Depuis des années, Speed Rabbit Pizza et ses alliés franchisés reprochent à Domino’s Pizza d’avoir provoqué de manière illicite leur élimination du marché. Dans le cadre de cette procédure, ils viennent d’être condamnés pour la manière dont ils se sont procuré et ont produit devant les tribunaux plusieurs informations tendant à prouver leurs accusations. Toutefois, si certains de leurs actes ont été jugés déloyaux, ce n’est pas le cas de tous. Les juges ont rappelé aussi qu’à certaines conditions, il est possible comme ils l’ont fait, d’utiliser à titre de preuve des éléments couverts par le secret des affaires.
L’enseigne de franchise Domino’s Pizza à la tête de quelque 450 magasins en France a-t-elle eu recours pour développer fortement son réseau à un financement illicite de ses franchisés ?
A-t-elle pratiqué à leur avantage « une politique systématique, voire systémique de dépassement des délais de paiement » prévus par la loi ? Leur a-t-elle octroyé, toujours de façon illicite, crédits et abandons de créances ?
A-t-elle ainsi porté atteinte à la rentabilité et à l’attractivité du réseau concurrent Speed Rabbit Pizza qui revendiquait 130 unités en 2010 et n’en aligne plus que 7 aujourd’hui sur son site internet ?
C’est ce que soutient toujours son dirigeant devant les tribunaux sans avoir pu obtenir pour l’instant (de la part de la cour d’appel de Paris par exemple) une décision qui lui soit définitivement favorable. Et ce, malgré le soutien de plusieurs franchisés, de longues années de procédures, la nomination d’experts et l’intervention de la Cour de cassation. Il a au contraire été condamné en 2020 à une amende de 500 000 € pour dénigrement de son adversaire.
Domino’s Pizza débouté en première instance de ses demandes de dommages et intérêts contre Speed Rabbit Pizza et ses alliés franchisés
C’est dans le cadre de ce conflit non encore résolu que la cour d’appel de Versailles vient de se prononcer par un arrêt du 10 septembre 2025. Un arrêt qui concerne un aspect bien précis du dossier, à savoir les moyens employés par Speed Rabbit Pizza et ses alliés franchisés pour tenter de prouver aux juges le bien-fondé de leurs accusations.
Les adversaires de Domino’s Pizza ont-ils violé le secret des affaires ? Sont-ils coupables d’actes de concurrence déloyale, de dénigrement et de procédure abusive comme ils en sont accusés par Domino’s Pizza ? C’est ce qui a été examiné par les magistrats.
Cette affaire jugée à Versailles débute en octobre 2012. Deux franchisés Speed Rabbit en difficultés assignent en justice le franchiseur Domino’s Pizza et plusieurs de ses franchisés pour concurrence déloyale par violation des dispositions légales sur le monopole bancaire.
Après plus de 10 ans d’un parcours chaotique – le dossier a été présenté successivement devant les tribunaux de commerce de Paris, Lille et Nanterre -, c’est finalement celui de Versailles qui se prononce… le 3 février 2023 !
Entre-temps, le franchiseur Speed Rabbit et un ex-franchisé Pizza Sprint (dont le réseau a été racheté en 2016 par Domino’s) ont rejoint la procédure, respectivement en 2016 et 2017.
Par ailleurs, les sociétés franchisées Domino’s Pizza mises en cause par leurs homologues du réseau concurrent (huit au total) ont été placées en liquidation judiciaire ou dissoutes. Comme une des deux Speed Rabbit impliquées.
Débouté de ses demandes par les juges consulaires de Versailles, Domino’s Pizza a fait appel.
L’éclairage de la Cour de cassation : quand le droit à la preuve peut justifier l’atteinte au secret des affaires
Devant la cour, Domino’s réaffirme ses arguments et demande des dommages et intérêts supérieurs à 600 000 € au total. Du côté de Speed Rabbit, on réclame essentiellement la confirmation du jugement de première instance.
