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      Réforme du droit des contrats et contrats de franchise : les principaux impacts (2/2)

      Tribune publiée le 15 juin 2016 par Dominique BASCHET
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      La réforme du droit des contrats qui entre en vigueur le 1er octobre concerne, entre autres, les contrats de franchise ou assimilés. L’auteur, avocat à la Cour de Paris et membre du Collège des experts de la Fédération française de la franchise, en examine les principaux impacts pour les franchiseurs et les franchisés.

      L’article 8 de la loi n°2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures a habilité le Gouvernement, par voie d’ordonnance, à moderniser le droit des contrats, des obligations et de la preuve.

      Il en est résulté l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 publiée au Journal Officiel du 11 février 2016 complétée par la rédaction d’un rapport au Président de la République, précieux guide de lecture.

      Une loi devra ratifier cette ordonnance en principe dans les six mois.

      Vont donc être passées en revue les principales innovations de l’ordonnance qui auront un impact sur les contrats de franchise ou assimilés en examinant successivement les questions suivantes :

      1. Présentation générale de l’ordonnance
      2. Son caractère impératif ou supplétif
      3. Son application dans le temps
      4. Les innovations lors de la formation des contrats
      5. Les actions interrogatoires
      6. Les innovations sur la fixation du prix
      7. Les effets du contrat entre les parties : l’imprévision
      8. Le déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion
      9. La violence économique : l’abus de l’état de dépendance
      10.  La caducité des contrats interdépendants
      11. Les sanctions de l’inexécution.

      Dans le présent article, sont examinés les points 7 à 11 (les points 1 à 6 font l’objet d’un premier article).

      7. Les effets du contrat entre les parties : l’imprévision

      L’article 1195, qui introduit l’imprévision dans le droit des contrats, constitue une des innovations importantes.

      En effet, depuis le célèbre arrêt du Canal de Craponne du 6 mars 1876, la Cour de cassation a toujours refusé la possibilité de modifier les conventions quels que soient les changements du contexte notamment économique.

      Ce nouvel article permet, comme le souligne le rapport, de lutter contre les déséquilibres contractuels qui peuvent survenir en cours d’exécution du contrat.

      Le premier alinéa de l’article 1195 prévoit que l’imprévision est subordonnée à un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat qui rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque à l’origine. Dans ce cas, cette partie peut demander à son cocontractant une renégociation du contrat.

      Le second alinéa de l’article 1195 prévoit qu’en cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe.

      Devant l’imprécision des termes de cet article : « changement« , « circonstances imprévisibles », « exécution excessivement onéreuse« , on attend avec impatience la jurisprudence qui devra définir, notamment en matière de franchise :

      • les cas de changement de circonstances qui étaient imprévisibles lors de la conclusion du contrat pour le franchiseur ou le franchisé ;
      • -à partir de quel seuil l’exécution du contrat de franchise devient-elle « excessivement onéreuse » notamment pour le franchisé ?
      • jusqu’où le juge peut-il de lui-même « réviser« , voire réécrire le contrat de franchise, c’est-à-dire imposer aux parties des clauses nouvelles par rapport à celles qui ont été librement acceptées par elles lors de la conclusion du contrat (changer le prix, les conditions d’exécution, les délais… ?). Autant d’incertitudes…source d’inquiétudes !

      Toutefois la portée de cette innovation relative à l’imprévision est limitée : comme le précise l’article, ce texte a un caractère supplétif et les parties pourront convenir dans le contrat de franchise d’y renoncer, le franchiseur et le franchisé acceptant ainsi d’assumer le risque d’un changement de circonstances imprévisibles.

      Un tribunal pourra néanmoins écarter cette clause sur le fondement du déséquilibre significatif des articles 1171 du Code civil et L.442-6-I.2° du Code de commerce.

      8. Le déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion

      L’article 1110 alinéa 2 commence par définir le contrat d’adhésion comme étant « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties. »

      Puis, l’article 1171 prévoit que, dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties est réputée non écrite.

