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      Devenir franchisé d’un réseau succursaliste ?

      Dernière mise à jour le 7 juin 2021

      De plus en plus de réseaux succursalistes s’ouvrent à la franchise. Beaucoup réussissent leur lancement. Mais pas tous. Quelles précautions les franchisés doivent-ils prendre avant de les rejoindre ?

      Depuis plusieurs années en France, de grandes enseignes jusque-là purement succursalistes (c’est à dire propriétaire de tous leurs magasins), s’ouvrent  à la franchise (ou à la commission-affiliation).  Parmi elles : Picard, Starbucks, Darty, Habitat, Alinea, Courir, Go Sport, la Fnac, Eram (et ses 8 enseignes), etc.

      Points communs de la plupart de ces réseaux : leur taille, souvent supérieure à 300 points de vente dans l’Hexagone, leur notoriété et une position dans le top 5 de leur secteur. Plusieurs se sont également bien développés dans le reste du monde, avec, pour certains, une expérience de la franchise.

      Des caractéristiques auxquelles s’ajoute, sauf exception, un grand appétit de conquête et plusieurs dizaines d’ouvertures espérées à chaque fois grâce aux nouveaux leviers mis en œuvre.
      Autre similitude : leur volonté de parfaire leur maillage du territoire en s’installant dans des villes  moyennes et petites, en dessous de 100 000, 50 000, voire 10 000 habitants. Là où une succursale ne serait pas rentable en raison du poids de la masse salariale nécessaire. Mais où un franchisé qui s’investit personnellement pourra, lui y parvenir.

      Quant au profil des candidats recherchés, il est souvent le même : des commerçants de leur secteur les mieux implantés possible dans leur ville, dominant – ou en tout cas connaissant très bien – leur marché local (et celui de l’immobilier de commerce). Franchisés venus d’enseignes concurrentes et pluri franchisés (membres de plusieurs enseignes) appréciés. En particulier dans le prêt à porter, secteur pionnier en la matière avec des conversions précoces comme celles de Celio en 2006, Devred 1902 en 2007, Kiabi en 2009 et quelques autres.

      Tous les secteurs ou presque sont concernés. On trouve ainsi dans la liste Générale d’Optique et Grand Optical (Groupe Grandvision) aussi bien qu’Euromaster (la filiale de Michelin).

      Dernier trait commun de plusieurs de ces réseaux (mais pas tous) : la décision de franchiser a été prise à un moment de leur histoire où leur secteur ou eux-mêmes connaissaient un ralentissement de l’activité. La franchise apparaissant alors comme l’un des relais de croissance envisagés pour se relancer face à la concurrence des « pure players » sur Internet et/ou à la crise de la consommation.

      En dehors de ces grands groupes, d’autres réseaux se développant eux aussi uniquement en direct ont opéré  le même virage : la chaîne d’habillement féminin Mim en 2012, Mondial Tissus, ou Kusmi Tea en 2015. Moins connues, ces enseignes regroupant tout de même plusieurs dizaines de magasins en France adoptent la même démarche que les grands groupes. Avec, souvent, des objectifs de développement ambitieux.

      Ces choix des têtes de réseaux succursalistes sont-ils pour autant pertinents ?  A quelles conditions cette stratégie d’ouverture à la franchise peut-elle réussir ? Et, côté franchisé, quels intérêts et quels risques comporte l’offre de ces enseignes ?  Autant de questions auxquelles l’expérience de ces dernières années permet d’apporter des éléments de réponse.

      Ce qui frappe d’abord, c’est la prudence de plusieurs opérateurs, qui ont, manifestement, pris le temps de la réflexion et préparé leur virage. Un géant comme Starbucks (15 000 cafés dans le monde et une centaine en France ouverts en propre depuis 2004) a attendu 2013 pour annoncer son intention de s’ouvrir à la franchise. Et le mois de septembre 2015 avant d’inaugurer son premier salon de café franchisé à Bordeaux. Picard a pensé très sérieusement à la franchise dès 2011, Alinea (groupe Auchan) en 2012,  mais ils ne se sont vraiment lancés qu’en 2015, etc. A quel rythme vont-ils avancer maintenant ? Ils sont en tout cas très attendus.

      La prudence évidente de certains n’exclut pas pour autant la détermination et la vitesse lorsque la ou les cibles ont été bien définies et le projet – notamment l’adaptation du concept – soigneusement étudié.

      Témoin la manière avec laquelle Darty a réussi son lancement en franchise dans un secteur devenu difficile (y compris pour elle) depuis quelques années. En 18 mois, de mars 2014 à septembre 2015, l’enseigne est passée de 225 à 265 magasins en France avec l’ouverture de 40 unités franchisées, essentiellement par ralliement de commerçants et d’ex-adhérents de réseaux concurrents comme Digital, Connexion, Expert, Gitem, Pro & Cie.

