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      Pas d’indemnité de clientèle pour le franchisé ? A voir…

      Tribune publiée le 28 novembre 2012 par Nicolas DISSAUX
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      La Cour de cassation vient de refuser à un ex-franchisé l’indemnité de clientèle qu’il réclamait à son franchiseur. L’auteur, avocat, estime que les arrêts concernés ne mettent pas fin au débat qui pourrait, selon lui, être relancé par le droit européen.

      « Les règles gouvernant l’enrichissement sans cause ne peuvent être invoquées dès lors que l’appauvrissement et l’enrichissement allégués trouvent leur cause dans l’exécution ou la cessation de la convention conclue entre les parties ». Par deux arrêts du 23 octobre 2012(1), la Cour de cassation refuse ainsi d’indemniser le distributeur évincé par son cocontractant pour le préjudice lié à la perte de clientèle consécutif à la cessation de son contrat.

      On dira que la solution est orthodoxe. Il semblait toutefois qu’une décision du 9 octobre 2007 eût changé la donne. La chambre commerciale de la Cour de cassation y censurait un arrêt au visa de l’article 1371 du Code civil dans les termes suivants : « alors qu’elle constatait, tout à la fois, que le franchisé pouvait se prévaloir d’une clientèle propre, et que la rupture du contrat stipulant une clause de non-concurrence était le fait du franchiseur, ce dont il se déduisait que l’ancien franchisé se voyait dépossédé de cette clientèle, et qu’il subissait en conséquence un préjudice, dont le principe était ainsi reconnu et qu’il convenait d’évaluer, au besoin après une mesure d’instruction, la cour d’appel a violé le texte susvisé ». Quoique non publié, l’arrêt avait fait quelque bruit…

      Voilà pourtant que dans cette même affaire, la chambre commerciale brûle ce qu’elle avait adoré. Le revirement est total. Est-il justifié ? Pas sûr.

      Un revirement justifié ?

      Sans doute l’action en enrichissement sans cause ne peut-elle prospérer dès lors qu’une clause contractuelle est susceptible de justifier l’enrichissement allégué. Mais justement ! A supposer même qu’une clause de non-concurrence valable justifiât l’interdiction pour un franchisé de poursuivre son activité, elle ne justifierait que l’appauvrissement de ce dernier. L’enrichissement du franchiseur qui récupérerait la clientèle de son ancien partenaire ne bénéficierait pas pour autant d’une cause juridique !

      Au reste, une telle clause ne devrait produire aucun effet. Car il ne faut pas l’oublier : le franchisé est propriétaire de son fonds de commerce et partant, de la clientèle qui en fait partie (Cass. com., 27 mars 2002, arrêt « Trévisan »). Or c’est un principe cardinal du droit des biens : « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité » (C. civ., art. 545). La règle a même valeur constitutionnelle (Déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789, art. 17).

      Que dit le droit européen ?

      Et la Convention européenne des droits de l’homme ? Son premier protocole additionnel ne protège-t-il pas les biens ? Après tout, la Cour de Strasbourg a déjà décidé que la clientèle était un bien au sens de ce dernier texte (CEDH, Van Marle et autres c/ Pays-Bas du 26 juin 1986). Une simple clause contractuelle ne peut donc évacuer l’indemnisation pour perte de clientèle. N’a-t-elle pas pour effet de consacrer une expropriation pour cause d’utilité privée ?

      Malgré leur fermeté, les arrêts du 23 octobre 2012 ne tarissent donc pas le débat. Le droit européen pourrait un jour le relancer. Sur ce point, les principes adoptés en 2006 par la commission Von Bar sur les contrats d’agence, de franchise et de distribution méritent d’être rappelés. L’article 1 : 306 de cette somme doctrinale prévoit en effet d’octroyer une indemnité de clientèle à l’ensemble de ces acteurs. L’enrichissement sans cause ne peut être le fondement technique d’une telle indemnité ? Qu’à cela ne tienne ! La Cour de Strasbourg trouvera peut-être un jour un autre instrument.

      (1)Note sous Cass. com., 23 octobre 2012 (deux arrêts : n° 11-21978 et n° 11-25175)

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