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      Prévisionnels en franchise : une question toujours aussi délicate - Brève du 3 octobre 2025

      Brève
      3 octobre 2025

      Un franchisé estimant avoir été trompé par son franchiseur sur le potentiel de son projet ne parvient pas à en convaincre les juges. Selon eux, son consentement n’a pas été vicié. Il n’y a donc pas lieu d’annuler le contrat ni de lui accorder des indemnités.

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceLa cour d’appel de Nîmes s’est prononcée le 19 septembre 2025 dans un litige opposant un franchisé et un franchiseur à propos de comptes prévisionnels.

      Dans cette affaire, un contrat de franchise de 9 ans est signé en juin 2013 pour une ouverture en région parisienne en décembre de la même année.

      En même temps, le franchisé réserve auprès de l’enseigne pour dix-huit mois un territoire voisin dans la perspective de l’ouverture éventuelle d’un deuxième point de vente. Un droit de priorité lui est également concédé pour quatre départements limitrophes.

      Exploité depuis 2009 et comptant alors quatre unités en propre, le concept qui se développe en franchise depuis 2010 n’en est encore qu’à ses débuts lors de la signature de ces contrats*, mais il connaît un certain succès puisqu’il ouvre cette année-là (2013) un nouvel établissement franchisé par mois.

      Après un premier semestre au-dessus des prévisions, l’activité du franchisé faiblit

      Pour le franchisé francilien, le premier semestre d’activité de 2014 est prometteur, mais le second nettement moins. Au total sur l’année, le chiffre d’affaires réalisé est de 13 % inférieur aux prévisions : 1,7 M€ au lieu de 1,9 (montants arrondis).

      La tendance n’est pas bonne et le franchisé s’inquiète. Il l’écrit dans des courriels au franchiseur en août, en septembre, en octobre. Il demande à avoir des informations sur l’activité de ses collègues franchisés, ce qu’il n’obtient pas.

      En revanche, on lui communique des données sur les concurrents de sa zone, faisant apparaître qu’ils maintiennent, eux, leur niveau d’activité.

      Le franchisé cherche en vain des solutions et à la fin de sa première année d’exploitation renonce à son projet de seconde ouverture

      Il en déduit qu’il devrait, comme eux, augmenter sa gamme d’une offre à petits prix. Une demande qu’il réitère à deux reprises à son franchiseur. Sans réponse positive apparemment.

      Début octobre, il est encore suffisamment confiant pour confirmer son option sur l’ouverture d’un deuxième établissement à l’enseigne dans le territoire qu’il a réservé.

      Mais dans un courrier du 1er décembre 2014, il annonce à son partenaire qu’il se ravise et renonce provisoirement à ce projet.

      Il explique que, dans la mesure où son chiffre d’affaires a tendance à se stabiliser à un niveau bas de 100 000 € par mois (1,2 M€ par an), il n’aura pas les moyens de financer une nouvelle implantation. En tout cas pas avant que les clients reviennent plus nombreux « grâce à la nouvelle carte »…

      Après six ans de collaboration, il assigne en justice son franchiseur qui, il en est convaincu, lui a communiqué des prévisionnels trompeurs

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      Le franchisé poursuit sa collaboration. Mais en 2015, le chiffre d’affaires de son entreprise n’atteint pas le million d’euros (un peu moins de 950 000 €) au lieu des 1 960 000 € envisagés par le prévisionnel.

      En juin 2019, il adresse une proposition de protocole transactionnel au franchiseur, que celui-ci refuse.

      Début décembre de la même année, il l’assigne en justice, réclamant la nullité de son contrat pour vice du consentement, le remboursement du droit d’entrée et des redevances versées, ainsi que des dommages et intérêts de plusieurs millions d’euros pour perte de marge commerciale, perte de valeur d’actif et perte de chance concernant ses investissements.

      Il estime en effet avoir reçu des prévisionnels erronés de la part de son franchiseur, avoir été contraint de « pratiquer une politique tarifaire en inadéquation avec la qualité des produits servis », avoir « subi des dysfonctionnements du réseau » et avoir été « laissé seul sans assistance » face à ces difficultés.

      Bref, il reproche à son franchiseur de l’avoir contraint à réviser ses ambitions de réussite financière nettement à la baisse.

      En mai 2022, quelques jours avant l’échéance, il met fin à son contrat et poursuit son activité sous une autre enseigne.

      Débouté de ses demandes en première instance, il fait appel.

      Pour la cour d’appel, le franchiseur a communiqué des données qui n’étaient pas irréalistes pour la première année d’exploitation

      La cour d’appel de Nîmes refuse de prononcer la nullité du contrat de franchise pour vice du consentement.

