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      La clause intuitu personæ d’un contrat de franchise doit-elle être réciproque ?

      Tribune publiée le 18 janvier 2022 par Jean-Pierre PAMIER
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      La question est aussi ancienne que la franchise. Mais le débat vient d’être relancé par un arrêt de la cour d’appel de Paris annulant une clause intuitu personæ pour déséquilibre significatif. Rappelons que cette clause, présente dans presque tous les contrats, concerne les franchisés lors de la vente de leur entreprise et/ou lors du rachat de leur réseau.

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceDans son arrêt Domino’s Pizza du 5 janvier 2022, la cour d’appel de Paris annule la clause d’intuitu personæ du contrat de franchise Pizza Sprint, repris par Domino’s en 2016. Précisons que Intuitu personæ se dit d’un contrat signé en considération de la personne. Ce qui induit que cette personne ne peut pas sortir du contrat sans l’accord de l’autre signataire.

      En franchise, il s’agit d’une clause classique rédigée le plus souvent de telle manière qu’elle empêche le franchisé de céder ou transmettre son entreprise (donc de modifier sa personne signataire) sans l’accord du franchiseur. Mais pas l’inverse : le franchiseur souhaitant garder la liberté de transmettre et de vendre son entreprise et donc son réseau à qui et quand il le veut sans avoir à demander l’autorisation de ses franchisés.

      Pratique que contestent certains de leurs avocats pour qui la clause devrait être réciproque et permettre aux deux partenaires d’avoir chacun au moins un droit de veto sur tout projet de vente ou de transmission de l’autre contractant.

      « La personnalité du dirigeant de la société franchiseur a aussi son importance » (Tribunal de commerce de Rennes)

      Dans le cas de Pizza Sprint, en signant la clause examinée par la cour d’appel, le franchisé s’engageait à ne pas vendre ou transmettre son contrat à quiconque sans l’accord de la tête de réseau et aussi « à informer le franchiseur de tout projet ayant une incidence sur la répartition actuelle de son capital ou de celui de son principal actionnaire, ou dans l’identité de ses dirigeants effectifs au minimum deux mois avant la réalisation de l’opération projetée ».

      Le texte stipulait ensuite que le franchiseur aurait dès lors la possibilité de résilier le contrat de manière anticipée sans pénalité pour lui.

      Une clause contestée en justice par les franchisés (soutenus par le Ministère de l’économie) qui y ont vu un déséquilibre significatif dans la mesure où le même droit ne leur était pas reconnu.

      L’affaire a déjà été jugée – et la clause annulée – par le tribunal de commerce de Rennes le 22 octobre 2019 : « En matière de franchise, il est indiscutable que c’est la personnalité du dirigeant de la société franchisée, son intuitu personæ, qui convainc le franchiseur » notaient les juges consulaires. «  Et c’est l’enseigne et le savoir-faire du franchiseur qui convainquent, de son côté, le franchisé. »

      « Néanmoins, il serait faux de croire, poursuivait le tribunal, que la personnalité du dirigeant de la société franchiseur, son intuitu personæ, n’est jamais regardée par le candidat à la franchise. C’est notamment le cas dans le cadre de jeunes réseaux ou de petits réseaux, relatifs à des enseignes d’une envergure limitée, où l’intuitu personæ du dirigeant du franchiseur joue alors aussi un rôle déterminant dans la décision du franchisé de contracter. »

      En l’occurrence, le tribunal a considéré que « le réseau Pizza Sprint, avec à peine plus de 80 points de vente seulement et une implantation régionalement limitée, était, avant 2016, un petit réseau et que certains franchisés ont évidemment signé un contrat de franchise au regard de la personnalité même du dirigeant à l’époque (de la société franchiseur de Pizza Sprint). »

      Conclusion : « sans qu’il soit question de permettre aux franchisés de bloquer toute cession du réseau », (…) « un bon équilibre du contrat aurait dû (leur ouvrir la possibilité) en cas de modification de l’actionnariat ou des dirigeants du franchiseur, de résilier sans indemnité le contrat de franchise »

      « Si la personne morale du franchiseur ne change pas, les franchisés n’ont pas à donner leur accord sur sa vente » (Avocats d’un franchiseur)

      Restaurant franchisé Pizza Sprint livraison de pizzasLe Ministère de l’économie accompagné des franchisés, ayant, dans cette procédure, fait appel pour d’autres raisons, l’affaire est venue devant la cour de Paris (Pôle 5, chambre 4).

      Les défenseurs du groupe de franchise Domino’s Pizza (repreneur de Pizza Sprint en 2016), y ont donc renouvelé leurs arguments selon lesquels la clause intuitu personæ en question n’est pas déséquilibrée.

      D’abord parce que, selon eux, « en cas de cession de tout ou partie des titres d’une société et/ou changement de dirigeants, la personne morale (la société franchiseur) subsiste et que dès lors il n’est nul besoin de l’accord des franchisés pour autoriser (l’opération). Et ce, que le contrat de franchise soit ou non conclu intuitu personæ ». Ils citent à l’appui de leur démonstration une décision de cassation du 29 janvier 2013 publiée au bulletin de la plus haute juridiction française.

      S’il y avait eu changement de la personne morale du franchiseur, poursuivent les avocats, c’est-à-dire « cession du contrat, ou opération de fusion absorption et apport partiel d’actifs », l’accord des franchisés aurait été requis en application de la jurisprudence. (Raison pour laquelle nombre de contrats de franchise comportent une clause par laquelle les franchisés autorisent par avance leur franchiseur à ces opérations.) Mais là, nous ne sommes pas dans ce cas de figure, expliquent-ils.

