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      Carrefour échoue à nouveau à empêcher un franchisé de passer à la concurrence - Brève du 26 juin 2025

      Brève
      26 juin 2025

      La cour d’appel de Reims valide, dans le cadre d’un plan de sauvegarde, la résiliation de tous les contrats d’un franchisé Carrefour City, la modification des statuts de sa société et son passage sous une enseigne concurrente afin de sortir de ses difficultés liées, selon les juges, notamment à la politique tarifaire du groupe.

      Logo du groupe CarrefourLe groupe Carrefour continue de perdre ses procès contre certains de ses ex-franchisés parvenus à échapper à son système de franchise participative.

      Par plusieurs arrêts du 22 avril 2025, la cour d’appel de Reims a validé les décisions de justice ayant permis récemment à un franchisé Carrefour City de rejoindre une enseigne concurrente.

      Dans ce litige, le franchisé – partenaire du groupe depuis 2004 – invoque au cours de son dernier contrat les difficultés financières croissantes subies par sa société. En cause selon lui notamment : les prix pratiqués à l’égard des franchisés par la centrale d’achat de Carrefour.

      En décembre 2022, il obtient l’ouverture d’une procédure de sauvegarde.

      En novembre 2023, les juges lui ouvrent la possibilité de modifier les statuts de sa société (qui lui imposaient jusque-là de rester dans le groupe du franchiseur) et prononcent la résiliation de tous ses contrats avec Carrefour (franchise, approvisionnement et autres).

      Devant la cour d’appel de Reims – qui a déjà validé l’ouverture de la procédure de sauvegarde par un arrêt d’avril 2024 -, le groupe Carrefour conteste par différentes procédures la résiliation des contrats, la modification des statuts ainsi que l’adoption du plan de sauvegarde en décembre 2023.

      Le groupe Carrefour conteste entre autres la résiliation des contrats du franchisé décidée par la justice

      Concernant la résiliation de ses contrats, le groupe franchiseur estime que sa nécessité « n’est pas démontrée par le franchisé » et que les difficultés qu’il a invoquées ne sont pas réelles.

      Il affirme que sa politique tarifaire n’est pas en cause, pas plus que le fonctionnement de sa logistique et réfute toute situation de dépendance du franchisé à son égard.

      Il relève encore que cette résiliation lui porte « une atteinte particulièrement excessive » en termes de pertes financières, de maillage du territoire et d’atteinte à son image.

      Par ailleurs, par la voix de sa filiale détenant 26 % du capital de la société franchisée, Carrefour considère que la résiliation des contrats n’entrait pas dans les pouvoirs du juge qui l’a prononcée, sauf à violer les statuts de la société.

      Une résiliation inutile pour la société franchisée qui entraîne de fait « l’extinction de son objet social » (à savoir l’exploitation d’un fonds de commerce sous enseigne Carrefour) et donc « la dissolution de plein droit » de la société.

      Le groupe réclame en conséquence que les résiliations soient annulées et que la reprise des relations contractuelles soit ordonnée au franchisé et ce sous astreinte.

      « Pas d’excès de pouvoir des juges » à l’origine de la résiliation des contrats, selon la cour

      La cour d’appel de Reims contredit point par point cette argumentation et rejette la demande.

      Les magistrats considèrent d’abord que les juges qui ont décidé puis confirmé la résiliation des contrats « ont statué dans le cadre des pouvoirs juridictionnels qui leur étaient dévolus, par des motifs de droit » en « se fondant sur les dispositions de l’article L. 622-13 alinéa IV du code de commerce ».

      Pour les magistrats, l’exploitation du fonds de commerce du franchisé pouvait se faire sous une enseigne concurrente

      abstract blur in supermarketEnsuite, selon l’article 2 des statuts de la société franchisée, « l’objet (social) principal était celui de l’exploitation d’un fonds de commerce de type supermarché, l’enseigne n’étant qu’un accessoire dès lors que les contrats de franchise et d’approvisionnement étaient à durée déterminée et que la durée de la société était de 99 ans. »

      Pour les juges « contrairement aux affirmations (de Carrefour), l’objet social ne s’est pas éteint » puisque la société franchisée a poursuivi l’exploitation du fonds (avec une autre enseigne).

