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      Franchise ou licence de marque : l’information précontractuelle ne doit pas s’arrêter après la remise du DIP - Brève du 23 janvier 2025

      Brève
      23 janvier 2025

      La Cour de cassation le réaffirme : si des faits susceptibles de modifier le choix du futur franchisé surviennent entre la remise du DIP et la signature du contrat, ils doivent être portés à sa connaissance sous peine d’annulation de l’accord. Le fait d’être développé en licence de marque ne change rien à la règle.

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      La Cour de cassation vient d’annuler un arrêt de la cour d’appel de Paris qui refusait à une société affiliée l’annulation de son contrat de licence de marque.

      Par cette décision, la plus haute juridiction française rappelle, comme elle l’avait déjà fait dans un arrêt du 26 juin 2024, que, même après la transmission du DIP (Document d’information précontractuelle), les franchiseurs et les têtes de réseau doivent veiller à transmettre à leurs futurs partenaires avant la signature de leur contrat toutes les informations qui peuvent être décisives pour eux.

      Dans cette affaire, le DIP est délivré en septembre 2010 et le contrat de licence de marque signé en octobre 2011, soit plus d’un an après. Au programme : l’ouverture d’une unité adhérant à un concept innovant développé par un groupe déjà à la tête de plusieurs chaînes dans son secteur d’activité.

      Mais la clientèle spécifique qui devait se précipiter n’est pas au rendez-vous et en mai 2014, la société affiliée en licence de marque assigne la tête de réseau en justice. Elle réclame, entre autres, l’annulation de son contrat pour vice du consentement accompagnée de diverses indemnités.

      Après avoir fait l’objet d’une procédure de sauvegarde, elle est placée en redressement puis en liquidation judiciaire et se voit déboutée de sa demande en 2020 par un tribunal de commerce.

      Selon la société affiliée en licence de marque, son partenaire lui a caché l’état réel du réseau et transmis des prévisionnels inexacts

      Devant la cour d’appel de Paris, la défense de la licenciée fait à nouveau la liste de ses reproches, parmi lesquels le caractère trompeur de l’information précontractuelle et des prévisionnels transmis.

      Selon la société plaignante, au moment de la signature du contrat, le développeur de la marque ne lui a pas décrit l’état réel de sa chaîne. Or, de nombreux membres subissaient des pertes d’exploitation, certains avaient fait l’objet de liquidation judiciaire tandis que d’autres étaient en procès avec la tête de réseau.

      Quant aux chiffres prévisionnels fournis par les responsables du groupe d’enseignes avant 2011, ils s’étaient avérés « supérieurs en moyenne de 78,5 % »  à ceux de la société affiliée. Selon elle toujours, 92 % des membres du réseau ne les ont jamais atteints.

      Enfin, si le concept a rassemblé jusqu’à 90 unités partenaires, il n’y en avait déjà plus que 63 en 2011 et plus du tout au moment du procès en appel. Des chiffres contestés toutefois par la tête de réseau.

      Pour la cour d’appel, la dissimulation de la réalité n’était pas démontrée et les prévisionnels transmis n’engageaient pas la tête de réseau

      Par un arrêt du 8 février 2023, la cour d’appel de Paris écarte la demande de la société affiliée.

      Pour les magistrats parisiens, « il n’est pas démontré » que la réalité de l’état du réseau « ait été dissimulée au futur contractant ». Car le DIP contenait « des éléments relatifs à des liquidations judiciaires subies par certains exploitants », tandis que l’on ne peut pas reprocher au DIP de ne pas avoir mentionné celles qui sont survenues postérieurement à sa remise en septembre 2010…

      S’agissant par ailleurs des prévisionnels-types transmis, la cour relève qu’ils étaient « non-contractuels ». Pour elle, la société affiliée « ne démontre pas (…) qu’elle aurait conclu le contrat (…) à des conditions différentes si elle avait eu connaissance d’informations plus précises et exactes (en la matière) ».

      Les juges ajoutent à la décharge de la tête de réseau qu’il s’agissait « d’un concept nouveau sur un marché nouveau » et, en chargeant au contraire l’affiliée, que la situation du local « en haut d’un escalier peu fréquenté (d’un centre commercial) » explique « peut-être » l’échec qu’elle a subi.

      La Cour de cassation reproche à la cour d’appel de ne pas avoir tenu compte des sorties de réseau survenues après la transmission du DIP

      Cour de cassation juridique franchiseSaisie par la société affiliée, la Cour de cassation annule l’arrêt d’appel en faisant explicitement référence aux articles L.330-3 du code de commerce et 1116 du code civil (version d’avant 2016)*.

      La plus haute juridiction française reproche aux juges parisiens de « ne pas avoir recherché comme il le (leur) était demandé si entre la date de transmission du DIP (septembre 2010) et la date de signature du contrat de « licence de marque » (octobre 2011), la situation du réseau ne s’était pas trouvée modifiée dans des conditions telles que le franchisé ne se serait pas engagé s’il avait été informé du nombre réel de sorties de réseau au 30 septembre 2011 ».

      La Cour fait en particulier référence « au prononcé de liquidations judiciaires » survenues pendant cette période et à « la procédure judiciaire engagée le 18 mars 2011 par des membres du réseau à l’encontre (de la société qui le dirigeait) ».

      Pour la Cour de cassation, les magistrats d’appel auraient dû sanctionner « l’omission d’informations révélatrices d’un risque élevé d’échec » de l’entreprise affiliée

      Enfin, la Cour de cassation estime que la cour d’appel « n’a pas tiré les conséquences légales de ses (propres) constatations ».

      En effet, « après avoir constaté » que la société tête de réseau « avait transmis des bilans prévisionnels inexacts » et dissimulé à sa future partenaire l’état réel du réseau, les magistrats d’appel auraient dû en déduire « l’omission d’informations révélatrices du risque élevé d’échec de l’ouverture (du point de vente) ». Des informations qui, « si la société (affiliée) les avaient connues, étaient de nature à la dissuader de contracter ».

      L’affaire est renvoyée pour être rejugée devant la cour d’appel de Paris « autrement composée ».

      *Pour la Cour, il « résulte » de l’article L.330-1 du code de commerce (entre autres) que « si les comptes prévisionnels ne figurent pas dans les éléments devant se trouver dans le document d’information précontractuelle (DIP), ils doivent, lorsqu’ils sont communiqués, présenter un caractère sérieux. »

      Quant à l’article 1116 du code civil (ancien), il stipule que « le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté ». 

       

      >Références des décisions citées :

      -Cour de cassation, civile, chambre commerciale, 4 décembre 2024, 23-16.684

      -Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 4, 8 mars 2023, RG n° 20/08662

       

      >A lire aussi sur le sujet :

      -L’article d’Anouk Bories, maître de conférences à l’université de Montpellier, paru sur le sujet dans la Lettre de la Distribution de janvier 2025