Entre-temps, la Cour de cassation réunie en assemblée plénière à l’occasion d’un autre conflit a indiqué, dans un arrêt du 22 décembre 2023, que « dans un procès civil désormais », « le droit à la preuve (peut) justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits ». A condition toutefois que cette production « soit indispensable (…) et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi »
En cohérence avec cette décision, la plus haute juridiction française est intervenue dans un litige opposant sur ce même thème un autre franchisé Speed Rabbit et son franchiseur à Domino’s.
Par un arrêt du 5 juin 2024 publié au bulletin, les magistrats ont ainsi cassé l’arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 23 novembre 2022 qui condamnait le franchiseur Speed Rabbit à 30 000 € de dommages et intérêts pour atteinte au secret des affaires.
Pour les magistrats de cassation, la cour d’appel aurait dû dans ce cas « rechercher si la pièce » litigieuse était ou non « indispensable » pour prouver les faits reprochés à Domino’s par Speed Rabbit et si « l’atteinte portée au secret des affaires de la société Domino’s Pizza n’était pas strictement proportionnelle à l’objectif poursuivi ».
L’affaire a été renvoyée devant la cour d’appel de Paris autrement composée.
Pour la cour d’appel de Versailles, certains documents utilisés par Speed Rabbit et ses alliés ne portent pas atteinte au secret des affaires
Se plaçant à l’évidence dans cette jurisprudence de la Cour de cassation, la cour d’appel de Versailles examine un à un les sept documents utilisés dans la procédure par Speed Rabbit ou ses alliés franchisés et considérés par Domino’s Pizza comme portant atteinte au secret de ses affaires.
Les magistrats rappellent d’abord ce qui, selon l’article L.151-1 du code de commerce, caractérise une information protégée par ce droit au secret.
Elle doit tout à la fois « ne pas être connue ou aisément accessible aux personnes » du même secteur d’activité, revêtir « une valeur commerciale effective ou potentielle du fait de son caractère secret » et « faire l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables (…) pour conserver ce caractère secret ».
Dans deux des sept cas examinés, la cour estime qu’il n’y a pas de la part de Speed Rabbit ou de ses alliés, d’atteinte au secret des affaires. Car il s’agit à chaque fois d’un programme de formation des franchisés avec « présentation en termes généraux des thèmes abordés », sans exposé des spécificités de Domino’s Pizza.
D’autres éléments produits devant les tribunaux portent atteinte selon la cour au secret des affaires mais, cette atteinte est « justifiée »
Dans trois autres cas, la cour considère qu’il y a bien atteinte au secret des affaires mais que celle-ci est justifiée.
Il s’agit par exemple de diapositives projetées lors d’une réunion de franchisés Domino’s Pizza en novembre 2005. Des diapos contenant des informations détaillées sur la stratégie commerciale du réseau et les méthodes transmises aux franchisés dans le but de « maximiser la vente des produits ».
Ces informations destinées aux seuls franchisés Domino’s n’étaient « ni connues ni accessibles » aux familiers du secteur et protégées par une clause de confidentialité, relève la cour. Le franchisé Pizza Sprint n’a pu se les procurer et les présenter en justice qu’en se passant du consentement de Domino’s Pizza. Il y a donc bien atteinte au secret des affaires.
Toutefois, selon les juges, cette atteinte est « justifiée par l’exercice par la société (franchisée) de son droit à la preuve, dès lors que son contenu vient au soutien de ses arguments, peu important leur pertinence ».
« L’atteinte (…) est en outre également proportionnée au but poursuivi dans la mesure où les éléments présentés datant de 2005 portent sur une stratégie commerciale propre à cette période. »
Même raisonnement et conclusion identique pour des diapositives projetées à des franchisés Domino’s en mai 2004, un courriel de novembre 2005 ou une campagne marketing de 2008/2009 destinée à « éliminer la concurrence », tous éléments produits par les deux sociétés franchisées Speed Rabbit Pizza dans la procédure.
