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      Réforme de la distribution alimentaire : nouvelles critiques

      Tribune publiée le 18 novembre 2011 par François-Luc SIMON 
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      Le projet de loi Lefebvre, voté le 11 octobre à l’Assemblée Nationale, comporte trois dispositions, dont l’auteur dénonce « le caractère hautement critiquable, au plan de la théorie juridique et de la pratique quotidienne de ce secteur d’activité ».

      Le projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, qui vient d’être adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 11 octobre dernier, encadre, dans le secteur de la distribution alimentaire, les relations contractuelles unissant les magasins indépendants à la société tête de réseau, afin de faciliter les changements d’enseigne.

      Retenons ici que cette réforme – sur laquelle il y aurait beaucoup à dire – instaure notamment trois séries de règles nouvelles, destinées à modifier les pratiques analysées dans l’avis rendu le 7 décembre 2010 par l’Autorité de la concurrence, dans les différentes phases de la vie du contrat d’affiliation.

      En effet :

      • pendant la phase précontractuelle, le projet de loi renforce de manière assez maladroite l’obligation d’information pesant sur la structure affiliante ;
      • pendant la phase d’exécution du contrat d’affiliation, le projet de loi limite de manière injustifiée sa durée à 5 ans en cas d’obligation d’approvisionnement quasi-exclusif ;
      • pendant la phase post-contractuelle, enfin, le projet de loi redéfinit à l’excès les conditions de validité des clauses de non-concurrence.

      Voilà de quoi s’interroger encore sur le devenir de ce projet de loi, désormais soumis à l’examen (critique ?) du Sénat.

      Un renforcement « maladroit » de l’obligation d’information précontractuelle pesant sur la structure affiliante

      Selon l’article L.340-3-I du code de commerce, le contrat d’affiliation doit, « à peine de nullité », « être remis à l’exploitant au moins deux mois avant sa signature ».

      Un amendement (n°488) a introduit ce nouveau délai de deux mois. Cette disposition a vocation à renforcer l’obligation d’information précontractuelle pesant sur la structure affiliante. De ce fait, l’intention du législateur est louable : le succès d’un partenariat repose avant tout sur un rapport de confiance qui, pour se nouer en toute connaissance de cause, impose une information de qualité.

      Ce délai, notablement plus long que celui de 20 jours par ailleurs visé à l’article L. 330-3 du code de commerce, se justifierait, à en croire les débats parlementaires, par l’importance des obligations découlant de ces conventions, et les enjeux économiques y afférents, comme si les secteurs non visés par le projet n’en comportaient pas …

      Mais la solution issue du projet de loi modifié nous semble maladroite pour deux raisons. D’une part, en effet, le secteur de la distribution alimentaire est loin d’être le seul à emporter des engagements conséquents pour ses opérateurs et, de ce seul fait, il nous semble bien que l’argument avancé en séance ne suffise pas à justifier la modification apportée. D’autre part, le texte crée « deux poids deux mesures », en imposant un délai de deux mois pour les opérateurs du secteur de la distribution alimentaire et de 20 jours pour tous les autres, ce que rien ne justifie.

      A notre avis, le législateur y gagnerait à retenir la solution, simple et dénuée de toute confusion possible, consistant à retenir que le délai applicable pour la remise de la convention d’affiliation soit le même que celui prévu pour la remise des documents d’information précontractuels, ainsi que le suggéraient d’ailleurs deux amendements successifs (n°287et n° 370).

      Une limitation « injustifiée » de la durée de la convention d’affiliation à 5 ans en cas d’approvisionnement quasi-exclusif

      Selon l’article L.340-4 du code de commerce, « les conventions d’affiliation dont la signature est obligatoire en application du premier alinéa de l’article L. 340-2 et qui comportent une obligation d’approvisionnement à la charge de l’affilié, à concurrence de plus de 80 % de ses achats, ne peuvent être conclues pour une durée supérieure à cinq ans ».

      Selon les deux amendements (n°95 et n°314) qui en sont à l’origine, ce texte est justifié par une volonté d’harmonisation de notre droit avec le droit communautaire.