      Conséquence : « Aucune violation des statuts du fait d’un prétendu excès de pouvoir du juge commissaire n’est démontrée. » 

      Une résiliation rendue nécessaire selon la cour en raison des difficultés rencontrées par la société franchisée…

      Par ailleurs, les magistrats estiment, comme les premiers juges, que la résiliation des contrats était nécessaire à la sauvegarde de la société franchisée.

      D’abord parce que les difficultés financières qu’elle a rencontrées étaient bien réelles. Les documents comptables ont démontré à la cour que la situation de la société franchisée « s’était dégradée » sur une longue période « avec une chute de rentabilité malgré l’augmentation de son chiffre d’affaires et son désendettement (…) le résultat net étant passé de 66 583 euros en 2013 à 3 895 euros en 2022 ». 

      Ensuite parce que « la charte commerciale liant les parties imposait des prix d’achat et de vente régulièrement supérieurs à ceux de la concurrence (avec un écart moyen de près de 20 % sur certaines familles de produits) ce qui entraînait une baisse de rentabilité de la société (franchisée) »

      Aux yeux des juges, le franchisé était en outre « dépendant des conditions de livraison imposées par son co-contractant » et a démontré de « graves difficultés de logistique (…) impactant directement son exploitation » ainsi que l’absence d’assistance de la centrale.

      …En raison aussi du blocage imposé par les statuts de la société franchisée

      Or, du fait des statuts de la société franchisée qui accordaient « un pouvoir de blocage » à une filiale du franchiseur, le gérant, « bien que majoritaire » n’était « pas libre de choisir son co-contractant » et « devait obtenir l’accord du groupe pour résilier le contrat avec la centrale, malgré son inexécution ». Ce qui pour la cour « caractérise un déséquilibre contractuel préjudiciable à la société (franchisée) ».*

      La résiliation du contrat d’approvisionnement était donc nécessaire « afin de permettre (au franchisé) un retour à une situation de marge plus normale, en allégeant ses contraintes logistiques, dans le cadre d’un nouveau partenariat avec une enseigne concurrente. »  

      La négociation du contrat de franchise étant impossible, la résiliation s’imposait, estiment les magistrats

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceLa cour affirme de même que la résiliation du contrat de franchise et des contrats annexes était nécessaire à la sauvegarde de la société franchisée.

      Le franchiseur « échoue à démontrer », écrit la cour, qu’il avait « apporté (au franchisé) l’assistance nécessaire ». En outre, « le système de franchise participative mis en place par le groupe Carrefour, (…) a rendu impossible, en l’absence du soutien du franchiseur, toute tentative du gérant de renégocier le contrat de franchise en cause, malgré les difficultés tant économiques que matérielles rencontrées. » 

      « Aucune solution contractuelle ne s’offrant (au franchisé) », la résiliation s’imposait.

      La résiliation des contrats du franchisé « n’entraîne pas d’atteinte excessive » aux intérêts du groupe Carrefour

      Quant à « l’atteinte excessive » qui aurait été portée aux intérêts du groupe Carrefour par la résiliation des contrats, les magistrats relativisent.

      Ils rappellent d’abord que la centrale d’achat CSF, filiale du groupe, « a réalisé en 2021 un chiffre d’affaires de 22 milliards d’euros et un résultat net de 75,5 millions d’euros. » Ils mettent en regard respectivement le 1,8 million d’euros de montants d’achats de la société franchisée et le million d’euros que la centrale d’achat estime avoir perdu du fait de la résiliation anticipée du contrat d’approvisionnement pour en déduire que cela « ne représente pas une atteinte excessive » aux intérêts de Carrefour.

      De même, la cour compare le CA de 747 millions d’euros de la société franchiseur (Carrefour proximité France) et son résultat net de 320 millions d’euros en 2021 avec les 970 000 euros que le groupe aurait perdu du fait de la résiliation anticipée du contrat de franchise. Là non plus, pour eux, il n’y a « pas d’atteinte excessive au regard de la situation financière très favorable (de la filiale de Carrefour) ».

