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      Maître Florian de Saint-Pol, cabinet Cordouan Avocats - Interview du 29 février 2024

      Interview
      29 février 2024

      La location-gérance me semble inappropriée dans le cadre d’une franchise. C’est un modèle de contrat détourné de son but initial.

      Maître Florian de Saint-Pol, Cordouan AvocatsEn franchise, en quoi consiste la location-gérance ?

      C’est une formule par laquelle le franchiseur loue au franchisé pour une durée déterminée un fonds de commerce dont il est propriétaire.

      Il faut donc signer deux contrats en même temps, franchise et location-gérance : sont-ils de même durée ?

      Pas forcément et c’est un problème. Le contrat de location-gérance est un contrat consensuel. En clair, les parties en font ce qu’elles veulent. Il serait bien sûr intelligent de caler sa durée sur celle du contrat de franchise, mais dans la pratique, les contrats sont plutôt de un an renouvelable par tacite reconduction. Alors que l’on peut avoir à côté un contrat de franchise et un contrat d’approvisionnement par exemple de 10 ans…

      Cette pratique courante de deux durées différentes n’est-elle pas en contradiction avec le code de commerce ?

      Si, avec l’article L 341-1 – issu de la loi Macron applicable depuis 2016 – en effet. Mais surtout, la question est réglée par l’article 1186 du code civil. Ce texte prévoit l’interdépendance des contrats : si l’une des conventions nécessaires à une même opération devient caduque, cela entraîne la caducité des autres. En l’occurrence, si le contrat de location-gérance du franchisé n’est pas renouvelé à son terme, c’en est fini de ses contrats de franchise et approvisionnement… On voit tout de suite la difficulté.

      « Le contrat de location-gérance est par définition précaire. C’est une solution de transition »

      Donc en fait, le contrat de franchise de 5, 7 ou 10 ans peut s’arrêter au bout d’1 an par exemple si le contrat de location-gérance de cette durée n’est pas renouvelé ?

      Exactement. En fait, le franchiseur se donne de cette façon un moyen de pression sur son franchisé. Lequel se retrouve de toute façon dans une situation un peu hérétique, où il exploite un fonds de commerce qui ne lui appartient pas et sur lequel il n’a aucun droit.

      Il faut bien comprendre que le contrat de location-gérance est par définition précaire. Il a été conçu à l’origine pour permettre à un commerçant – empêché momentanément d’exploiter le fonds de commerce dont il est propriétaire – de le louer à un tiers de façon à le préserver. C’est un dispositif qui n’a pas vocation à s’installer dans la durée, une solution de transition qui a été complètement dévoyée par certains réseaux de franchise pour des raisons pas toujours avouables.

      Nous avons l’habitude de voir des franchisés qui créent leur fonds de commerce, le développent et peuvent le revendre avec une plus-value. Là, rien de tel. Le franchisé locataire-gérant n’est propriétaire de rien. Certes, il peut vivre de ses revenus pendant le contrat mais à la fin, il se retrouve sans rien. Sauf, il est vrai, si une option d’achat est prévue et qu’il dispose alors des moyens suffisants pour se porter acquéreur du fonds.

      Certains contrats de location-gérance sont à durée indéterminée, ce qui signifie qu’ils peuvent être interrompus à tout moment par le franchiseur sans qu’il ait à se justifier, simplement en respectant un préavis de trois mois. Faut-il signer de tels contrats ?

      La question ne se pose même pas ! Ce serait se retrouver dans une situation extrêmement précaire, à la merci de la tête de réseau avec le risque de voir son contrat rompu sans avoir commis de faute. C’est problématique. D’autant plus que le contrat est assorti généralement d’engagements de non-concurrence après son terme. Le franchisé se retrouverait alors plutôt coincé…

      Selon le site du gouvernement Entreprendre.Service-Public.fr, « Le propriétaire du fonds de commerce est solidairement responsable des dettes contractées par le locataire-gérant à l’occasion de l’exploitation du fonds… jusqu’à la publication du contrat de location-gérance dans un support d’annonces légales », de quel délai s’agit-il ?

      En général, cela ne traîne pas. Le franchiseur a intérêt à publier rapidement le contrat… C’est une question de jours, pas de mois.

      « Dans la pratique, le locataire-gérant qui investit dans le fonds de commerce ne perçoit pas de contrepartie »

      De plus en plus d’enseignes utilisent la location-gérance et pas seulement dans la grande distribution ou la restauration.Que doit comprendre le fonds de commerce loué au franchisé ?

      Un fonds de commerce comprend des éléments corporels comme le mobilier et les agencements et des éléments incorporels comme le droit au bail, la marque et la clientèle.

      Certains contrats de location-gérance prévoient que le franchisé devra quand même investir dans le mobilier, l’informatique et le matériel. De quoi s’agit-il ?

      Dans ce cas attention : le franchiseur risque de voir son contrat requalifié en simple contrat de bail ou en gérance-mandat car il loue quelque chose qui n’est pas vraiment un fonds de commerce…

      Pour ce qui est de la clientèle, c’est le franchiseur qui en reste propriétaire à la fin du contrat, même si le franchisé locataire-gérant l’a développée, même si c’est lui qui a par exemple constitué un fichier clients ?