      D’abord parce que, relève-t-elle, c’est le franchisé qui a mandaté l’expert-comptable auteur du prévisionnel et qui lui a transmis l’ensemble des informations nécessaires à ses calculs.

      Certes, reconnaissent les juges, un représentant du franchiseur a transmis au futur franchisé des « prévisionnels flashs » en février 2013. Et c’est le franchiseur qui a recommandé l’expert-comptable à son futur partenaire.

      C’est aussi le franchiseur qui a demandé à une société spécialisée de réaliser début 2013 une étude de marché dont les conclusions ont servi de base au prévisionnel.

      Mais les hypothèses qui concluent cette étude de marché portaient « uniquement (sur) la première année d’exploitation » avec un chiffre d’affaires de 1,7 M€ pour la fourchette basse, 2 pour la haute et 1,9 pour la moyenne, option qui a été finalement retenue par le franchisé.

      Et ces prévisions n’étaient « ni erronées ni irréalistes » selon la cour puisqu’elles étaient basées sur la moyenne des CA réalisés par les quatre établissements du franchiseur et que le franchisé les a presque atteintes, à 13 % près.

      Les magistrats ajoutent que ce type d’étude de marché n’a rien de contractuel et qu’il existe toujours une marge d’erreur lorsqu’il y a prévision.

      Pour la deuxième année d’exploitation, l’écart de 52 % entre les prévisions et la réalité n’est pas du fait du franchiseur, estime la cour d’appel

      Contract signatureQuant à la deuxième année d’exploitation, soulignent les magistrats, c’est le franchisé qui a lui-même communiqué les données nécessaires à l’expert-comptable en se basant notamment sur l’ouverture annoncée pour cette année-là (en 2015) d’un centre commercial Leclerc sur la zone.

      Enfin, s’il est vrai que le chiffre d’affaires de la société franchisée a nettement fléchi alors avec un écart de 52 % par rapport aux prévisions, c’est parce qu’elle a « cessé de proposer un service en continu ».

      Certes, cela lui a permis, en allégeant sensiblement ses charges salariales, d’éviter les pertes – qui s’étaient élevées à 40 000 € en 2014 – et d’afficher « un résultat d’exploitation positif », ce qui a d’ailleurs continué jusqu’en 2018.

      Mais « si ce changement (de politique commerciale) a été bénéfique à la société franchisée, elle ne peut pas faire grief au franchiseur de lui avoir transmis des données (trompeuses) concernant le CA prévisionnel basé sur un service continu ».

      « Par conséquent, en déduit la cour d’appel de Nîmes, la preuve n’est pas rapportée de ce que l’étude prévisionnelle a été effectuée en prenant en compte des données erronées et irréalistes du franchiseur, qui aurait ainsi vicié le consentement du franchisé ou manqué à son obligation d’assistance. »

      Et peu importe que le franchiseur ait par son silence validé le prévisionnel qui lui a été transmis par le franchisé avant la signature du contrat. Puisque les prévisions pour la première année n’étaient pas irréalistes et que le décalage de la deuxième année est dû à une décision du franchisé

      Pas de nullité du contrat de franchise et pas d’indemnités pour le franchisé qui continue son activité sous une autre enseigne sans pénalité

      La cour n’annule donc pas le contrat de franchise mais confirme le jugement de première instance qui prononçait sa résiliation aux torts exclusifs du franchisé.

      De même, elle le condamne à s’acquitter d’un peu plus de 2 500 € pour rupture anticipée et non justifiée du contrat (le 22 mai au lieu du 5 juin 2022).

      Toutefois, les juges refusent d’accorder au franchiseur les dommages et intérêts de 50 000 € qu’il réclamait en compensation du préjudice financier subi selon lui par « la disparition locale de l’enseigne », compte tenu notamment de la date très proche de la fin prévue du contrat.

      De même, ils refusent de lui accorder 10 000 € en compensation de « l’utilisation de ses concepts » par le franchisé dans sa nouvelle activité. Des concepts qui, selon les juges, ne sont que « des déclinaisons d’idées » venues d’ailleurs et « pas spécifiques » au franchiseur.

      Par ailleurs, la cour condamne le franchiseur à s’acquitter de plus de 38 000 € TTC au titre des RFA (remises de fin d’année) non reversées au franchisé pour les exercices 2019 à 2021.

      Elle s’appuie sur cette décision pour considérer que la procédure déclenchée par le franchisé n’était pas abusive. Le franchisé n’est donc pas condamné pour ce motif ni à une amende civile de 10 000 € ni aux 20 000 € de dommages et intérêts que réclamait le franchiseur.

      *Aujourd’hui, le réseau affiche 52 établissements en France sur son site internet.

      >Référence de la décision :

      -Cour d’appel de Nîmes, 4e chambre commerciale, 19 septembre 2025, n° 23/01502