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      Choix de l’emplacement en franchise : cinq ans de décisions judiciaires

      Tribune publiée le 8 mars 2023 par Jean-Pierre PAMIER
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      Entre 2018 et 2022, dix décisions judiciaires importantes ont concerné en France des litiges liés à une erreur d’emplacement en franchise. Neuf fois sur dix, les juges ont estimés que les franchisés étaient seuls responsables.

      Que se passe-t-il quand le choix de l’emplacement commercial n’a pas été bon et que cette erreur a entraîné l’échec du franchisé ? Que disent les tribunaux quand ils sont sollicités sur cette question ?

      En passant en revue la dizaine de décisions importantes prises ces cinq dernières années en France, un constat s’impose : neuf fois sur dix, aux yeux des juges, l’erreur n’est pas partagée, elle n’est pas non plus du fait du franchiseur, mais au contraire de la seule responsabilité du franchisé.

      Franchiseur condamné pour une erreur d’emplacement : l’exception

      Il faut remonter au 17 janvier 2018 pour trouver un arrêt de la cour d’appel de Paris qui condamne un franchiseur à propos d’une erreur d’emplacement commise aux dépens d’une de ses candidates franchisées.

      Le franchiseur – un groupe leader sur son secteur, à la tête d’une dizaine d’enseignes – avait trouvé en 2011 une candidate parfaite pour ouvrir un établissement à l’une de ses marques dans une galerie commerciale de périphérie d’une ville moyenne. Problème : la galerie ne voulait pas de cette enseigne.

      Comme solution, le franchiseur propose à sa future partenaire de 23 ans de reprendre en centre-ville avec le concept qu’elle a choisi, un établissement jusqu’ici développé sous une autre marque du même groupe. Mais la greffe ne prend pas et c’est la liquidation judiciaire.

      Pour les magistrats, le franchiseur a commis deux fautes : il n’a pas transmis un état du marché local suffisamment renseigné, omettant notamment de signaler un concurrent direct dans la zone retenue. Et les chiffres qu’il a transmis pour établir le prévisionnel n’étaient ni sincères ni sérieux puisqu’ils correspondaient à un positionnement de gamme différent de celui du projet.

      Cette décision est l’exception qui confirme la règle. En général, les juges estiment en pareil cas que le franchisé « aurait dû mieux se renseigner »…

      Erreur sur la région : « le franchiseur n’est pas fautif »

      En franchise, on le sait, l’adéquation doit être bonne entre le concept et la région. En 2013, un commerçant multi-enseignes implanté dans un centre commercial de la banlieue nord-est de Paris adopte l’un des concepts d’un groupe leader sur son marché.

      La marque retenue n’est pas encore très connue au plan national, mais fonctionne bien dans sa région d’origine et en banlieue-ouest de Paris. Mais c’est l’échec : son chiffre d’affaires est inférieur de 70 % aux prévisions. Pour l’affilié, le groupe a surestimé « l’attractivité de son concept » dans  ce type de territoire.

      Certes, reconnaît la cour d’appel de Rennes, deux autres points de vente de la même marque situés dans la même banlieue et ouverts en 2011 ont eux aussi échoué après celui du franchisé. Mais précisément, celui-ci « avait la possibilité de se renseigner auprès d’eux avant de s’engager. »

      Quant aux éléments chiffrés transmis par l’enseigne, ils ne semblent « pas irréalistes » aux juges dans la mesure où ils ont  été établis à partir des moyennes du réseau. L’affilié est débouté de ses demandes (arrêt du 17 mars 2020).

      Erreur sur la taille de la ville : « le concédant n’y est pour rien »

      Autre erreur possible : se retrouver avec un local inadapté à la taille de la ville retenue. C’est ce qui arrive en 2012 à deux néophytes devenus concessionnaires avec un magasin de 400 m² dans une commune de 47 000 habitants. Alors que, dans le réseau choisi, les exploitants réussissent plutôt sur 300 m² dans des zones à plus forte densité.

