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      Le groupe de franchise Domino’s Pizza condamné à 500 000 € d’amende - Brève du 12 janvier 2022

      Brève
      12 janvier 2022

      La cour d’appel de Paris inflige, à la demande du Ministère de l’économie, une amende de 500 000 € à Domino’s Pizza. Motif : ne pas avoir modifié des clauses et des pratiques – sources de déséquilibre aux dépens des franchisés – lors du rachat du réseau Pizza Sprint en 2016.

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceLa cour d’appel de Paris vient de prendre position le 5 janvier 2022 dans le conflit qui oppose depuis 2017 le Ministère de l’économie au groupe de franchise Domino’s Pizza.

      On se souvient sans doute que, suite au rachat du réseau Pizza Sprint par Domino’s pour 35 millions d’euros en janvier 2016, le repreneur avait indiqué clairement sa volonté de faire passer sous son enseigne le plus possible des 89 points de vente. Cette annonce avait inquiété nombre de franchisés Pizza Sprint, peu tentés alors d’adopter le concept de leur ex-concurrent, ses 12,5 % de redevances au lieu de 4,5 %, ses produits selon eux de moins bonne qualité et, à leur avis, sa rentabilité moindre. Une association de 43 franchisés sur 67 s’était constituée et des actions de négociation ou d’assignation en justice selon les cas avaient été déclenchées.

      De son côté, suite à une enquête de la Direction de la concurrence (DGCCRF) réalisée entre 2013 et 2016 auprès d’une douzaine de réseaux de franchise de la restauration rapide, le Ministère de l’économie a entamé, en 2017, une action en justice contre le groupe Domino’s Pizza. Le Ministre pointait du doigt une dizaine de clauses ou de pratiques de Pizza Sprint conservées par le repreneur entrainant selon Bercy un déséquilibre significatif. Il réclamait leur annulation et cessation ainsi qu’une amende civile de 2 millions d’euros. Par ailleurs, 36 franchisés se sont joints à lui afin de le soutenir dans cette procédure.

      Le 22 octobre 2019, le tribunal de commerce de Rennes rendait dans cette affaire un jugement très mitigé, reconnaissant le caractère déséquilibré de trois clauses, mais déboutant pour l’essentiel le Ministre. Saisie, la cour d’appel de Paris se montre aujourd’hui plus sévère à l’égard du groupe de franchise.

      Pour la cour d’appel, la mise en œuvre de la clause d’approvisionnement crée un déséquilibre significatif aux dépens des franchisés

      La cour s’en prend d’abord à la clause et aux pratiques d‘approvisionnement de la société Fra-Ma-Pizz, franchiseur de Pizza Sprint racheté par Domino’s Pizza. Elle estime que « contrairement à ce que laissait présager la rédaction de la clause, en pratique les franchisés devaient s’approvisionner exclusivement ou quasi-exclusivement » auprès… d’un seul fournisseur : la société Pizza Center, une des filiales du franchiseur.

      Cette situation résultait « d’une forte pression, voire de menaces de résiliation de la part du franchiseur (et de ses animateurs). » De même, la mise en œuvre d’une « clause de stock minimum contraignait en pratique (les franchisés) » à passer des commandes parfois au-dessus de leurs besoins.

      Par ailleurs, au vu des pièces fournies aux débats, les juges ont constaté que plusieurs fournisseurs connus du secteur proposaient les mêmes produits « à des prix nettement plus bas ». Pour la cour, rien ne prouve donc que « les franchisés bénéficiaient d’un avantage concurrentiel à s’approvisionner » auprès de la filiale du franchiseur. Laquelle percevait pour sa part les remises commerciales des fournisseurs référencés liées au volume d’achat du réseau.

      Enfin, « les franchisés étaient soumis par (le franchiseur), d’une part à une très forte incitation à suivre une politique tarifaire unique dans le réseau (…), d’autre part à l’utilisation d’un système informatique ne leur permettant pas aisément d’établir eux- mêmes leurs prix ».

      De même, « les franchisés étaient soumis à des campagnes promotionnelles décidées unilatéralement par le franchiseur avec des commandes d’éléments marketing imposés aux franchisés à leurs frais, qui ne leur étaient pas toujours favorables. »

      Pour la cour, tout montre que le franchiseur « retirait un avantage excessif des clauses d’approvisionnement et de stock minimum » qui n’étaient équilibrées « ni par d’autres clauses du contrat ni ne trouvaient dans leur mise en œuvre de justification (…) »  

      La cour n’annule pas ces clauses car le déséquilibre significatif engendré « ne vient pas de leur rédaction mais de leur mise en œuvre ». Toutefois elle « enjoint » au franchiseur de cesser ces pratiques.

      La cour annule la clause d’intuitu personae pour déséquilibre significatif

      Restaurant franchisé Pizza Sprint livraison de pizzasLa cour annule ensuite la clause d’intuitu personae du contrat Pizza Sprint pour « déséquilibre significatif entre les droits du franchiseur et les obligations du franchisé ».

      La clause imposait au franchisé d’informer le franchiseur de tout projet « ayant une incidence » sur la répartition du capital de la société franchisée, de son actionnariat ou de l’identité de ses dirigeants au moins deux mois avant de réaliser l’opération.

      Elle ouvrait au franchiseur ainsi informé la possibilité de résilier le contrat du franchisé de manière anticipée sans devoir lui verser la moindre somme d’argent. Alors que la réciproque n’était pas vraie.

      Or, pour la cour, si le franchiseur a signé le contrat en fonction de la personne du franchisé, de ses qualités, de ses aptitudes à faire partie du réseau, le franchisé lui aussi a choisi son franchiseur pour notamment son concept, sa marque, sa solidité, ses perspectives de développement, etc.

