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      La location-gérance : un bon plan pour devenir franchisé ?

      Dernière mise à jour le 7 février 2024

      De plus en plus d’enseignes utilisent la location-gérance et pas seulement dans la grande distribution ou la restauration. La formule a ses partisans – qui y voient un tremplin vers la franchise en pleine propriété – et ses détracteurs, qui la jugent trop contraignante.

      abstract blur in supermarketEn 2024, 16 hypermarchés et 21 supermarchés Carrefour vont basculer de succursale en location-gérance. Depuis 2018, ce sont 268 grands formats de ce groupe qui ont ainsi muté*. Et ce mouvement, qui représente une évolution structurelle majeure, est loin d’être achevé.

      En dehors de la grande distribution – où des milliers de magasins de proximité sont également concernés – la restauration rapide utilise aussi largement la formule. Dont d’autres secteurs s’emparent : en 2023, des cavistes et des enseignes comme But ou La Vie Claire ont annoncé s’y ouvrir.

      Les avantages pour un franchiseur sont nombreux. « En restant propriétaire du fonds de commerce, il garde la maîtrise de son parc et de son développement, explique Stéphanie Pizzutti, expert-comptable et membre de la direction des relations extérieures de Fiducial. En le louant, il en tire des revenus sans devoir assurer tous les risques de la gestion du point de vente et peut espérer voir le locataire-gérant valoriser son fonds, qu’il récupérera s’il le souhaite à la fin du contrat. » Un fonds qu’il peut aussi vendre à son partenaire ou à un autre candidat.

      « La formule permet également aux franchiseurs de s’ouvrir à d’autres profils, ajoute la spécialiste, membre du collège des experts de la FFF, et d’éviter de perdre des candidats qui ne possèdent pas forcément l’assise financière suffisante, mais qui ont des dispositions et la motivation nécessaires pour se lancer. Des jeunes de 20 à 24 ans par exemple. »

      Des avantages pour le candidat à la franchise mais une certaine précarité

      Côté franchisé, la location-gérance permet en effet d’accéder au statut de commerçant indépendant avec un apport personnel limité.

      La différence est parfois considérable. Pour exploiter un magasin de proximité Carrefour City : 7 500 € d’apport suffiraient selon le groupe au lieu des 80 000 € nécessaires en « franchise pure ». De même 30 000 € « seulement » sont requis au lieu de 300 000 € pour un Carrefour Market.

      Magasin bio à l'enseigne La Vie Claire à Beynost (Ain)Même si l’écart n’est pas toujours aussi spectaculaire, il est souvent important : 40 000 € au lieu de 80 000 € par exemple pour un magasin La Vie Claire, 30 000 au lieu de 80 000 pour La Mie Câline, 50 000 au lieu de 200 000 pour Au Bureau, 100 000 au lieu de 300 000 chez Hippopotamus, etc.

      « Autre intérêt pour le candidat à la franchise », souligne l’expert-comptable : « Cela lui permet de vérifier que le concept peut fonctionner, de se familiariser avec son exploitation et de se constituer un capital pour, dans un deuxième temps, se porter acquéreur du fonds. »

      Spécialiste de la franchise, Maître Florian de Saint-Pol est moins favorable à l’utilisation de cette formule : « Le contrat de location-gérance est par définition précaire, avertit l’avocat qui conseille de nombreux franchisés mais aussi de jeunes franchiseurs. Il a été conçu à l’origine pour permettre à un commerçant – empêché momentanément d’exploiter le fonds de commerce dont il est propriétaire – de le louer à un tiers de façon à le préserver.  C’est un dispositif qui n’a pas vocation à s’installer dans la durée, une solution de transition qui a été complètement dévoyée par certains réseaux de franchise pour des raisons pas toujours avouables ».

      « Nous avons l’habitude de voir des franchisés qui créent leur fonds de commerce, le développent et peuvent le revendre avec une plus-value, poursuit l’expert. Là, rien de tel. Le franchisé locataire-gérant n’est propriétaire de rien. »

      Des contrats dont la durée, généralement inférieure à celle du contrat de franchise, peut poser un sérieux problème

      L’expert soulève d’autres questions, à commencer par la durée du contrat. « Dans la pratique, la plupart des contrats de location-gérance sont de un an renouvelable par tacite reconduction, indique l’avocat. Alors que l’on peut vous proposer à côté des contrats de franchise et d’approvisionnement de 10 ans. Or, en vertu de l’article 1186 du code civil, si l’un des contrats devient caduc, cela entraîne la fin des autres contrats. Autrement dit si, au bout d’un an, le franchiseur ne renouvelle pas le contrat de location-gérance, c’en est terminé des contrats de franchise et d’approvisionnement. Le franchiseur se donne là un important moyen de pression sur le franchisé ».