      Pour les deux associés en liquidation judiciaire un an plus tard, c’est la faute de leur concédant « qui a validé leur emplacement malgré les doutes qu’ils ont exprimé ».

      Ce n’est pas l’avis de la cour d’appel de Paris. Dans son arrêt du 14 octobre 2021, elle considère, au vu des pièces examinées, que le rôle déterminant du concédant  dans le choix de l’emplacement n’est pas démontré.

      Par ailleurs, pour les juges, ce n’est pas parce que les plaignants ont évoqué leurs doutes dans un courriel qu’ils ont pour autant « réellement sollicité le conseil » de leur partenaire. En outre ils « ne démontrent aucunement que la surface de leur local était manifestement disproportionnée ». Les concessionnaires sont déboutés de leurs demandes d’indemnisation.

      Erreur sur le centre-commercial : « le franchiseur ne pouvait pas savoir »

      centre_meriadeckCréer son entreprise en intégrant un réseau, c’est, en principe, minimiser les risques. En 2009, un couple signe un contrat de franchise dans le but d’exploiter une boutique dans  un centre commercial.

      Le centre n’est pas encore ouvert mais ses promoteurs – une grande enseigne de la distribution –  annoncent un taux de fréquentation futur de 4,5 millions de personnes par an.

      La boutique est lancée en mars 2010. Mais la réalité des flux de clientèle s’avère inférieure de plus de 50 % à la prévision. Le couple finit par rompre son contrat. Puis sa société est placée en liquidation judiciaire.

      Saisie, la cour d’appel de Paris résilie le contrat aux torts exclusifs des franchisés dans un arrêt du 19 juin 2019.

      Pour la cour, le franchiseur n’a commis aucune faute, notamment sur le choix de l’emplacement. Il « ne pouvait pas présager de l’échec commercial du centre, étant par ailleurs relevé que de nombreuses grandes enseignes s’y sont installées. »

      Erreur sur le choix du quartier : « la franchisée aurait dû mieux se renseigner »

      En ville, le choix du quartier peut aussi s’avérer délicat. Témoin la mésaventure survenue à une commerçante pourtant expérimentée qui signe un contrat de franchise avec une grande enseigne de son secteur d’activité et ouvre son établissement en décembre 2012.

      L’échec est rapide. Dès janvier 2013, la franchisée rencontre des difficultés et en février 2014, c’est la liquidation judiciaire.

      Selon elle, le franchiseur l’a trompée sur le potentiel de son concept haut de gamme dans un quartier plutôt populaire. Il l’a mal informée sur l’état du marché local. Il a notamment omis de lui parler du conflit qui l’opposait à un ex-franchisé du réseau ayant ouvert dans la même rue, sous une enseigne directement concurrente, un établissement à 50 mètres de l’emplacement retenu.

      La cour d’appel de Paris la déboute de ses demandes d’indemnisation dans son arrêt du 15 mai 2019. Pour les juges, la franchisée a choisi ce quartier pour ses bureaux, elle ne peut donc invoquer le faible pouvoir d’achat des habitants. Quant au concurrent, elle aurait pu se rendre compte par elle-même de son impact sur le marché.

      Enfin, « il n’est pas prouvé que le franchiseur ait choisi le local » retient la cour, pour qui la franchisée qui « a signé seule le bail quelques jours avant son contrat de franchise » est   l’unique responsable de son choix.

      Erreur sur la localisation recommandée par le franchiseur : « c’est le franchisé qui a choisi… »

      Conseil-DevenirFranchise-EmplacementEAjpgDans le commerce on le sait, le succès ou l’échec se jouent parfois à quelques dizaines de mètres près. Sur ce point, il arrive que le franchiseur donne des indications extrêmement précises.

      C’est le cas pour le franchisé d’une enseigne réputée qui retient en 2016 un emplacement au cœur d’une capitale régionale dans une rue passante proche d’une grande place.

      Identifié par le franchisé, le local est validé par le franchiseur. Mais rapidement la fréquentation n’est pas au rendez-vous. Le bilan est déposé en 2019.