Dans deux cas, les informations produites en justice par le franchiseur Speed Rabbit Pizza portent, selon la cour, une atteinte injustifiée au secret des affaires
En revanche, dans deux cas, il y a bel et bien selon la cour atteinte injustifiée au secret des affaires de Domino’s Pizza.
L’un des documents litigieux est un guide d’évaluation des points de vente Domino’s Pizza datant de 2018. Il contient selon la cour des informations détaillées sur des spécificités du réseau à respecter par les franchisés et s’adresse à eux seuls. Il a une valeur commerciale et bénéficie d’une clause de confidentialité prévoyant des sanctions en cas de non-respect. Il n’a pu être obtenu qu’en violation du consentement de son utilisateur légitime.
Et l’atteinte au secret des affaires n’est pas justifiée aux yeux des magistrats car « le contenu (de ce guide) ne vient pas au soutien des arguments » de Speed Rabbit Pizza à propos du non-respect du monopole bancaire et des délais de paiement excessifs qu’il reproche à son adversaire.
La cour ajoute notamment que le lien établi par Speed Rabbit « entre une exclusivité d’approvisionnement et de tels griefs (n’est) pas manifeste ».
Une analyse comparable aboutit au même résultat concernant un courriel de mai 2018 envoyé par l’équipe marketing de Domino’s aux franchisés à propos des commandes en ligne.
Viol du secret des affaires : la cour condamne Speed Rabbit Pizza à 20 000 € de dommages et intérêts

Elle condamne Speed Rabbit Pizza à 20 000 euros de dommages et intérêts afin de réparer ce préjudice.
Elle ajoute 75 000 € infligés au franchiseur et à ses alliés solidairement pour des actes de concurrence déloyale
Par ailleurs, la cour d’appel condamne solidairement Speed Rabbit Pizza, les deux sociétés franchisées de son réseau dans la procédure, ainsi que la société du franchisé Pizza Sprint à 75 000 € de dommages et intérêts pour « actes de concurrence déloyale ».
Les magistrats reprochent aux parties perdantes de s’être procuré et d’avoir produit en justice d’autres documents comme la retranscription d’une réunion de franchisés Domino’s Pizza d’octobre 2012 portant sur les procédures en cours en présence d’avocats et de membres de la direction du réseau.
Pour la cour, « cette retranscription (faisait) nécessairement suite à un enregistrement de la réunion et son contenu montre que les participants n’en avaient pas connaissance et qu’ils n’y ont pas consenti. »
Il s’agit donc « d’un acte de concurrence déloyale, accompagné de surcroît d’une atteinte au secret professionnel protégeant les échanges entre un avocat et son client, qui n’est justifié par aucun intérêt légitime. »
Si la cour écarte cette même accusation d’acte de concurrence déloyale pour plusieurs autres documents ne contenant selon elle pas d’informations confidentielles sur le fonctionnement de la franchise Domino’s Pizza, elle la confirme à propos de la captation et de la production d’autres courriels internes à cette société et « d’actes d’enquête de la DGCCRF (direction de la concurrence) » visant certains franchisés Domino’s et révélant des modalités de financement du développement du réseau.
Pour la cour, Speed Rabbit et ses alliés franchisés ont donc tous « contribué par leurs fautes » à un « trouble commercial » subi selon elle par Domino’s Pizza.
Les magistrats ne retiennent pas, cependant, les accusations (réciproques) de procédure abusive et celle de dénigrement visant Speed Rabbit.
Les parties, dont aucune ne peut être vraiment satisfaite de cet arrêt, peuvent bien entendu se pourvoir en cassation…
>Référence des décisions citées
-Cour d’appel de Versailles, chambre commerciale 3-1, arrêt du 10 Septembre 2025, n° 23/02282
-Cour de cassation, assemblée plénière, 22 décembre 2023, n° 20-20.648.
-Cour de cassation, chambre commerciale, 5 juin 2024, n° 23-10.954.
-Cour d’appel de Paris, pôle 5 – chambre 4, arrêt du 23 novembre 2022, n° 22/08310