      En effet. Le fonds de commerce n’appartient pas au franchisé en cas de location-gérance, indépendamment des améliorations qu’il peut apporter comme la création ou le développement d’un fichier clients. Les parties peuvent en théorie convenir d’une règle contraire, mais en pratique, cela ne se constate jamais.

      Pour assurer le bon fonctionnement du fonds de commerce – ce à quoi il est tenu – le franchisé locataire-gérant peut être amené à investir dans du matériel ou du personnel. Dans ce cas, le contrat peut-il prévoir une contrepartie pendant ou à la fin de la relation ?

      On peut bien sûr imaginer un système d’indemnisation pour les améliorations apportées. Sinon en effet, le franchisé peut manquer de motivation pour les réaliser… Certains experts le préconisent. Pourtant, dans le cadre du bail commercial par exemple, le commerçant locataire qui fait des travaux pour maintenir le local en l’état n’est pas indemnisé. Il n’est que locataire. On est ici dans un même cas de figure. Sinon, cela voudrait dire que l’on reconnaît une sorte de propriété du fonds au locataire-gérant… Inversement, si celui-ci dégrade le fonds, c’est le loueur qui en supportera les conséquences. Il faudrait alors prévoir aussi une indemnisation du franchiseur ?  Ce serait – encore une fois – s’installer dans la durée alors que la location-gérance n’est qu’une solution de transition, un peu comme l’indivision en matière de succession.

      « Quand le franchiseur est à la fois propriétaire du fonds de commerce et des murs, le contrat risque fortement de ne pas être équilibré »

      Que prévoient les contrats en matière de révision du montant de la redevance de location-gérance ? Le franchiseur peut-il l’augmenter quand il le souhaite ?

      En général, les modalités de révision de la redevance demandée au locataire-gérant par le franchiseur sont calées sur celles du bail commercial. Il est normal en effet que le franchiseur loueur, quand il est, en tant que propriétaire du fonds de commerce, locataire de l’emplacement, répercute les hausses de loyer qu’il subit lui-même. Il ne serait pas logique qu’il doive s’acquitter par exemple de loyers commerciaux augmentés de 10 % tandis que son locataire-gérant continuerait à lui verser un montant qui ne varierait pas.

      C’est différent si le franchiseur loueur du fonds est aussi propriétaire des murs. Dans ce cas, il lui suffirait en tant que bailleur d’augmenter le montant du loyer (du bail commercial) pour pouvoir en tant que franchiseur augmenter la redevance du locataire-gérant… Lequel se retrouverait alors sous le tir croisé des différentes casquettes du franchiseur. Dans ce cas, le contrat risque fort de ne pas être équilibré !

      Le fait que le contrat soit fréquemment renouvelable n’ouvre-t-il pas la possibilité pour le franchiseur de revoir le montant de la redevance à la hausse à chaque fois, même quand l’affaire marche bien ?

      Il n’y a pas, en la matière, de règle contractuelle qui s’imposerait. On fait ce que l’on veut et c’est bien l’un des dangers de ce mélange des genres assez curieux qu’est la location-gérance.

      Le contrat de location-gérance pourrait-il prévoir un système qui préserve le franchisé de hausses excessives de la redevance, voire ouvre la possibilité de baisse en cas de difficultés ?

      Dans le monde des bisounours, sans doute !

      « Si le locataire-gérant ne peut pas acheter le fonds de commerce, il ne lui reste rien à la fin »

      abstract blur in supermarketCertains contrats de location-gérance proposés aux franchisés contiennent des clauses d’option d’achat du fonds de commerce après quelques années d’exploitation. N’est-ce pas un avantage de la formule ?

      Prévoir une telle option me semble indispensable. Si le locataire-gérant n’a pas cette possibilité, que lui reste-t-il à la fin ?  Maintenant un problème se pose : si le franchisé a développé le fonds comme on peut l’espérer, il l’a valorisé. C’est-à-dire qu’il va lui coûter plus cher que s’il l’avait acheté dès le départ, alors même qu’il a contribué par ses efforts à l’améliorer. Ce qui est quand même paradoxal.

      Dans ce cas, un abattement sur le prix du fonds peut-il être fixé par avance dans le contrat pour le locataire-gérant qui s’est investi dans son développement ?

      Oui, bien sûr, on peut le prévoir. Cela va permettre au locataire-gérant de s’impliquer dans le développement du fonds puisque la plus-value qu’il va lui apporter restera indolore pour lui. C’est une solution plutôt intelligente. Mais la valeur du fonds est également liée à celle de la marque, il ne faut pas l’oublier : que vaut le fonds en dehors de l’enseigne ? Surtout si le locataire-gérant est tenu par une clause de non-concurrence après le contrat… Enfin, il faut que le franchisé soit sûr d’être en mesure d’exploiter avec succès le fonds qu’il va acquérir.