      La cour d’appel de Paris a ainsi jugé, dans un arrêt du 26 juin 2022**, que les contrats de franchise de 10 ans d’un ancien franchisé locataire-gérant Pizza Sprint de Rennes étaient bel et bien caducs et qu’il devait libérer les locaux, puisque le franchiseur qui venait de reprendre son réseau avait légalement mis un terme à ses contrats de location-gérance d’un an en ne les renouvelant pas. Ses contrats de location-gérance prévoyaient pourtant « qu’en cas de difficulté d’interprétation ou d’exécution liée à une contradiction entre le contrat de franchise et le contrat de location-gérance, il serait fait référence aux dispositions du contrat de franchise ». Une formulation qui n’a donc pas fait le poids face au code civil et au principe de l’interdépendance des contrats.

      « Un an, c’est un peu court pour se faire la main, reconnaît pour sa part Stéphanie Pizzutti. De même, c’est insuffisant pour mettre de l’argent de côté ». La spécialiste du chiffre estime d’ailleurs que les contrats sont plutôt « de trois ans », ce qui correspond mieux au temps nécessaire pour espérer accumuler de quoi se porter acquéreur du fonds. Et donc pouvoir poursuivre sereinement son contrat de franchise jusqu’à son terme.

      Il y a toutefois des exceptions : dans la restauration rapide, certains contrats de location-gérance, peuvent atteindre 9 ans, comme le contrat de franchise proposé par l’enseigne. Mais ils présentent d’autres défauts (absence d’indemnisation en cas d’investissements, absence d’option d’achat) …

      Comment évaluer le potentiel et le coût réel de la location-gérance ?

      Tout va dépendre aussi de la qualité du point de vente proposé. Un franchiseur peut être amené à parier sur le fait que le statut de commerçant indépendant du locataire-gérant va lui donner des ailes et le rendre plus performant qu’un directeur de succursale.

      Ce faisant, le dirigeant de réseau peut à la fois ouvrir de nouvelles perspectives à ses collaborateurs salariés ou à de jeunes entrepreneurs et espérer les voir redresser des points de vente qui souffrent.

      Sans oublier qu’il transfère – le temps du contrat – le poids de la masse salariale sur les épaules de son partenaire, lequel peut être amené à devoir tailler dans les effectifs à la place du franchiseur, ce qui peut représenter un coût.

      Avant de s’engager, un candidat à la location-gérance a donc tout intérêt à bien évaluer la situation et le potentiel du fonds de commerce qu’il va louer.

      Stéphanie Pizzutti, expert-comptable, Fiducial
      Stéphanie Pizzutti, expert-comptable et membre de la direction des relations extérieures de Fiducial

      « C’est d’autant plus important, insiste l’expert-comptable Stéphanie Pizzutti, qu’en plus des redevances de franchise et de communication dont il va devoir s’acquitter comme tout franchisé, il aura à régler une redevance de location-gérance ».

      Le montant de cette redevance, librement défini par le loueur, « comprend au moins l’équivalent du loyer commercial » payé par le franchiseur au propriétaire des murs et « dépend pour le reste de multiples facteurs : la valeur du fonds, la clientèle, l’emplacement, le bénéfice dégagé, les évolutions prévisibles : des critères en grande partie subjectifs. »  Un montant qui, selon nos informations, peut atteindre parfois, dans la restauration rapide par exemple, de 12 à 15 % du CA HT…

      Comment savoir alors si la somme de toutes les redevances cumulées sera absorbée et si le chiffre d’affaires réalisé permettra de dégager une rentabilité suffisante ? « La seule réponse possible est d’élaborer un prévisionnel à partir des comptes réalisés précédemment. Ce qui se calcule dans chaque cas, d’autant que tout dépend aussi des attentes de l’exploitant en matière de rémunération. Est-il prêt à se contenter d’un salaire à hauteur du SMIC ou bien a-t-il besoin de plus pour vivre ?  Tout doit être pris en compte. »

      Pas forcément de contrepartie en cas d’investissement, ni d’indemnisation en cas de non-renouvellement du contrat…

      Autre limite de la formule : la question des investissements. Par contrat, le locataire-gérant est tenu d’assurer le bon fonctionnement du fonds de commerce qu’il loue. Il peut donc être amené pour cela à renouveler le matériel ou à recruter du personnel. Mais a priori, c’est sans contrepartie financière.