      « Dans notre secteur, le réseau de détail a perdu ces cinq dernières années quasiment la moitié de ses points de vente », rappelait Frédéric Loquin, directeur de la franchise Darty, dans un entretien accordé en mars dernier à Franchise Magazine (n° 247). « Des réseaux ont énormément souffert ». L’effet notoriété joue donc à plein. Mais pas seulement. Le concept des magasins Darty (1 200 à 1 500 m²) a été repensé pour des surfaces de 350 à 950 m² (600 en moyenne), où « chaque famille de produits est représentée » et toutes les références accessibles par Internet grâce à des tablettes. Au total, « un pôle franchise de 16 personnes » rassemble au siège les compétences nécessaires pour accompagner les franchisés.

      Et les résultats sont là. Selon Frédéric Loquin, les commerçants ralliés auraient vu leurs chiffres d’affaires « augmenter de plus de 60 % » . Une tendance que confirme à sa manière l’enquête réalisée l’été dernier par l’Indicateur de la franchise auprès des 36 premiers franchisés de la marque. Très satisfaits (4,5/5) de leur lancement. Même s’ils le seraient moins de leurs marges…

      D’autres grands succursalistes convertis à la franchise (ou à la commission-affiliation) affichent aussi des développements satisfaisants de leurs réseaux grâce à cette stratégie. Depuis 2004, Générale d’Optique est passée de 150 succursales à plus de 500 magasins en France (dont 200 en franchise). Depuis 2006, Celio a ajouté 132 affiliés à son parc (de 500 magasins fin 2014). Depuis 2007, Devred 1902 en a recruté 87 (sur 275 points de vente). Enfin depuis 2008, Euromaster est passée de 330 à 390 centres grâce à 60 ouvertures en franchise, etc.

      Les résultats sont moins convaincants en revanche pour d’autres comme Eram et Go Sport. L’enseigne de chaussure annonçait 325 magasins en France en mai 2015 dont 50 en affiliation ou franchise, sensiblement comme en 2013. Le challenger du sport revendiquait 115 grandes surfaces en mars 2015, soit moins qu’en 2012.  De son côté, après avoir ouvert 5 franchises en France en 2014, Habitat semble réserver cette formule à son développement international.

      Grand Optical, pourtant bien parti en 2007 avec le rachat du réseau coopératif Visual, a revu ses ambitions à la baisse. Sur les 105 magasins venus s’ajouter aux 110 succursales d’alors, il n’en reste  qu’une trentaine. Surfaces et villes trop petites (80 m² et 50 000 habitants) ? Indépendance des ex-coopérateurs trop grandes ? L’enseigne, dont l’expansion a repris, et qui aligne 220 magasins dont 95 en franchise, refuse en tout cas désormais de descendre en-dessous de 100 m² et d’un potentiel de 5/600 000 € de CA. Son objectif, modeste (ajouter entre 3 et 6 magasins franchisés chaque année à sa bannière), tranche avec l’horizon de 500 points de vente caressé il y a quelques années. Le rachat d’un réseau constitué n’a donc pas eu que des avantages.

      Ce qui n’est pas forcément une règle. D’autres, comme Kiabi avec le rachat de Vêti en 2009, (enseigne également développée  en coopérative) ont connu davantage de réussite.

      La Fnac n’a pas, elle non plus, tout à fait atteint ses objectifs, annoncés en 2011 par son Pdg, Alexandre Bompart (au lendemain de la cession de l’entreprise par PPR).

      L’enseigne ambitionnait alors d’ouvrir en France dans les 5 ans « 30 grandes surfaces en propre dans les grandes villes » (en plus des 82 existantes) et « une cinquantaine de magasins de proximité (de 300 m² dans des villes de petite taille), pour partie en franchise ».

      Grâce à un accord avec Lagardère et sa filiale Relay, une vingtaine de petites surfaces a ouvert dans les aéroports et les gares.

      Une dizaine de créations ou ralliements de commerçants (libraires, disquaires, ex-Plein Ciel ou Nuggets) a eu lieu également. Mais sur des formats très divers, de 320 m² en centre-ville à 1800 en périphérie.

      Deux tests étaient en cours et des accords en vue, fin 2015, avec Intermarché.  Mais face aux pure-players comme Amazon « qui sont par définition présents partout », si la Fnac a redressé l’activité de son site marchand et ses comptes (et a trouvé de nouveaux relais de croissance, notamment avec le rachat… de Darty), la conquête de nouveaux territoires pour son enseigne via la franchise lui a été plus difficile que prévu.