      Le contrat doit-il prévoir un droit de préemption pour le locataire-gérant ?

      On peut le prévoir aussi. Toutefois, cette clause a une efficacité limitée car il suffit au franchiseur de ne pas renouveler le contrat de location-gérance pour priver le franchisé de toute possibilité d’acquérir le fonds. Mieux vaut convenir d’une promesse unilatérale de vente, qui engage davantage le franchiseur et laisse la liberté au franchisé le moment venu de « lever son option », c’est-à-dire de l’utiliser ou non. Maintenant, est-ce que cela se fait dans la réalité ? Ce n’est pas sûr ! Ce sont les franchiseurs qui proposent les contrats. Il ne faut pas rêver !

      « Certaines clauses de non-concurrence post-contractuelles apparaissent disproportionnées et excessives »

      Certains contrats de location-gérance prévoient des clauses de non-concurrence post-contractuelles d’une durée de 5 ans. Ce qui veut dire que pendant 5 ans, le locataire-gérant ne pourra pas exercer la même activité (avec un autre réseau, en solo ou même comme salarié) sur un territoire déterminé : que penser de ces clauses ?

      Les clauses de non-concurrence pendant le contrat sont complètement légitimes. Le locataire-gérant ne doit pas pouvoir ouvrir un point de vente concurrent à proximité de celui qu’il exploite sous l’enseigne avec laquelle il s’est franchisé. Pour ce qui est des clauses de non-concurrence post-contractuelles, elles doivent de toute façon rester proportionnées aux intérêts légitimes du franchiseur. Si bien qu’une clause de cinq ans pour un contrat de location-gérance d’un an apparaît disproportionnée et excessive. Cela reste moins grave pour un locataire-gérant que pour un franchisé qui est contraint de déménager, voire de fermer alors que le fonds lui appartient. Mais cela reste pénalisant. Il s’agit en fait de dissuader fortement l’exploitant de rejoindre une enseigne concurrente.

      Les contrats de location-gérance comportent-ils également un engagement de non-concurrence du bailleur (franchiseur) pendant la durée du contrat ?

      Oui, cela rentre dans le cadre de son obligation de garantie. Le franchiseur ne doit pas concurrencer le locataire-gérant pendant la durée du contrat. Sinon, s’il ouvre un autre point de vente à son enseigne sur le trottoir d’en face, il absorbe la clientèle et vide le fonds de commerce de son contenu. Le contrat serait alors vidé de sa substance. Il n’y aurait plus de location-gérance possible.

      « Il est normal que le franchiseur puisse consulter la comptabilité du locataire-gérant. Mais parfois il va trop loin »

      Les contrats de location-gérance comportent en général une clause permettant au propriétaire du fonds de commerce de consulter la comptabilité du locataire-gérant. N’est-ce pas contradictoire avec le respect de l’indépendance du franchisé ? Jusqu’où le franchiseur peut-il aller ?

      Tant qu’il s’agit de consultation, il ne s’agit pas d’ingérence. Dans la mesure où la redevance de location-gérance est calculée en proportion du chiffre d’affaires réalisé, il paraît normal que le franchiseur, en l’occurrence, ait un droit de regard sur ce chiffre d’affaires. Il est vrai qu’en général, cela ne s’arrête pas là. Le franchiseur peut prévoir des garde-fous et des moyens de contrôle de façon à veiller à ce que le locataire-gérant vende bien les produits et services prévus et correspondant à la destination du bail. De même, il peut veiller à ce que le franchisé évite de vendre à perte, de changer le matériel trop souvent ou de fonctionner avec une masse salariale trop élevée. C’est, comme avec la franchise, un équilibre subtil à trouver. Tant qu’il s’agit d’aider à la bonne exploitation et à la préservation du fonds de commerce, cela peut être justifié. Après, si le franchiseur impose des produits pré-étiquetés, s’il contrôle les marges, cela va trop loin.

      En résumé, le contrat de location-gérance n’est pas pour vous un bon moyen de devenir vraiment franchisé, c’est-à-dire propriétaire de son fonds de commerce ?

      Certains experts affirment que cette formule permet à des candidats à la franchise qui n’ont pas l’apport personnel suffisant de se lancer quand même. Mais il y a d’autres moyens pour cela ! Un franchiseur peut parfaitement, tout en restant minoritaire, prendre des parts dans la société du franchisé et s’engager à les lui revendre ultérieurement. Il suffit de conclure un pacte d’associés prévoyant les conditions de sa sortie. Il peut ainsi envoyer du cash en compte-courant et régler la question des possibilités d’emprunt. C’est beaucoup plus équilibré.

      La location-gérance me semble un système inapproprié dans le cadre d’une franchise. C’est même l’archétype du modèle de contrat complètement détourné de son but initial. Le franchisé s’y retrouve encerclé. Le problème, c’est qu’il n’a souvent pas le choix. Pourtant, d’autres moyens d’association existent, bien plus orthodoxes. Le droit français des contrats permet beaucoup de choses. Il suffit de s’en servir !

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