      Seulement voilà, le droit communautaire ne dit pas cela. En effet, selon l’article 5.1.a) du règlement n° 330/2010, si leur durée dépasse 5 ans ou est indéterminée (en ce compris les CDD avec tacite reconduction au-delà des 5 ans),  les clauses d’approvisionnement à plus de 80 %, ne peuvent pas bénéficier de l’exemption automatique prévue par le règlement (sauf lorsque les biens ou services contractuels sont vendus par l’acheteur à partir de locaux et de terrains dont le fournisseur est propriétaire ou que le fournisseur loue à des tiers non liés à l’acheteur, à condition que la durée de l’obligation de non-concurrence ne dépasse pas la période d’occupation des locaux et des terrains par l’acheteur). Ainsi, la clause ne bénéficie pas d’une exemption automatique. Elle n’est pas pour autant illicite. Sa licéité sera appréciée par la Commission européenne lors d’un examen individuel vérifiant le caractère restrictif de concurrence de la clause sur le marché en cause.

      En interdisant totalement le dépassement de la durée de 5 ans, le projet de loi est bien plus restrictif que le droit communautaire puisque les opérateurs ne peuvent pas dépasser cette durée y compris lorsqu’il n’existe aucun risque d’entente anticoncurrentielle (en d’autres termes, y compris lorsque la clause n’est pas susceptible d’affecter la concurrence sur le marché concerné).

      De plus, le délai de 5 ans n’est pas même souhaitable pour les affiliés eux-mêmes car, dans bon nombre de cas, le financement nécessaire au montage du projet ne pourra être amorti sur une telle durée.

      Un durcissement « excessif « des conditions de validité des clauses de non-concurrence post-contractuelles

      Le texte de l’article L. 340-6 du code de commerce, tel qu’il résulte du projet de loi qui vient d’être adopté en première lecture par l’assemblée nationale, prévoit-il ce qui suit :

      « I. – Toute clause ayant pour effet, après l’échéance ou la résiliation d’une convention d’affiliation, de restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’exploitant qui a précédemment souscrit cette convention d’affiliation dans les conditions prévues à l’article L. 340-1 est réputée non écrite.

      II. – Ne sont pas soumises au I les clauses dont la personne qui s’en prévaut démontre qu’elles remplissent les conditions cumulatives suivantes :

      1° Elles concernent des biens et services en concurrence avec ceux objets de la convention d’affiliation ;

       Elles sont limitées aux terrains et locaux à partir desquels l’exploitant exerce son activité pendant la durée de la convention d’affiliation ;

      3° Elles sont indispensables à la protection du savoir-faire substantiel, spécifique et secret transmis dans le cadre de la convention d’affiliation ;

       Elles n’excèdent pas un an après l’échéance ou la résiliation de la convention d’affiliation. »

      Pour justifier ce nouveau dispositif, l’amendement n°406 indique qu’il s’agit ainsi de restreindre la portée des clauses pouvant s’appliquer après la résiliation ou l’arrivée à échéance d’une convention d’affiliation pour ne les limiter qu’à la protection du savoir-faire et qu’il convient donc de revoir la rédaction de l’article L. 340-6 et de limiter l’effet de telles clauses à la seule protection du savoir-faire acquis par un établissement au sein d’un groupe de distribution en reprenant les conditions de validité des exemptions applicables aux accords verticaux (règlement (UE) n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, §. 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées).

      Ici encore, la rédaction du futur article L.340-6 du code de commerce va bien au-delà des dispositions du droit communautaire de la concurrence. En effet, le règlement communautaire n° 330/2010, dont la future disposition se prévaut,  pose uniquement en son article 5.3 les conditions dans lesquelles les clauses de non concurrence ne créent pas de risque concurrentiel (et sont donc automatiquement exemptées). Le droit communautaire autorise ainsi les parties à un accord de distribution à prévoir des clauses allant au-delà des conditions qu’il contient, tant que celles-ci ne créent pas de restriction de concurrence (les clauses feront alors l’objet d’une analyse concurrentielle individuelle, pour vérifier leur impact concurrentiel sur le marché concerné).

      En prévoyant une interdiction absolue des clauses d’une durée supérieure à un an, ou géographiquement plus étendues que les locaux du distributeur, le projet de loi interdit de nombreux accords qui seraient parfaitement valables au regard du droit de la concurrence.

      Enfin, la réforme opère un bien curieux renversement de la charge de la preuve dès lors qu’il appartient donc – ainsi que le précise expressément le II° de ce texte – à la personne qui s’en prévaut, c’est-à-dire la tête de réseau, de démontrer que ces quatre conditions cumulatives sont bien réunies.

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