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      Exclusivité territoriale : la justice rappelle les règles - Brève du 9 mars 2023

      Trop pressé de partager le territoire exclusif de l’un de ses franchisés, un franchiseur est sanctionné et le nouvel entrant condamné pour complicité. Mais le franchisé plaignant n’obtient pas, loin de là, toutes les compensations qu’il réclamait.

      La cour d’appel de Paris a rendu le 18 janvier 2023 une décision intéressante en matière d’exclusivité territoriale en franchise.

      Dans cette affaire, un contrat de 5 ans est signé en octobre 2014. Il comporte notamment une clause d’exclusivité attribuant au franchisé le territoire d’un département français très peuplé.

      Le contrat est précis : le franchiseur s’interdit, pendant la durée du contrat, de signer une autre convention de franchise dans le périmètre défini. En cas de non-respect de cette clause, le contrat peut être résilié de plein droit par le franchisé.

      Le franchiseur partage le territoire exclusif du franchisé sans avoir obtenu son accord officiel

      Franchise-strategie-implantationUn peu moins de deux ans plus tard, le franchiseur envisage d’attribuer une partie du département concédé en 2014 à un nouvel entrant dans le réseau.

      En mars 2016, des pourparlers ont lieu entre le franchisé et son futur collègue. Une liste d’une cinquantaine de villes est dressée comme pouvant changer de mains.

      Aucune réserve écrite n’est formulée alors par le franchisé en place. Mais il ne signe pas non plus le projet d’avenant à son contrat mis au point par le franchiseur pour officialiser le changement.

      Il est cependant considéré comme consentant par le franchiseur comme par le candidat. Et ces deux partenaires signent le 1er avril 2016, un contrat de franchise sur la base du nouveau découpage du territoire.

      Les relations se dégradent et le franchiseur fini par résilier le contrat de son franchisé

      Or, le 13 mai, le franchisé adresse à son franchiseur un courrier pour lui notifier  qu’il ne souhaite pas procéder au partage de son territoire exclusif.

      Dix jours plus tard, le franchiseur remet l’exclusivité à ses contours de 2014 et confie au nouveau franchisé deux départements limitrophes, d’une population totale comparable à celle accordée à son collègue.

      Mais les relations entre les parties se dégradent, le franchisé estime que le nouvel entrant ne respecte pas son exclusivité territoriale. La confiance est perdue. Il prend ses distances avec l’enseigne et ne paie plus ses redevances.

      En avril 2017, le franchiseur résilie le contrat de 2014, arguant diverses inexécutions contractuelles de son partenaire mécontent. En décembre, le franchisé assigne son ex-franchiseur en justice.

      Trop peu indemnisé à son avis en première instance, le franchisé fait appel

      Le tribunal de commerce de Lyon condamne en janvier 2021 le franchiseur à rembourser au franchisé le montant de son droit d’entrée (18 000 € TTC), estimant que la rupture du contrat est intervenue aux torts du franchiseur.

      Insatisfait de cette décision, le franchisé fait appel et réclame, pour sa société et pour lui-même, des dommages et intérêts de près de 700 000 € au total pour cause de gains manqués, de salaires perdus et de préjudice moral, suite à la résiliation anticipée du contrat du fait du franchiseur et, selon lui, à une série de manquements contractuels de celui-ci.

      Les juges prononcent la résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur

      Appelée à se prononcer sur le dossier, la cour d’appel de Paris confirme, mais seulement en partie, la décision du tribunal de commerce.

      Pour les magistrats, « le franchiseur a eu tort, comme il le reconnaît lui-même, de considérer comme acquis l’accord de la société franchisée quant à la réduction de son périmètre d’exclusivité alors que ce nouveau découpage n’était pas acté et ne l’a pas été par la suite ».

      Le contrat doit donc être considéré comme résilié aux torts exclusifs du franchiseur à compter du 1er avril 2016, date de la signature du contrat de franchise avec le nouvel entrant.