      Cet article va-t-il s’appliquer aux contrats de franchise ? Autrement dit, le contrat de franchise est-il un contrat d’adhésion ?

      La réponse peut être négative : le candidat-franchisé qui n’accepte pas certaines clauses du contrat peut refuser de le signer et ne pas devenir franchisé.

      La réponse peut également être positive : les conditions générales du contrat de franchise sont déterminées à l’avance par le franchiseur, et c’est normal afin d’éviter des distorsions entre franchisés.

      L’article 1171 s’appliquera donc selon toute vraisemblance aux contrats de franchise et il appartiendra aux tribunaux d’apprécier au cas par cas si telle ou telle clause crée un déséquilibre significatif le plus souvent au détriment du franchisé.

      Il n’y a pas lieu de modifier les contrats sur ce point.

      9. La violence économique : l’abus de l’état de dépendance

      En plus du déséquilibre significatif dans les seuls contrats d’adhésion, l’ordonnance introduit à l’article 1143 la violence, que l’on qualifie d’économique, qui permet d’annuler tous les contrats quels qu’ils soient, « lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »

      La Cour de cassation a déjà décidé que l’exploitation abusive par l’une des parties d’un état de dépendance économique de l’autre partie peut constituer un vice du consentement.

      Le texte rajoute une condition : il faut, pour que le contrat soit annulé, que la partie forte (le franchiseur) en tire un avantage manifestement excessif.

      Face à l’imprécision des textes, il appartiendra aux tribunaux de préciser et d’apprécier, au cas par cas, d’une part, l’abus de l’état de dépendance et, d’autre part, l’avantage manifestement excessif qu’en tirera la partie forte. A partir de quel seuil le franchissement caractérisera l’avantage manifestement excessif ?

      A notre avis, les parties ne pourront déroger à l’article 1143 du Code civil.

      Il n’y a pas lieu de modifier les contrats sur ce point.

      10. La caducité des contrats interdépendants

      Le nouvel article 1186 du Code civil prévoit que « un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît. Lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie. La caducité n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement. »

      Appliqué à la franchise, cet article ne constitue aucunement une innovation : l’article L.341-1 du Code de commerce issu de la loi Macron prévoit que l’ensemble des contrats signés entre la tête de réseau et un magasin de commerce de détail (par exemple, un contrat de franchise, un contrat d’approvisionnement ou de fourniture et un contrat de location-gérance) doit avoir une échéance commune et prendre fin simultanément.

      La cessation de l’un des contrats, pour quelque cause que ce soit, entraine la résiliation de tous les autres et donc la fin de l’ensemble des relations contractuelles.
      Cette disposition de la loi Macron ne faisait d’ailleurs que codifier la jurisprudence en la matière lorsque les contrats sont interdépendants ou indivisibles.

      Il n’y a pas lieu de modifier les contrats sur ce point.

      11. Les sanctions de l’inexécution du contrat

      Comme le note le rapport, le régime de l’inexécution contractuelle constituait l’une des carences du Code civil dont les règles en la matière étaient éparses et incomplètes. L’un des principaux changements est le regroupement dans le Code en une seule section des sanctions présentées à l’article 1217.

      La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut elle-même, comme auparavant, choisir la sanction qui lui parait la plus adaptée, les sanctions qui ne sont pas incompatibles pouvant être cumulées.

      L’exception d’inexécution et l’exception d’inexécution anticipée :
      Le principe de l’exception d’inexécution était absent du Code civil mais néanmoins reconnu par les tribunaux.
      L’article 1219 prévoit qu’une partie peut refuser d’exécuter son obligation si l’autre partie n’exécute pas la sienne.
      Le texte pose toutefois une condition : il faut que l’inexécution soit « suffisamment grave ».
      C’est là que commence la difficulté : en matière de franchise, où le juge fixera-t-il le curseur de la gravité ?

      L’article 1220 constitue une nouveauté : l’exception d’inexécution anticipée permet à une partie de suspendre l’exécution de son obligation, par exemple à un franchiseur de ne pas fournir son assistance à son franchisé, « dès lors qu’il est manifeste » que son franchisé ne paiera pas ses redevances à son échéance.

