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      Savoir-faire : l’ambiguïté d’une notion clé du contrat de franchise

      Tribune publiée le 12 janvier 2016 par Jason LABRUYERE 
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      Fondamentale pour le contrat, la définition du savoir-faire transmis par le franchiseur au franchisé prête à discussion, souligne l’auteur, juriste en propriété intellectuelle. Qui estime nécessaire de repenser cette notion, avec une approche plus dynamique.

      Pour paraphraser un auteur, peut-on dire que « trois savoirs » gouvernent le monde de la franchise. Il s’agirait du savoir, du savoir-vivre et du savoir-faire. Mais, le plus souvent, le dernier ne tient-il pas lieu des deux autres ?(1)

      Notion fondamentale du contrat de franchise, une certaine ambiguïté gravite autour d’elle. Le contrat de franchise est un contrat de réitération et la notion de savoir-faire en est l’étendard. La cour d’appel de Toulouse rappelle très justement qu’il doit être « identifié, secret et substantiel, pouvant être transmis et permettant de réitérer la réussite du franchiseur en assurant au franchisé un avantage substantiel sur la concurrence »(2). Fort logiquement, étant donné que le savoir-faire est la cause au contrat de franchise : pas de savoir-faire, pas de contrat(3). Mais, indépendamment des effets, la notion en elle-même prête à discussion.

      Sans revenir sur le triptyque de la notion (identifié, secret et substantiel), les informations du savoir-faire doivent être transmises et résulter de l’expérience du franchiseur. Elles doivent être testées par ce dernier. Or, le contrôle de fait opéré par les juges du fond révèle une certaine « souplesse » par rapport à l’appréhension classique que l’on peut se faire du savoir-faire.

      « Le franchisé recherche-t-il une simple transmission de savoir-faire ou la transmission d’un « avantage concurrentiel » ? »

      Tout d’abord, il y a la question de l’unité pilote. Un contrat de franchise sans unité pilote à la signature est difficilement concevable avec la transmission d’un savoir-faire a priori éprouvé par le franchiseur. Est-on dans une réitération d’une réussite commerciale ? Commerçant indépendant et responsable, le franchisé doit-il alors assumer des pertes financières dans une telle hypothèse ?(4)

      Au-delà de cette question, l’ambiguïté peut se situer sur la définition même du savoir-faire. Effectivement, il a été jugé, par exemple, que l’originalité peut résulter de la réunion par le franchiseur de différents éléments connus séparément(5). Même un savoir-faire, a priori banal, consistant notamment dans des directives pour l’entretien de l’établissement, l’organisation, les méthodes de travail et de gestion du réseau, peut-être retenu(6). Mieux, récemment les juges du fond ont retenu, de manière surprenante, que le savoir-faire pouvait être testé par… le franchisé !(7)

      Pourtant, le franchisé, en décidant de s’affilier à un réseau, recherche-t-il une simple transmission de savoir-faire ? Ne recherche-t-il pas plutôt la transmission d’un « avantage concurrentiel » ?(8) La question doit être posée. Cet avantage n’est qu’une périphrase pour évoquer l’assistance permanente du franchiseur et surtout, la recherche d’une rentabilité potentielle du franchisé. L’affiliation à un réseau n’a de sens que si l’affilié a un retour sur investissement. Or, un savoir-faire, en soi, n’est pas rentable.

      « Un savoir-faire d’organisation, de technologie, de gestion »…

      Finalement, ne faudrait-il pas abandonner cette vision statique du savoir-faire et prôner une approche plus dynamique de la notion ? Ce savoir-faire ne serait-il pas plutôt, de manière générale, un savoir-faire d’organisation, de technologie, de gestion, « incluant recherche d’un local adéquat pour l’activité ou le produit proposé, et fourniture de comptes d’exploitation prévisionnels« (9) ? La définition théorique du savoir-faire comme cause du contrat de franchise est dangereuse pour les parties au contrat. D’autant plus que le succès de cette forme de distribution est croissant. Il est nécessaire de repenser la notion et de passer d’un savoir-faire à un « savoir-réussir »(10).

      (1) « Trois savoirs gouvernent le monde : le savoir, le savoir-vivre et le savoir-faire, mais le dernier souvent tient lieu des deux autres » : Ch. CAHIER, Proverbes et Aphorismes, 1856 cité dans le Dictionnaire des proverbes, sentences et maximes, par M. MALOUX, Librairie Larousse, 1960
      (2) CA Toulouse, 25 mai 2004 n° 2004/247226 ; voir également le règlement d’exemption générale des accords verticaux : Règlement Comm. UE no 330/2010, 20 avril 2010, art. 1er, g
      (3) CA Paris, 19 mars 2014 n° 2014/00531 ; CA Paris, 3 octobre 2012, n° 11/05235
      (4) Voir notamment sur la question N. DISSAUX, « L’essai en matière de franchise », RTD.com 2015.403
      (5)  CA Dijon, 10 octobre 1990/0482285
      (6)  CA Paris, 7 mars 2012, n° 10/10744, SARL Eurotel c/ SAS Dynamique hôtels management : JurisData n° 2012-004743
      (7) CA Paris 12 novembre 2014, n° 2011/023862
      (8)  Com., 10 décembre 2013, n° 12-23.115
      (9) O. GAST et P. PEIRANI, « Comptes d’exploitation prévisionnels et franchise : vers un débat d’experts ? », Les Petites Affiches, mai 1999, n° 107, p. 6 : les auteurs soulèvent, eu égard à la jurisprudence, la question de l’entrée progressive de la fourniture de comptes d’exploitation prévisionnels dans le savoir-faire du franchiseur. Autre question en lien avec l’ambiguïté, juridique et économique, de la notion de savoir-faire.
      (10) O. GAST, « Plaidoyer pour une révision de la notion de savoir-faire en matière de franchise : du savoir-faire au savoir-réussir », Les Petites Affiches, novembre 1995, n° 132, p. 9 : l’auteur met en exergue l’importance d’un double savoir-faire : celui lié au concept et celui lié l’organisation du franchiseur.