      Cependant, la cour infirme la décision de première instance condamnant le franchiseur à rembourser en conséquence le droit d’entrée de son ex-partenaire.

      En effet, selon les juges, la résiliation « met fin au contrat sans que les parties aient à restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procurées l’une à l’autre » jusqu’au 1er avril 2016. « La résiliation d’un contrat à exécution successive n’opérant que pour l’avenir ».

      Ils écartent les autres accusations, dont celle concernant la discrimination entre franchisés sur le montant du droit d’entrée

      La cour d’appel écarte par ailleurs toutes les accusations du franchisé portant sur le manque d’assistance du franchiseur, son manque de loyauté, des engagements non respectés, etc.

      Le franchisé reprochait entre autres à son « ex » d’avoir accordé au nouvel entrant un droit d’entrée inférieur de 20 % au sien, alors même que – le réseau s’étant développé entre 2014 et 2016 – ce droit aurait dû, selon lui, logiquement augmenter.

      En réponse les magistrats relèvent que « ni le droit français, ni le droit européen ne sanctionnent le fait, pour un franchiseur, d’appliquer des frais d’entrée différents, en fonction des franchisés, le droit d’entrée étant négocié entre franchiseur et franchisé. »

      Le nouveau franchisé est condamné pour complicité

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceConcernant la responsabilité du nouvel entrant, la cour d’appel confirme la décision de première instance. Les juges relèvent d’abord que, « de jurisprudence constante, le franchisé bénéficiaire d’une clause d’exclusivité territoriale peut opposer celle-ci à l’encontre d’un franchisé du même réseau qui s’implanterait sur sa zone. »

      Ils notent ensuite que le plaignant avait mis en garde sur ce point son nouveau collègue. Certes, admet la cour, « il a été remédié rapidement à la situation ». Mais le nouvel entrant s’est quand même livré, d’avril à juin 2016 inclus, à son activité sur le territoire exclusif de son collègue.

      Or, il connaissait l’existence de cette exclusivité et « a donc commis une faute en aidant le franchiseur à violer son engagement ».

      A la lumière des factures produites, la cour condamne sa société à verser 994 € à celle de son ex-collègue, correspondant à la marge brute réalisée indûment selon elle pendant cette période de trois mois en 2016.

      Les magistrats accordent 16 000 € de dommages et intérêts au franchisé plaignant…

      Examinant les demandes de compensation des préjudices subis, la cour retient que la société franchisée a décidé de « quitter le réseau alors que ses droits étaient rétablis » et qu’elle « ne peut rendre responsable le franchiseur des gains manqués postérieurs à juin 2016 ».

      Invoquant ces « circonstances particulières », elle fixe le montant des dommages et intérêts résultant de la résiliation anticipée du contrat par le franchiseur à 16 000 €.

      Mais elle écarte le préjudice moral de la société franchisée car « il n’est pas caractérisé » et celui du franchisé personne physique qu’elle estime « non justifié ». De même que la demande concernant ses salaires perdus.

      …Mais le condamnent à 5 000 € pour non-respect de sa clause de non-concurrence post-contractuelle

      Et, parce que la société franchisée a continué jusqu’en 2019, de faire référence sur son papier à en-tête et son site internet à la marque du franchiseur, la cour condamne la société du plaignant à 5 000 € de dommages et intérêts pour violation de sa clause de non-concurrence post-contractuelle.

      En revanche, même si le franchisé s’est « mis en retrait du réseau » après la violation de sa clause d’exclusivité territoriale, il n’a pas à s’acquitter des redevances que le franchiseur lui réclame devant la cour.

      Les magistrats expliquent que le contrat ayant été résilié (de fait) par le franchiseur au 1er avril 2016, le franchisé, « était en droit de ne pas régler, (par la suite), les redevances mensuelles prévues au contrat de franchise ». Même si son territoire exclusif a été rétabli trois mois plus tard.

      >Référence de la décision :

      -Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 4, arrêt du 18 janvier 2023, n° 21/02502