      Comme le note le rapport, il s’agit d’une faculté pour le créancier de suspendre par anticipation sa prestation avant toute inexécution par son débiteur.

      Le texte pose comme condition que :

      • les conséquences de cette inexécution doivent être suffisamment graves pour le créancier,
      • la décision de suspension par le créancier doit être notifiée au débiteur « dans les meilleurs délais« .

      Ce mécanisme, bien qu’intéressant puisqu’il peut constituer, par exemple pour un franchiseur, un moyen de pression efficace pour inciter le franchisé à payer à terme ses redevances, va poser dans son application une multitude de problèmes que les tribunaux devront trancher, notamment :

      • à moins que le franchisé n’ait déjà déposé son bilan, comment le franchiseur va-t-il prouver « qu’il est manifeste » que son franchisé ne lui paiera pas à terme ses redevances et que, par conséquent, il arrête par anticipation de lui fournir son assistance ?
      • comment le franchiseur pourra-t-il prouver par anticipation que les conséquences de l’inexécution par le franchisé sont « suffisamment graves » pour lui ?
      • le franchiseur pourra-t-il utiliser ce mécanisme si le franchisé lui paie partiellement ses redevances ?

      Cet article 1220 ne précisant pas qu’il est d’ordre public, les parties pourront renoncer à son application en le prévoyant dans le contrat.

      L’exécution forcée en nature :
      L’article 1221 commence par rappeler le principe déjà retenu par les tribunaux selon lequel « le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature. »

      Mais cet article pose deux exceptions :

      • – une exception déjà retenue par les tribunaux : si l’exécution de l’obligation est impossible,
      • – une nouvelle exception : s’il existe une disproportion manifeste entre le coût de l’exécution pour le débiteur et son intérêt pour le créancier, termes que les tribunaux devront préciser.

      L’article 1222 offre une alternative au créancier : « Après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.
      Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette destruction. »

      Le créancier pourra donc faire exécuter par un tiers l’obligation souscrite par un débiteur défaillant, dorénavant sans l’autorisation préalable du juge.

      Les textes précités ne précisant pas qu’ils sont d’ordre public, les parties pourront y déroger.

      Il n’y a pas lieu de modifier les contrats sur ce point.

      La réduction du prix :
      L’article 1223 constitue une nouveauté : il permet au créancier, après mise en demeure, d’accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix.

      Mais peut-on, en matière de franchise, envisager une réduction des redevances moyennant une moindre assistance du franchiseur ?

      Cela risque de remettre en question le principe même de la franchise dont la fourniture de l’assistance par le franchiseur constitue un élément essentiel.

      Cet article ne précisant pas qu’il est d’ordre public, les parties pourront y renoncer en le prévoyant expressément dans le contrat.

      La résolution du contrat inexécuté :
      L’article 1224 rappelle les trois modes de résolution du contrat. Elle résulte :
      – soit de l’application d’une clause résolutoire,
      – soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur,
      – ou d’une décision de justice.

      La réparation du préjudice résultant de l’inexécution du contrat figurant aux articles 1231 à 1231-7 n’est qu’une reprise des textes antérieurs avec quelques ajustements formels.

      Il n’y a donc pas lieu de modifier les contrats sur ce point.

      En conclusion, si on peut approuver d’une façon générale cette réforme du droit des contrats, il nous apparait deux sources d’inquiétude que les tribunaux devront, nous l’espérons, apaiser :

      • la première porte sur la possibilité pour l’une ou l’autre des parties de tenter de remettre en question le contrat, dont celui de franchise, avec l’apparition des nouveaux mécanismes tels la réduction du prix, l’imprévision, l’exception d’inexécution anticipée ;
      • la seconde, qui constitue la contrepartie de la première, repose sur le renforcement du rôle du juge qui pourra aller, en cas d’imprévision, jusqu’à ‘réviser le contrat‘, se substituant ainsi aux parties avec l’aléa judiciaire qui en résulte pour elles.

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