      Certaines enseignes dans la restauration rapide proposent à ce sujet une « location-gérance avec investissement ». Dans ce cas, le locataire-gérant doit acquérir au départ la totalité de l’équipement matériel et de l’agencement, ce qui représente des montants conséquents. Une indemnisation peut alors être prévue à la fin du contrat « à hauteur de la valeur nette comptable » des équipements en question. Selon le cabinet Simon Associés, ce serait « le plus souvent » le cas. Mais… « pas nécessairement ».

      Écueil à ne pas perdre non plus de vue : si à la fin du contrat celui-ci n’est pas renouvelé, le locataire-gérant n’a droit – sauf disposition contraire – à aucune indemnisation, même s’il a contribué par ses efforts à développer l’affaire. Et il n’a pas droit non plus au chômage puisqu’il n’est pas salarié mais commerçant indépendant.

      « On ne peut pas être gagnant sur tous les plans », argumente Stéphanie Pizzutti qui attire l’attention des candidats sur le fait que le propriétaire du fonds de commerce prend de son côté le risque de voir sa valeur dégradée par une mauvaise gestion du locataire. Et doit donc s’en prémunir.

      « La sortie du contrat pose un autre problème », avertit Maître Florian de Saint-Pol : « Le locataire-gérant est tenu généralement par une clause de non-concurrence post-contractuelle. Cette clause lui interdit de pratiquer dans sa zone la même activité en tant que commerçant (franchisé ou non), – voire en tant que salarié – pendant une durée parfois excessive. Certains contrats de un an prévoient une interdiction de cinq ans après le contrat, ce qui est à l’évidence disproportionné. Le but est alors de dissuader fortement le locataire-gérant de rejoindre une enseigne concurrente. » La durée et le périmètre de cette clause doivent donc être attentivement examinés.

      Comment évaluer le prix du fonds de commerce à racheter à la fin du contrat ?

      Maître Florian de Saint-Pol, Cordouan Avocats
      Maître Florian de Saint-Pol, Cordouan Avocats

      Dernier point-clé à surveiller : l’option d’achat. Les experts s’accordent sur ce point : pour être intéressant, un contrat de location-gérance doit au moins prévoir cette possibilité. « Sinon, que reste-t-il à la fin au locataire-gérant ? Rien ! », soulève l’avocat.***

      « Maintenant, un problème se pose : si, comme on peut l’espérer, le franchisé a valorisé le fonds, il va lui coûter plus cher que s’il l’avait acheté dès le départ. Ce serait paradoxal ! »  « En général, le prix est pré-établi lors de la signature du contrat, rassure l’expert-comptable. Nous évaluons la valeur du fonds et celle des apports prévisibles de l’exploitant de manière à ce qu’il n’ait pas à acheter les fruits de son travail ! »

      « Reste à vérifier que le franchisé a bien alors les moyens suffisants pour acquérir ce fonds et pour continuer à l’exploiter avec succès », alerte le spécialiste du droit. Et c’est là, parfois, que le bât blesse.

      Stéphanie Pizzutti se montre cependant optimiste. « La plupart des locataires-gérants accumulent suffisamment de moyens. A part dans certains réseaux un peu particuliers, ils deviennent propriétaires d’un fonds en trois ou cinq ans en moyenne. » « Attention », conseille-t-elle : « Il s’agit bien d’engranger les bénéfices dégagés par l’activité et pas de les dépenser en cours de route. Sinon, cela ne marche pas ! »

      Pour sa part, Maître Florian de Saint-Pol (cabinet Cordouan Avocats) déconseille la location-gérance aux candidats à la franchise « car le franchisé s’y retrouve encerclé alors que d’autres moyens existent pour régler la question de l’apport personnel insuffisant. Un franchiseur peut parfaitement, tout en restant minoritaire, prendre des parts dans la société du franchisé et s’engager à les lui revendre ultérieurement. Il suffit de conclure un pacte d’associés prévoyant les conditions de sa sortie. Il peut ainsi envoyer du cash en compte-courant et régler la question des possibilités d’emprunt. C’est beaucoup plus équilibré ! »

      * Selon la CFDT-Carrefour citée par Jérôme Coulombel dans son livre « Carrefour, la grande arnaque »

      ** Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 4, 29 juin 2022 n° 18/19812

      *** Dans la restauration rapide, certains contrats de 9 ans ne contiennent pas d’option d’achat. Mais les locataires-gérants ont la possibilité de céder leur affaire à un autre exploitant…

      >A consulter aussi sur le sujet :

      -Qu’est-ce que la location-gérance en franchise ?  (Fiche pratique de Franchise Management)

      Quelles sont les règles de la location-gérance d’un fonds de commerce ? (Site du gouvernement)

       

      Location-gérance : le cas particulier de Carrefour

      Concept alimentaire de proximité à l'enseigne Carrefour CityLe groupe Carrefour aligne en France près de 6 000 magasins, dont moins de 600 seraient exploités en succursale, les autres l’étant en franchise et/ou location-gérance.

