Nationale, de l’amendement 1681 de la loi Macron. L’avocat Frédéric Fournier, spécialiste en droit de la distribution, commente l’amendement contesté.

      Entre réforme des transports routiers, permis de conduire et professions réglementées, le projet de loi pour la croissance, l’activité, et l’égalité des chances économiques vient d’être complété par un dispositif portant sur les « réseaux de distribution ».

      1. Il vise à provoquer la résiliation de l’ensemble des contrats de réseaux de distribution, notamment de franchise, lorsque l’un de ces contrats est résilié, à l’exception du bail commercial,
      2. réputer non écrite la stipulation de clauses restreignant le libre exercice de l’activité commerciale de l’exploitant et
      3. à limiter à neuf ans, sans reconduction tacite, la durée des contrats notamment de franchise.

      La loi s’appliquerait aux contrats en cours à des délais de deux à quatre ans.

      L’Autorité de la concurrence (ADC) fixera les seuils d’application des textes. On évoque 50 millions de chiffre d’affaires.

      Les débats parlementaires font apparaître que cet amendement relève d’un constat : certaines coopératives engagent leurs associés sur 25 ans. Pour être exact, l’Autorité de la Concurrence avait en réalité observé des durées de 3 à 30 ans (point 218, Avis 10-A-28 du 7 décembre 2010). Cependant, les débats parlementaires montrent que nombre de parlementaires ont confondu franchise et système coopératif, autant qu’une méconnaissance du marché et des règles de droit.

      « Nombre de parlementaires ont confondu franchise et système coopératif »

      La confusion nait de l’assimilation de la franchise et de coopérative qui constituent deux systèmes et deux mécanismes contractuels qui diffèrent singulièrement. Ils n’ont en commun que le regroupement à l’achat et la vente aux consommateurs sous une enseigne.

      L’intégration à une société coopérative centrale d’achat et/ou de référencement relève d’un double mécanisme : une mise en commun de moyens dans le cadre de statuts et règlement intérieur et un contrat d’approvisionnement.

      Cependant, pourquoi créer un nouveau texte ? Il existe un article L124-1 qui porte sur les sociétés coopératives de commerçants détaillants et définit leurs actions afin, selon le texte, « d’améliorer par l’effort commun de leurs associés les conditions dans lesquelles ceux-ci exercent leur activité commerciale« . Dans ce contexte légal, à supposer qu’il faille réformer le commerce associé, ce dont on peut douter, il suffirait de compléter l’article précité.

      Méconnaissance du marché, puisqu’aucun n’évoque le troisième type de réseau, à savoir l’affiliation, finalement fort heureusement ignorée des débats.

      Le projet de texte relève enfin d’une méconnaissance du corpus juridique pourtant solide. On saluera les parlementaires qui l’ont évoquée. Les moyens d’agir en justice pour préserver ses intérêts sont pourtant nombreux, à commencer par la sanction des abus ou du déséquilibre significatif, au moyen de l’article L442-6, que le Ministre de l’économie peut lui-même engager.

      Les conditions essentielles de la franchise : une enseigne, un savoir-faire substantiel et une assistance

      Les conditions essentielles de la franchise sont, au-delà de l’enseigne, l’existence et la transmission d’un savoir-faire substantiel et une obligation d’assistance à la charge du franchiseur. Cette exigence n’existe pas pour les coopératives. Nul ne l’a évoquée, ni rappelée.

      La proposition d’une résiliation de l’ensemble des contrats en cas de résiliation d’un contrat ne protégera pas aucune des parties. Si l’un des contractants résilie un contrat, cette résiliation doit pouvoir être contestée, voire l’exécution forcée recherchée, devant un juge.

      La loi ne saurait priver une partie à un contrat de rechercher l’exécution de ses conventions, voire une indemnisation résultant du préjudice causé par la rupture, édictant le principe qu’une résiliation emporte celle de l’ensemble contractuel.

      C’est pourtant le résultat de la résiliation couperet. Que deviendra la protection donnée par la sanction des ruptures brutales de relations commerciales établies (Art. L442-6 I 5° du code de commerce), en présence d’une obligation générale et automatique de résiliation ?

      Pis, le franchisé subirait la perte de l’ensemble de ses contrats en cas de résiliation pour une simple inexécution suivi d’une résiliation. Ceci prive les parties du recours au juge, voire à la prévention des difficultés des entreprises, autant que cela interroge en cas de procédure collective. Le franchiseur sera lui privé de recours en cas de résiliation abusive.