      CARREFOUR CITY – 5AVRIL2019A propos du maillage, la cour estime que la « privation de point de vente préjudiciable (à Carrefour) n’est pas démontrée » puisque le groupe comptait « sur le territoire rémois, au jour de la résiliation des contrats, 13 magasins de proximité dont 6 de l’enseigne Carrefour City (inclus celui du franchisé) et que cette « implantation s’est poursuivie depuis lors. »

      Enfin, « aucune atteinte à son image ou déstabilisation de son réseau n’est pas ailleurs démontrée, le poids de la société (franchisée), petite structure de distribution, étant sans commune mesure avec celui des sociétés du groupe. »

      Résultat : la résiliation des contrats décidée en 2023 est validée par la cour d’appel de Reims et la demande du groupe Carrefour sur ce point rejetée.

      Modification des statuts : « Pas d’atteinte aux éléments fondamentaux du contrat de société », selon la cour

      Parallèlement, le groupe de grande distribution conteste les jugements ayant autorisé et confirmé la modification des statuts de la société franchisée.

      Pour lui, seule « la collectivité des associés » de la société franchisée « avait le pouvoir de modifier les éléments fondamentaux du contrat de société » tel que l’objet social.

      Il ajoute notamment que la modification des statuts aurait dû intervenir avant l’adoption du plan de sauvegarde et qu’elle est donc irrégulière.

      La cour n’est pas de cet avis.

      Les magistrats expliquent à nouveau que dans les circonstances de ce litige, l’enseigne n’a qu’un caractère accessoire par rapport à l’objet social principal de la société.

      Sa modification n’entraînant pas la création d’une nouvelle société et la filiale du groupe Carrefour y restant associée minoritaire, il n’y a « pas d’atteinte aux éléments fondamentaux du contrat de société. »

      En outre, selon les juges, « la loi ne prévoit pas » que les modifications statutaires doivent intervenir avant l’adoption du plan de sauvegarde même si elles sont nécessaires à son exécution.

      Le groupe Carrefour n’a pas d’argument valable pour s’opposer au plan de sauvegarde, selon les juges

      Enfin, la société franchiseur Carrefour proximité France et la société Selima, filiale présente au capital du franchisé ont formé « tierce opposition » au jugement de décembre 2023 adoptant le plan de sauvegarde. Cette opposition ayant été écartée par le tribunal de commerce de Reims en juin 2024, ces deux sociétés du groupe Carrefour ont fait appel.

      La cour écarte là aussi en détail les arguments du plaignant.

      « L’adoption de ce plan (de sauvegarde) », écrit la cour d’appel de Reims en conclusion, « constitue l’aboutissement des décisions préparatoires (résiliation des contrats et modification des statuts de la société) et vient consacrer l’apurement du passif et la résolution des difficultés rencontrées par la société (franchisée) en lui permettant de retrouver une situation in bonis profitant à ses associés. »

      « C’est donc à bon droit que le tribunal de commerce a déclaré irrecevable la tierce opposition (des sociétés du groupe) » après avoir relevé notamment que ce plan « n’avait pas été rendu en fraude des droits » des sociétés du groupe Carrefour.

      Là encore, « le jugement querellé est confirmé en toutes ses dispositions soumises à la cour ».

      *Rappelons que, dans le système de franchise participative du groupe Carrefour, toute décision importante de la société franchisée doit être prise à une majorité des 3/4. Or, le franchisé ne détient que 74 % des parts sociales.

      >Références des décisions :

      -Cour d’appel de Reims, 22 avril 2025, dossiers joints n° 24/00893, n° 24/00894 et n° 24/00895 ; -Cour d’appel de Reims, 22 avril 2025, n° 24/00954 ; n° 24/00956 ; n° 24/00957 

      >Lire aussi sur le sujet :

      -L’article de Yasmina Idani, Maître de conférences à l’université de Montpellier dans la Lettre de la distribution de Juin 2025.