      De grands réseaux, et pas des moindres, ont, eux, carrément échoué en franchise. Comme récemment Foncia. Ouvert à la formule en 2006, alors qu’il comptait 500 succursales, le grand réseau de syndics et administrateurs de biens a fédéré rapidement 130 franchisés (en 2008). Pourtant, aujourd’hui, il n’en compterait pas même une vingtaine, ne recrute plus de partenaires sur son site Internet et refuse de s’exprimer sur le sujet.

      Entre-temps, il y a eu l’arrivée de deux fonds d’investissement à la tête du groupe en 2010 et le clash de 2013, suite à l’annonce par Fonciaà 43 de ses 87 franchisés d’alors – que leur contrat ne serait pas renouvelé une fois parvenu à son terme. L’enseigne envisageant d’implanter des succursales à la place des agences franchisées concernées. La révolte qui a suivi et les procédures judiciaires en série (dont certaines durent encore) n’ont pas amélioré le climat entre les deux parties.

      Mais les racines du divorce sont plus anciennes. Comme en atteste la liste des reproches exprimés par les franchisés remerciés à l’occasion des procès. Ils n’ont pas eu le sentiment qu’on leur accordait la même place qu’aux succursales. Qu’il s’agisse de transfert des savoir-faire en matière de gestion immobilière et de copropriété, de partage des fichiers ou plus généralement de synergie réseau. Et c’est sans doute de là que vient l’échec de la franchise chez Foncia.

      A l’opposé, un réseau comme Speedy (en progression régulière) a vu la proportion de ses franchisés doubler entre 2005 et 2015, passant de 20 à 40 % du réseau pour atteindre, fin 2015, 207 centres franchisés sur 485. Le secret ? L’autonomie et les moyens dont dispose le directeur de la franchise (René Prévost, créateur de ce département en 1991 et par ailleurs président de la Fédération française de la franchise). Et ses principes, qu’il résume en quelques phrases : « Le franchisé a besoin d’une organisation qui lui soit dédiée.  Il a besoin d’avoir une réponse à ses questions. Il ne doit pas se sentir isolé. Il doit se sentir important dans la structure, écouté« . Une ligne de conduite qui a fait ses preuves.

      Côté franchisé, l’intérêt de rejoindre un réseau succursaliste en tant que partenaire est évident. A priori, cela va permettre de bénéficier d’une enseigne renommée, d’un savoir-faire éprouvé, d’une puissance d’achat inaccessible à un indépendant isolé. Il y a toutefois des risques.

      Ainsi, certains réseaux connaissent des difficultés au moment où ils s’ouvrent à la franchise. Faut-il pour autant les écarter automatiquement ? « Pas forcément », répondent les experts. « Tout dépend si le réseau en question a une image de marque suffisamment forte », explique l’avocat Olivier Deschamps (cabinet Linkea).

      Il faut quand même s’interroger. « Et savoir pourquoi ce réseau est à la peine », conseille Christian Bédrune Groupe GrandVision). « Est-ce parce que le marché n’est plus porteur ? Est-ce parce que les bons hommes ne sont plus aux bons endroits ? Ou bien est-ce parce que c’est la masse salariale qui pèse ? Dans ce dernier cas, le développement en franchise avec un investissement humain plus fort des franchisés pourra, peut-être, résoudre la difficulté. Mais mieux vaut se lancer en franchise avec un réseau sain quand même. »

      Dans tous les cas, tout va dépendre ensuite de la capacité de l’enseigne à maîtriser un savoir-faire qui lui est inconnu : le métier de franchiseur. « Si j’étais candidat franchisé, je me demanderais d’abord si le groupe succursaliste a eu une réflexion sur la franchise, recommande Olivier Deschamps (photo, cabinet Linkea). Ses responsables ont-ils compris la particularité de ce métier ? Par exemple, des forces vives connaissant bien la formule sont-elles arrivées dans l’entreprise ou bien ses dirigeants se sont-ils contentés de confier le projet au directeur commercial des succursales ? » Un recrutement de responsable qui peut compromettre le projet s’il y a, de la part du groupe, une erreur de casting.

      « Ensuite, je regarderais quelles sont les ambitions du groupe. Si je dois me retrouver avec pas plus de 4 affiliés face à 400 succursales, je vais m’interroger. »

      « Enfin, je me demanderais ce que le futur franchiseur attend de moi en tant que franchisé, poursuit l’avocat. S’il me prend uniquement pour quelqu’un qui va payer des redevances, cela ne m’intéresse pas. S’il me prend seulement pour quelqu’un qui lui apporte une masse d’achats, cela peut m’intéresser si j’y trouve mon compte financièrement. Mais idéalement, il devrait avoir compris que je suis un vrai partenaire qui peut apporter un plus à la gestion de son réseau. »

      Un point – tous les professionnels le reconnaissent – essentiel à la réussite de toute enseigne de franchise.