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      Le franchisé est-il le client du franchiseur ?

      Tribune publiée le 7 novembre 2018 par François PELTIER 
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      Si la langue est une forte composante de la culture d’un peuple, le vocabulaire courant peut révéler la culture d’entreprise. L’étude sémantique des enseignes, pas assez répandue aux yeux de l’auteur, François Peltier, peut selon lui se révéler très instructive au cœur d’une réflexion stratégique.

      Par François PELTIER, Coach certifié et formateur, TGS France

      Le vocable « franchisé », universellement employé dans le monde des enseignes, désigne le commerçant à qui une entreprise a concédé l’exploitation de sa marque sur un territoire ; quant au grand public, il voit la franchise partout dès qu’il aperçoit une enseigne pour la  deuxième fois.

      Pourtant, certains franchiseurs réputés appellent leurs franchisés « clients ». Le cas n’est pas rare, surtout lorsque le concept suppose l’approvisionnement du franchisé par le franchiseur.

      L’étymologie semble leur donner raison, le sens premier du mot, indiquant « celui qui est placé sous la protection de… » (Tant pis s’il induisait une relation de supérieur à inférieur.) La médecine de jadis, peut-être plus préventive, avait légitimement ses clients ; elle a maintenant ses patients. Les avocats protègent et défendent leurs clients. Et le commerçant qui entreprend en franchise place, dans une certaine mesure, son point de vente sous la protection du franchiseur.

      Le franchiseur qui appelle ses franchisés des « clients » : une réserve psychologique…

      Cependant, l’acception contemporaine du mot « client » nous conduit à émettre au moins deux réserves. La première, psychologique, se trouve entre les lignes du propos de François Michelin : « Un client qui n’a qu’un seul fournisseur cesse d’être intelligent ; l’absence de concurrence conduit à une perte de substance phénoménale. » A la différence de l’animal (est-ce du « spécisme » ?), tout être humain est client de quelqu’un ; c’est la noblesse du commerce que de rester l’un des fondements de la vie sociale. En tant que client, nous avons tous fait l’expérience que, insatisfaits d’un fournisseur (prix, produit, service), nous avions pour vengeance le concurrent. Le franchiseur qui appelle ses franchisés des « clients » induit par ce terme désormais connoté cette possibilité de « vengeance », pourtant contradictoire au contrat de franchise.

      …et une réserve juridique, inscrite dans la notion de « transmission du savoir-faire »

      La deuxième, juridique, est inscrite dans la notion de « transmission du savoir-faire ». Dans son fondement, la relation franchiseur-franchisé instaurée par le contrat de franchise ne se réduit pas à un produit fourni. Du fait de la « transmission », cette relation ressemble moins à une relation client-fournisseur (bien qu’elle puisse la contenir), qu’à une relation de « maître à disciple » (disciple : « celui qui apprend »)  chère à la philosophie : « Agis de telle façon que la maxime de ton action puisse servir de règle à tous les hommes », écrit Kant.

      Appeler ses franchisés « disciples » serait grotesque, et douteux, bien sûr.

      « Clients » semble réduire la singularité de cette relation.

      « Partenaires » employé par quelques rares enseignes, serait  légitime si on l’entend à la façon Beaumarchais : « Personne ou collectivité qui a des intérêts communs avec d’autres », et enchanteur à la façon moyenâgeuse : « Celui, celle avec qui on danse ». Mais les connotations de ce terme sont innombrables et ambigües aujourd’hui, à commencer par celle « d’associé » (on pense aussi à d’autres connotations que Brassens m’a défendu de nommer ici).

      Gardons « franchisés » ! Le terme est spécifique ; on sait ce qu’il renferme d’indépendance, d’obligations réciproques, d’aventures communes.

      Pour Confucius : « Qui ne connaît la valeur des mots ne saurait connaître les hommes. »