      Dans un jugement du 12 octobre 2022, le tribunal de commerce de Paris estime que si c’est bien le franchiseur qui a conseillé la localisation, « c’est (le franchisé) qui a choisi et retenu le local, sans pression aucune de la part du franchiseur qui n’a fait que le valider au final ».

      Pour les juges, ce n’est pas le franchiseur qui est en cause, mais comme il l’invoque, les modifications du plan de circulation de la ville à l’été 2016, à l’origine de la baisse du nombre de passants dans la rue. Le franchisé a fait appel de ce jugement.

      Erreur sur la surface : « le franchiseur avait émis des réserves »

      Respecter les critères d’une enseigne est une règle de base en franchise pour le choix de l’emplacement, mais parfois on se trouve devant un dilemme. En 2010, un franchisé signe son contrat pour l’ouverture d’un module d’une cinquantaine de m² dans un centre commercial.

      Problème : courant 2011, le centre lui refuse l’implantation qu’il a choisie et lui propose à la place une surface de 100 m². Sollicités, les banquiers lui opposent plusieurs refus. Il ouvre quand même en 2012. Mais cela ne fonctionne pas et sa société est placée en liquidation judiciaire en 2014.

      Pour le franchisé, le franchiseur est fautif. Car il l’a « sciemment laissé s’engager sur un projet qui était dès l’origine voué à l’échec, puisqu’il n’a même pas réussi à atteindre le niveau d’activité prévu (sur le local initial d’environ 50 m²). »

      Dans son arrêt du 19 mai 2021, la  cour d’appel de Paris le déboute. La cour relève que le franchiseur a précisément « émis des réserves » en 2011 sur le deuxième prévisionnel du candidat.

      Elle ajoute, que, de toute manière, le franchisé « ne peut pas prétendre qu’il y a eu vice du consentement avec des prévisions élaborées un an après la signature du contrat. »

      Coût des travaux : « la livraison clés en mains n’était pas inscrite dans le contrat de franchise »

      Il y a aussi un point sur lequel un candidat à la franchise peut avoir de mauvaises surprises, c’est le coût des travaux.

      En 2008, un franchisé signe son contrat, certain de bénéficier d’une « livraison clés en mains » de son établissement. Un an plus tard, il constate de nombreux défauts alors que les travaux ont duré beaucoup plus que prévu, ce qui l’amène selon lui à brader son fonds de commerce en 2011 pour 1,3 M€  au lieu de 2 M€. Il réclame 700 000 € à son ex-franchiseur.

      La cour d’appel de Montpellier refuse le 16 décembre 2021. Pour les magistrats : ni le contrat, ni le DIP, ni le manuel opératoire ne prévoyaient de « livraison clés en mains ». Le contrat stipulait en revanche que le franchisé devait « procéder à ses frais et sous sa responsabilité à la réalisation des travaux (…) et des agencements ».

      Conclusion de la cour : c’est bien le franchisé qui avait qualité de maître d’ouvrage et était in fine responsable de la qualité. Peu importe que, comme prévu, les entreprises aient été recommandées par le franchiseur.

      En prime, le franchisé est sanctionné à hauteur de 1,5 million d’euros pour rupture fautive du contrat.

      Erreur sur le montant des loyers : « rien ne prouve que le franchiseur les avait validés »

      Dans le coût de l’emplacement, attention aussi au montant des loyers. L’écart avec la norme du réseau peut s’avérer dangereux.

      En 2012, un entrepreneur rachète un fonds de commerce franchisé dans une activité qu’il ne connaît pas. Il est séduit par l’enseigne et les perspectives de CA qu’elle évoque pour cet établissement disposant d’un bon rayon d’action dans une ville moyenne.

      Afin d’améliorer l’activité et les résultats, il change de local et effectue 250 000 € d’investissements en matériel. Mais en décembre 2013, sa société est placée en liquidation judiciaire.

      Pour le franchisé, la responsabilité du franchiseur est engagée. Entre autres parce qu’il a validé son emplacement ainsi que le montant élevé de son nouveau loyer commercial (4 000 € par mois au lieu de 800 précédemment) et parce qu’il l’a encouragé à investir.