      « La jurisprudence est abondante sur la question des clauses de non-concurrence ou non-réaffiliation »

      Méconnaissance encore des règles de droit, lorsque le projet envisage de réputer non écrite les clauses limitant la libre exploitation post-contractuelle, ce qui pourrait couvrir les clauses de non-concurrence, les clauses de non-réaffiliation, voire les clauses de préemption. Rappelons ici les principes de la jurisprudence et les règles applicables en droit de la concurrence.

      La jurisprudence est abondante sur la question des clauses de non-concurrence ou non-réaffiliation. Par un arrêt du 23 septembre 2014, la chambre commerciale de la cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 6 mars 2013 rendu après avis de l’Autorité de la Concurrence qui avait annulé, sur le fondement de l’article L.420-1 C.com, une clause de non-réaffiliation de trois années qui stipulait l’interdiction faite au franchisé de se réaffilier et de vendre des produits de MDD liées à une enseigne de renommée nationale ou régionale concurrente dans le secteur de la distribution de détail alimentaire.

      Par ailleurs, un arrêt de la Cour de Cassation (18 décembre 2012, pourvoi n° 11-27.068), distingue les clauses de non-concurrence et de non réaffiliation (auparavant assimilées : jurisprudence Prodim). Leur validité est soumise aux principes de nécessité et de proportionnalité par rapport aux intérêts légitimes du franchiseur : il convient de justifier d’un savoir-faire spécifique et original (« ayant relevé l’existence d’un savoir-faire, dont elle a apprécié les faibles technicité, spécificité et originalité, comme étant centré sur la politique de promotion de l’enseigne, incluant sa politique tarifaire. » ; « il n’est pas démontré que le commerce de distribution de détail alimentaire présente une technicité telle qu’il impose une clause de non-réaffililiation d’une durée de trois ans. »).

      Une clause limitée dans le temps, dans l’espace et la durée

      Le principe prétorien est donc bien une clause limitée dans le temps, dans l’espace et la durée. La durée admise est d’une année et l’espace est celui du point de vente (point 68 des Lignes directrices 2010 sur les restrictions verticales, ci-après LD »). Le point 218 de l’Avis n°10-A-28 du 7 décembre 2010 de l’ADC rappelait les mêmes principes.

      Ce même raisonnement fut employé aussi par l’Autorité de la Concurrence qui a validé les clauses de non-réaffiliation et de préférence dans l’affaire Pomona (n°11-D-3 du 11 février 2011) ou Weldom (n°13-D-19 du 29 octobre 2013).

      On pourrait de surcroît citer l’absence de démonstration de dépendance des franchisés même dans des réseaux de grande distribution (aff. Carrefour, ADLC n°10-D-8 du 3 mars 2010).

      Encore, il est essentiel de noter que la durée des conventions est souvent le résultat des exigences des établissements de crédit, selon la durée des emprunts des franchisés, autant que la traduction de la période d’amortissement des frais ou investissements liés à l’installation d’un fonds de commerce.

      Enfin, soulignons que si l’ADC (point 222, Avis 10-A-28 du 7 décembre 2010) soulignait son souhait de voir limité la durée des contrats d’affiliation à 5 ans, c’était dans le contexte de « quasi-exclusivité » et surtout en application de l’article 5, 1. a) du Règlement n°330/2010.

      Concernant la limitation de la durée des contrats à 9 ans, la concomitance avec la durée du bail commercial est évidente, mais ne fait pas sens, car le bail est soumis à des périodes triennale et peut être simplement prorogé… L’article L.330-1 du code de commerce limite d’ores et déjà et depuis 1943 les engagements d’exclusivité d’approvisionnement allant au-delà de 10 ans, mais relativement peu commune en matière de franchise.

      En conclusion, le texte vise à couvrir le champ des engagements de durée et post-contractuels déjà rigoureusement réglementé par le droit de la concurrence et la jurisprudence et n’apporte souvent pas de protection au franchisé.

      Interdira-t-on à un franchisé satisfait de son franchiseur de prendre des engagements de longue durée, alors qu’il est protégé par la jurisprudence nourrie sanctionnant le franchiseur qui ne respecte pas ses obligations et permet au franchisé de ne pas être lié dans des conditions non conformes aux notions de réitération d’une réussite commerciale et de transmission de savoir-faire ?

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