      Par conséquent, «un changement dans la structure de l’actionnariat du franchiseur ou un changement de dirigeant sont de nature à avoir également “une incidence” (sur le franchisé) ».

      Le rachat par un réseau concurrent par exemple peut « bouleverser l’équilibre » de l’entreprise franchisée, « ce qui est d’autant plus problématique dans le cas où (comme ici) le franchisé ne peut pas résilier le contrat à son initiative » sans pénalité.

      Pour les magistrats, le déséquilibre s’est en outre « vérifié dans les faits » puisque les franchisés « ont été mis devant le fait accompli » de la vente de leur réseau à leur principal concurrent et que leur réseau initial a, depuis, complètement fondu, passant « entre 2016 et 2018 de 89 à 11 magasins puis à 4 en avril 2020 ».

      Le jugement de première instance est donc confirmé sur ce point : les juges ordonnent au groupe Domino’s Pizza de « modifier, en les rédigeant correctement, les clauses intuitu personae des contrats » Pizza Sprint.

      Les juges ne voient pas d’autres déséquilibres significatifs (sauf un)

      La cour d’appel de Paris annule encore la clause de résiliation du contrat dans sa version d’avant 2012, notamment parce qu’elle ne prévoyait pas la faculté pour chacune des parties de résilier le contrat en cas de manquement par l’autre partie à l’une de ses obligations contractuelles. La version postérieure à 2012 est en revanche validée.

      De même, les magistrats parisiens valident la clause d’aménagement des points de vente bien que le Ministre ait, là aussi, argué du déséquilibre significatif engendré à son avis par les pratiques du franchiseur.

      Les franchisés étaient – selon lui et selon le témoignage de plusieurs d’entre eux – dans l’impossibilité en pratique de passer par un autre architecte que la filiale dédiée du franchiseur. Laquelle pratiquait des prix plus élevés (de 7 % environ) que d’autres prestataires tout en exigeant des commissions de la part des entreprises qu’elle sélectionnait.

      La clause n’est cependant pas considérée comme créant un déséquilibre significatif puisqu’elle ouvre formellement la possibilité de s’adresser à un autre architecte et que, comme les juges l’ont constaté, « plusieurs franchisés ont pu y avoir recours sans difficulté. »

      Comme le tribunal de commerce de Rennes en 2019, la cour d’appel écarte aussi pour manque de preuve les accusations de déséquilibre ou de mauvaises pratiques concernant la formation initiale et sa supposée double facturation, les forfaits marketing facturés en plus des redevances, les nombreux frais accessoires ou encore le contrôle des points de vente par les clients mystères et les animateurs.

      Une amende de 500 000 € et sa publicité infligées au groupe Domino’s Pizza pour « pratiques restrictives de concurrence »

      Ministère de l'Economie et des Finances, BercyEn revanche, contrairement aux premiers juges, la cour d’appel ne déboute pas le Ministre de sa demande de sanction financière.

      Pour les magistrats parisiens, « le déséquilibre significatif mis en œuvre dans les clauses et pratiques déloyales relatives à l’intuitu personae, l’approvisionnement exclusif et le stock minimum par les sociétés Fra-Ma-Pizz, Pizza Center et Domino’s Pizza au détriment des franchisés a causé un dommage à l’économie du système de distribution de la franchise. »

      « Compte tenu de la gravité des manquements, de leur durée sur plusieurs années, du trouble à l’ordre public économique, de l’importance des sociétés en cause dans le secteur de la franchise et de la restauration rapide, et de la fonction dissuasive de l’amende, il y a lieu de prononcer une amende civile à hauteur de 500 000 euros. »

      Les trois sociétés du groupe sont condamnées solidairement à cette amende : Fra-Ma-Pizz pour avoir « rédigé et signé les clauses litigieuses », Pizza Center pour avoir « directement participé aux pratiques concernant l’approvisionnement » et Domino’s Pizza pour avoir « directement bénéficié lors de la prise de contrôle (des deux sociétés précitées) du déséquilibre significatif de la clause d’intuitu personae pour la conversion du réseau Pizza Sprint à l’enseigne Domino’s Pizza » et pour ne pas avoir « dans l’organisation opérationnelle du groupe, immédiatement cessé le pratiques concernant l’approvisionnement et le stock minimum ».

      Ce n’est pas tout. Les sociétés Fra-Ma-Pizz et Domino’s Pizza sont condamnées (c’était aussi une demande du Ministre) à publier à leurs frais sur les sites internet de leurs enseignes respectives et dans plusieurs grands quotidiens nationaux une  « communication judiciaire » expliquant qu’elles sont frappées de cette amende pour « pratiques restrictives de concurrence au sein du réseau Pizza Sprint ».

      10 000 € de dommages et intérêts pour quelques ex-franchisés

      La cour examine enfin les demandes personnelles de 7 ex-franchisés ayant dû déposer leur bilan. Tous réclamaient à Fra-Ma-Pizz des indemnités de plusieurs dizaines, voire centaines de milliers d’euros pour avoir de diverses manières provoqué leur échec.

      Aucun d’eux ne parvient à convaincre les juges que cet échec a été causé par leur ex-franchiseur. En revanche, « compte tenu du fonctionnement du réseau dans la mise en œuvre des clauses d’approvisionnement et de stock minimum », la cour accorde à chacun la somme de 10 000 € au titre d’indemnisation d’un préjudice moral. Montant que devra leur verser la société Fra-Ma-Pizz.

      Si, au vu de l’ensemble de ces décisions, la satisfaction semble l’emporter – côté franchisés – sur la déception, ce n’est pas forcément le cas des autres parties et il n’est pas certain que la procédure soit terminée.

      Référence de la décision :

      Cour d’appel de Paris, pôle 5, chambre 4, arrêt du 5 janvier 2022, n° 20/00737