      Le groupe de franchise insiste sur le fait que la totalité des titres de la société Fra-Ma-Pizz, franchiseur de Pizza Sprint, a été cédée et « qu’en conséquence la personne morale du franchiseur est demeurée inchangée ». Les franchisés n’avaient donc pas à donner leur accord sur cette cession, leur contrat ne comportant pas de clause le prévoyant expressément.

      Les avocats concluent en rappelant qu’il est « habituel que le contrat de franchise comporte une clause prévoyant un intuitu personæ (…) au profit du seul franchiseur (…) »

      Le rachat du réseau par un concurrent peut « bouleverser l’équilibre de l’entreprise franchisée » (Cour d’appel de Paris)

      Saisie de la question, la cour d’appel de Paris estime certes que la clause « se justifie dans son principe » dans la mesure où le franchiseur l’utilise pour préserver la réputation du réseau et favoriser son développement (en sélectionnant les successeurs de ses franchisés).

      Elle considère toutefois que, telle qu’elle est rédigée, elle « crée un déséquilibre significatif entre les droits du franchiseur et les obligations du franchisé ».

      Les magistrats reprochent d’abord l’imprécision du mot « incidence » à propos du projet du franchisé qui ne permet pas à celui-ci d’appréhender ce qui est vraiment autorisé alors même qu’il risque la résiliation de son contrat sans obtenir d’indemnité « ce qui est une conséquence grave » pour lui.

      La cour répond ensuite aux arguments des avocats de la défense et « observe que la clause intuitu personæ n’est prévue qu’au seul bénéfice du franchiseur ».

      Or, pour les magistrats, si un franchiseur choisit ses franchisés pour leurs qualités personnelles, leur itinéraire professionnel, leur financement et leur aptitude à rejoindre son réseau, le franchisé lui aussi choisit son franchiseur « sur la base d’un certain nombre de critères tels que son concept, la notoriété de sa marque, la solidité de la tête de réseau, les perspectives de développement de l’enseigne ».

      Par conséquent, « sans qu’il y ait nécessairement changement de la personne morale  (c’est-à-dire de la société du franchiseur), un changement dans la structure de (son) actionnariat ou un changement de dirigeant sont de nature à avoir également “une incidence” (sur le franchisé) ».

      Car ces changements peuvent « bouleverser l’équilibre » de l’entreprise franchisée comme lors du rachat du réseau par un concurrent par exemple, « ce qui est d’autant plus problématique dans le cas où (…) le franchisé ne peut pas résilier le contrat à son initiative sans frais ». C’est à dire sans pénalité de rupture anticipée.

      Les franchisés pourraient-ils désormais résilier leur contrat sans pénalité en cas de rachat de leur réseau par un concurrent qu’ils ne veulent pas rejoindre ?

      Attention, la cour d’appel ne dit pas pour autant que la clause intuitu personæ d’un contrat de franchise doit être réciproque. Les juges consulaires ont d’ailleurs pris soin de le préciser : il n’était pas question pour eux de permettre aux franchisés de bloquer tout projet de cession du réseau par le franchiseur. La cour d’appel ne dit pas autre chose.

      Toutefois, la cour ne se borne pas à juger que, dans le cas d’espèce examiné, il y avait un déséquilibre (avec résiliation du contrat autorisée pour une partie et pas pour l’autre). Ce que disent les magistrats des conséquences possibles pour un franchisé d’un changement d’actionnariat et/ou de dirigeant franchiseur dans le cadre du rachat du réseau par un concurrent est de portée générale. Et valable quelle que soit la taille du réseau de franchise et son maillage du territoire.

      Pour autant, les franchiseurs ne vont pas se précipiter pour insérer dans leurs contrats ce type de possibilité offerte aux franchisés. Ils ne voudront pas risquer de voir la valeur de leur réseau s’effondrer voire sa cession devenir impossible. Quel repreneur serait prêt en effet à racheter une chaîne dont les maillons peuvent facilement se détacher aussitôt après son rachat ?

      Cependant, on peut comprendre à la lecture de cet arrêt qu’un franchisé qui se trouverait demain dans la même situation que ceux de Pizza Sprint en 2016, bénéficierait sans doute de l’indulgence des magistrats parisiens s’il résiliait son contrat. Les juges ayant, comme ils l’ont rappelé, le pouvoir de réduire le montant de la clause pénale prévue par le franchiseur pour cause de rupture anticipée. Ils pourraient d’ailleurs faire de même concernant les dommages et intérêts à régler pour non-respect des clauses de non-concurrence et/ou non-affiliation post-contractuelles, voire décider la levée de toutes ces clauses.

      Il faut tout de même noter que, parmi les éléments qui ont déterminé la cour à prendre sa position dans le litige Pizza Sprint, il y a le fait que le réseau racheté a été littéralement avalé par le groupe repreneur et que cette enseigne a pratiquement disparu en deux ans. Ce qui n’est pas le cas dans tous les rachats de réseau par des concurrents.

      On l’aura compris, si les magistrats de la cour d’appel de Paris ne remettent pas en cause le principe du caractère univoque de la clause intuitu personae dans les contrats de franchise, ils ouvrent – au moins dans certains cas – une porte de sortie aux franchisés qui peuvent y être confrontés.

      Référence de la décision citée :

      Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 4, arrêt du 5 janvier 2022, n°20/00737

      (Voir pages 59 à 63)