      La puissance du groupe, sa notoriété et le faible montant de l’apport nécessaire pour exploiter un fonds en location sous l’une de ses enseignes de proximité expliquent son attractivité, les 33 000 demandes qu’il déclare recevoir et les 250 contrats qu’il signe, selon lui, chaque année. 7 500 € d’apport suffiraient en effet pour prendre en location-gérance un Carrefour City ou un Carrefour Contact par exemple. Avec l’espoir d’accumuler en quelques années de quoi en devenir propriétaire franchisé.

      Le groupe s’est donné toutefois les moyens de maîtriser son recrutement. Le contrat de location-gérance est en effet d’un an renouvelable puis se transforme si tout va bien en contrat à durée indéterminée. C’est-à-dire que le franchiseur peut l’interrompre à tout moment, sans avoir à se justifier, moyennant le respect d’un délai de préavis de trois mois.

      Si la location-gérance peut, en général, permettre à un candidat à la franchise de se rendre compte du potentiel de rentabilité d’un point de vente avant de s’y investir davantage, la formule du groupe Carrefour offre au franchiseur la garantie d’une sélection sévère de ses partenaires.

      Le recours accentué du groupe à la location-gérance pour ses magasins grands formats fait également débat.

      Dans son livre « Carrefour, la grande arnaque », Jérôme Coulombel qui connaît bien la question pour avoir été longtemps l’un de ses responsables juridiques l’affirme : il s’agit avant tout pour le PDG Alexandre Bompard arrivé en 2017, d’augmenter grâce à cette stratégie la profitabilité de la holding dont dépendent les dividendes des actionnaires et sa propre rémunération.

      Le passage depuis 2018 de nombreux hypers et supermarchés en location-gérance permet en effet au groupe – qui demeure propriétaire des fonds de commerce « de garder, voire d’augmenter ses parts de marché sans le moindre risque, parts de marché qui sont la clé de voûte des négociations annuelles avec les fournisseurs ».

      C’est aussi l’occasion d’une « diminution drastique de la masse salariale », puisque les salariés sont désormais employés par les locataires-gérants. Ainsi, « le nombre de salariés Carrefour en France qui tournait autour de 112 000 en 2017 est tombé à 82 000 en 2023 ». 20 000 personnes auraient changé d’employeurs et 10 000 postes auraient été supprimés.

      Héritant de magasins pas forcément au mieux de leur forme, mais n’étant pas en mesure de jouer sur les prix d’achats pratiqués par la centrale pour se donner de l’oxygène, les locataires-gérants seraient en effet fréquemment amenés à tailler dans les effectifs pour redresser les magasins dont ils prennent la gestion.

      Selon les syndicats d’employés, ils reviennent aussi – après une durée imposée de 15 mois – sur les avantages-maison « tels que 13e mois, comité d’entreprise généreux, plan d’épargne entreprise, réductions de prix sur certains produits ». Le groupe, lui, évite d’avoir à régler les indemnités de licenciement.

      A ces allégements de charges s’ajoutent de nouvelles recettes, avec les rentrées financières que représentent les redevances de location-gérance et de franchise. Enfin, le groupe bénéficie de « la disparition d’un certain nombre de résultats déficitaires de magasins confiés en location-gérance ». « Il s’agit en quelque sorte de l’externalisation d’une partie des dettes de Carrefour sur la tête des locataires-gérants ».

      « Moyennant quoi », réplique Alexandre Bompard interrogé par Élise Lucet sur France 2* lors de l’assemblée générale annuelle des actionnaires de 2023, « nous n’avons fermé aucun hypermarché à notre marque, contrairement à certains de nos concurrents »

      Les locataires-gérants des hypers et supermarchés Carrefour deviendront-ils pour autant – et dans quels délais ? – propriétaires des fonds de commerce et franchisés à part entière ? La question reste ouverte. En tout cas, si l’on en croit Jérôme Coulombel, pour ce qui est des formats de proximité Carrefour, seuls 20 % d’entre eux y parviendraient…

      *Émission Cash Investigation diffusée le 16 novembre 2023

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