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      Quelle sanction pour la franchise non rentable ?

      Tribune publiée le 9 mars 2020 par Patrice MIHAÏLOV 
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      Deux décisions rendues dernièrement illustrent « la difficulté pour les franchisés d’obtenir la condamnation d’un franchiseur incompétent », selon l’auteur, avocat. Pour qui « les franchisés doivent se montrer très vigilants et réactifs » au moment de contracter.

      Patrice Mihailov, Avocat, Cabinet Mihailov AvocatsPar Patrice MIHAILOV, Avocat, Cabinet MIHAILOV AVOCATS

      Deux décisions – un jugement définitif[1] et un arrêt d’appel[2] – rendues dernièrement dans le cadre d’une franchise de fleuriste, illustrent la difficulté pour les franchisés d’obtenir la condamnation d’un franchiseur incompétent.

      Dans ces affaires, le franchiseur était en difficulté de longue date, n’étant jamais parvenu à rentabiliser le modèle de sa franchise : magasin pilote accumulant de lourdes pertes, dépôt de bilan du franchiseur et plan de sauvegarde, liquidation judiciaire ou fermeture successive des filiales assurant la fourniture des services contractuels, absence totale d’investissement dans la publicité nationale, fourniture des produits à des tarifs plus élevés que ceux des indépendants, taux de mécontentement du réseau supérieur à 90 % et perte de l’essentiel des franchisés qui composaient le réseau.

      Les deux franchisés concernés par nos décisions n’ont maintenu leur exploitation à flot qu’en apportant de nouveaux capitaux et en faisant le sacrifice de leur rémunération : le premier n’a retiré de son magasin qu’un revenu mensuel moyen de 170 euros et le second, de 300 euros.

      Autant dire qu’ils ne pouvaient tout simplement pas vivre de leur activité.

      L’un et l’autre ont été contraints d’interrompre le paiement de leurs redevances, non pas en manière de rébellion, mais parce que leur trésorerie ne le permettait plus.

      Non seulement le franchiseur n’a pas consenti à les libérer d’un contrat qui les ruinait, mais il les a assignés en paiement des redevances qu’il estimait lui être dues, augmentées de fortes indemnités.

      « Le franchiseur peut-il exiger de bonne foi la poursuite d’un contrat qui n’est pas rentable ? »

      Les questions posées au Juge par les franchisés dans chacun de ces deux procès étaient assez simples : le franchiseur peut-il exiger de bonne foi la poursuite d’un contrat qui n’est pas rentable ?

      A-t-il rempli son obligation de transmission d’un savoir-faire rentable, s’il ne justifie pas d’un modèle profitable, s’il constate qu’une part significative de son réseau connaît de graves difficultés et si les deux franchisés poursuivis sont eux-mêmes incapables d’accéder à la rentabilité ?

      Ni le Tribunal de commerce de Paris, ni la Cour d’Appel d’Amiens n’ont répondu à ces questions, qui ont été purement et simplement esquivées.

      Les Juges se sont bornés à examiner si les obligations précisément souscrites par le franchiseur avaient été dûment exécutées et ont finalement retenu qu’elles ne l’avaient pas été.

      En particulier, ils ont jugé que la brusque fermeture de la centrale d’achat – en liquidation judiciaire – et son remplacement par une centrale de référencement aménageant des conditions d’achat plus onéreuses que celles des fleuristes indépendants, revêtaient un caractère fautif.

      « Le savoir-faire transmis doit être rentable »

      Dans la première des deux affaires, le Juge a également retenu que l’absence de publicité nationale, que ne remplaçait pas la mise en œuvre d’opérations promotionnelles, l’absence de formation continue et l’absence d’animation du réseau, constituaient des manquements du franchiseur à ses obligations.

      En définitive, dans la première de ces affaires, le franchiseur a été débouté de sa demande de paiement des redevances pour 46.000 euros (ainsi que des indemnités réclamées à hauteur de 200.000 euros !) et a été condamné à payer au franchisé 30.000 euros de dommages et intérêts.

      Dans la seconde de ces affaires, le franchiseur a obtenu la condamnation du franchisé à lui payer 52.000 euros de redevances, au motif que certaines prestations avaient quand même dû être fournies, tout en étant débouté de la demande d’indemnités formée à hauteur de 50.000 euros et même condamné à verser 30.000 euros de dommages et intérêts au franchisé.

      Autant dire que dans les deux cas, le préjudice des franchisés a été mal réparé, même si l’on peut considérer que le Juge leur a permis de sortir de la franchise dans des conditions supportables, en dépit des prétentions contraires du franchiseur.

      La Cour d’appel de Paris et la Cour de cassation ont déjà jugé à plusieurs reprises, que « le savoir-faire transmis doit être rentable »[3], que dans le contrat de franchise « l’espérance de gain est déterminante (…) »[4] et que (…) l’exploitation rentable d’un savoir-faire expérimenté [est] la cause du contrat, la contrepartie des redevances versées périodiquement, (…) le contrat [devant] permettre (…) d’exploiter un savoir-faire rentable autrement dit de réitérer une réussite commerciale »[5].

      Force est de constater que les tribunaux peinent bien souvent à mettre en œuvre ces principes, de sorte que les franchisés doivent se montrer très vigilants et réactifs, que ce soit au moment de contracter ou dès que la réalité de la relation est découverte.

      [1] TC Paris, 14 Juin 2017, n° 2015038001.

      [2] CA Amiens, 24 Octobre 2019, n° 18/02936.

      [3] Paris, 19 Mars 2014, n° 12/12035.

      [4] Com., 12 Juin 2012, n° 11-19047.

      [5] Paris, 13 Novembre 2013, n° 11/23262.