      La cour d’appel  d’Orléans ne le suit pas (arrêt du 7 mai 2020). Elle admet que le franchiseur était informé à propos des loyers. Mais pour elle, cela « ne signifie pas qu’ils auraient pour autant été validés par l’enseigne ». De même pour les investissements.

      Erreur de l’étude de marché : « ni le franchiseur ni la société spécialisée ne sont responsables »

      Qu’arrive-t-il, enfin, quand une société spécialisée dans les études de marché, recommandée par le franchiseur livre un CA prévisionnel qui n’est pas atteint par le franchisé ? (On sait que cette étude peut être décisive pour valider un emplacement).

      En 2014, un franchisé signe son contrat sur la base d’une étude qui lui prévoit entre 1,6 et 1,9 M€ de CA. Mais, dès le premier exercice, l’écart avec le réel dépasse les 30 %. Et en 2016, sa société est en liquidation judiciaire.

      Pour le franchisé, cet échec est dû à la société d’études qui lui a délivré des prévisions « impossibles à atteindre » et au franchiseur qui lui a conseillé de s’adresser à elle.

      Saisie, la cour d’appel de Pau le déboute par un arrêt du 22 juillet 2021. Pour les magistrats, il n’y a pas de liens juridiques entre la société d’études et le franchiseur, il s’agissait d’un simple « avis sur site » et pas d’une « véritable étude du marché local » et l’étude « précisait clairement ne pas engager la responsabilité de la société du franchiseur. »

      Quant aux CA prévisionnels, comme ils étaient attendus au terme des deux premiers exercices (échéance qui n’a pas été atteinte), les juges estiment qu’ils ne peuvent pas se prononcer…

      Choix de l’emplacement : pour les juges, c’est presque toujours une responsabilité du franchisé

      On l’aura compris, les juges reconnaissent un devoir de conseil au franchiseur en matière de choix de l’emplacement. Mais pour eux le franchisé est un chef d’entreprise indépendant qui doit savoir gérer ses choix.

      C’est lui qui signe le bail commercial ou qui achète les murs ou le terrain où il fait construire, c’est donc lui qui s’engage et lui seul. Il doit se renseigner, vérifier, et assumer, sauf bien sûr s’il peut prouver qu’il a été contraint par le franchiseur à prendre un local dont il ne voulait pas.

      De ce point de vue, émettre de simples doutes ne suffit pas. En revanche, si le franchiseur, lui, formules des réserves écrites, que ce soit sur la taille de la ville, la localisation, la surface, le montant des loyers ou autres et que le franchisé n’en tient pas compte, c’est ce dernier qui commet une faute.

      Voilà comment, dans neuf cas sur dix sur les cinq dernières années, les franchisés plaignants pour des litiges liés à l’emplacement ont été déboutés de leurs demandes.

       

      >Références des décisions judiciaires, dans l’ordre de leur citation :

      – Cour d’appel de Paris, (Pôle 5 chambre 4), 17 janvier 2018, n° 15/17647

      – Cour d’appel de Rennes, 17 mars 2020, n° 17/03132

      – Cour d’appel de Paris, (Pôle 5 chambre 4), 14 octobre 2021, n° 17/10801

      – Cour d’appel de Paris, (Pôle 5 chambre 4), 19 juin 2019,  n°17/05169

      – Cour d’appel de Paris, (Pôle 5 chambre 4) ,15 mai 2019, n° 17/22 499

      – Tribunal de commerce de Paris, 12 octobre 2022, n° 2020033769

      – Cour d’appel de Paris, (Pôle 5 chambre 4), 19 mai 2021, n° 16/16055

      – Cour d’appel de Montpellier, 16 décembre 21, n°16/08865, 17/00837 et 17/00650

      – Cour d’appel d’Orléans, 7 mai 2020, n° 19/01891

      – Cour d’appel de Pau, 22 juillet 2021, n° 18/03703

       

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