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      Laurent Kruch, Président – CEO de Karedas Consulting - Interview du 7 mars 2022

      Le commerce peut encore rester un lieu de contact et d’échange physique pendant plus longtemps qu’on ne le croit.

      Expert Franchise Laurent KruchSelon vous, comment le commerce va-t-il évoluer dans les dix prochaines années ?

      La crise sanitaire ayant justifié l’absence de contact physique, le commerce a tendance à évoluer à marche forcée, avec pour principe que « tout doit être digitalisé » parce que « le client ne veut plus aller en magasin ».

      Je trouve qu’il y a une certaine frénésie à anticiper un avenir que personne ne connait : tout le monde chercher à imposer sa vision de ce que veut le consommateur.

      Il y a un enjeu pour le commerce de ne pas se perdre en chemin, car beaucoup d’erreurs de direction vont être commises : nous sommes dans une phase d’incertitudes, car nous avons perdu la stabilité du commerce tel que nous l’avons connu il y a de nombreuses années.

      Toutefois, il est naturel que les modèles soient bousculés : cela s’est produit par cycles, avec l’arrivée de la VPC, du minitel, d’Internet… Mais au final, en tendance, il y aura toujours plus de commerce car la crise n’a rien amené de nouveau : elle n’a fait qu’accentuer un phénomène. D’ailleurs, qui sait, la fin de la crise sanitaire va peut-être amener un retour aux anciennes méthodes ?

      Est-ce que le commerce physique va disparaître ?

      Franchise-e-commerceLe commerce peut encore rester un lieu de contact et d’échange physique pendant plus longtemps qu’on ne le croit car je constate une multiplication des solutions de contact physique, en magasin comme en-dehors du magasin.

      Aujourd’hui, on donne à l’entreprise la possibilité de contacter son client et de vendre par divers canaux, à des moments différents. Mais les points de contact qui se sont rajoutés sont des points d’insatisfaction, de pénibilité de la relation commerciale pour les deux parties.

      L’enjeu consiste donc à mettre son client à distance par le digital et, dans le même temps, à augmenter et améliorer la relation qu’on a avec lui. C’est-à-dire, paradoxalement, à créer de la proximité dans la distance.

      L’expérience digitale est plus souvent frustrante que motivante, donc cette digitalisation à marche forcée détruit un ensemble de bonnes dispositions, d’attachement, d’imaginaire autour des marques. Or, la résilience de certaines marques, comme par exemple la Fnac, repose sur un attachement culturel profond.

      La mauvaise adaptation du système économique au monde du commerce, avec des loyers et des droits au bail chers, oblige les entreprises à aller chercher des performances. C’est le modèle actuel qui impose le recours à des pratiques dématérialisées. Mais détricoter le commerce physique en disant : « Le phygital coûte moins cher », c’est une erreur : et si, en réalité le magasin à l’ancienne était le plus rentable ?

      Est-ce que le savoir-faire du franchiseur va se déplacer sur d’autres canaux ?

      Tout ce qui va renforcer la présence de la marque tout au long du parcours client, que ce soit en magasin ou à distance, jusqu’à la livraison à domicile, constitue un véritable enjeu pour le commerce de demain : comment faire pour que l’ambiance, le positionnement, l’image de l’enseigne soient présentes tout le temps, comme dans un magasin ?

      Sinon, quel sera l’apport d’une enseigne, d’un réseau ?

      Les enseignes ont tendance à passer une partie de leurs ventes le plus à distance possible mais cette mise à distance est à l’opposé de la vocation du commerce en franchise, qui s’appuie sur des franchisés locaux, en contact direct avec la populations, les élus, les entreprises, les associations.

      C’est pourquoi je défends beaucoup l’idée de click & collect : d’accord pour que la commande, la livraison soient facilitées, mais il faut aussi favoriser l’usage du magasin comme un entrepôt multiservices, un point de retrait. C’est l’uniformité de toutes ces étapes commerciales qui constitue l’enjeu de 2030 : faudra-t-il avoir sa propre force de livraison, sa propre flotte logistique ?

      Que pensez-vous du phénomène des « dark kitchen » ?

      Attention lorsque l'activité du franchisé dépend d'une plate-forme de livraison.Face aux marques virtuelles, la question que doit se poser tout franchiseur c’est : « Est-ce qu’un nom avec un logo constitue un signe distinctif ?

      Il est certain que l’expérience augmentée, la virtualité des produits et des services va être développée. Est-ce que les marques vont continuer à exister avec une longue histoire comme la Fnac « agitateur culturel », ou la Maif « assureur militant » ? Comment vont-elles installer dans l’imaginaire collectif des valeurs qui vont entraîner leur résilience ? Est-ce qu’on aura encore besoin d’une marque pour consommer ?

      En 2030, il y aura une confrontation entre des marques fortes qui existaient avant 2020 ou se sont créées en 2021, et des marques virtuelles : ce seront des noms, des logos mais pas des histoires comme celles de la Fnac. Donc ces marques auront un succès global relatif, mais un succès individuel plutôt faible.

      Une évolution déjà en marche c’est la multiplication, à l’intérieur des commerces, des partenariats et des shops in shops, qui pourront prendre la forme de bornes de commande en shops in shops, en ville, voire en travel retail. Chaque marque aurait sa borne de commande et un ordinateur, ou un conseiller, permettraient de passer des commandes et de faire des achats.

      Que pensez-vous du marché de la seconde main ?

      Magasin de vêtements de seconde main sous enseigne Kilo ShopJe suis convaincu que dans tous les métiers, y compris les services ou le BTP, les franchiseurs vont connaître des modifications structurelles profondes et de plus en plus fréquentes de leur façon de vendre et de leur modèle économique. Aujourd’hui, le métier d’une enseigne comme Easy Cash, c’est de vendre des produits d’occasion et celui d’un enseigne comme Ikks, c’est de vendre des produits neufs. Mais demain, une chaîne de mode va devoir apprendre à évaluer, à reprendre et à payer des produits de seconde main, ce qui entraînera une modification du profil et des qualifications du candidat à la franchise.

      Un des enjeux, c’est la temporalité dans laquelle se retrouve le réseau de franchise : est-ce qu’il veut toujours satisfaire à la mode commerciale qui arrive, ou bien préserver son modèle le plus possible ? Je crois que les réseaux multiformes vont prendre le dessus.

      Que pensez-vous des magasins automatiques ?

      L’automatisation des magasins va trouver sa place : chez McDonald’s il n’y a déjà presque plus d’accueil en caisse, avec deux caisses pour 20 bornes de commande.

      En 2030, il y aura encore des systèmes mixtes : on peut imaginer un réseau avec un magasin principal dans certaines zones, et des magasins périphériques équipés de caisses automatiques.

      N’oublions pas que c’est le modèle économique actuel qui impose le recours à des pratiques dématérialisées : en cas de reprise économique et si les charges sociales baissaient, les entreprises seraient incitées à réembaucher.

      Que pensez-vous du circuit court ?

      2030 va être frénétique car l’hyper digitalisation va cohabiter avec de l’extrême matérialisation, dans des expériences commerciales combinées qui incluront des modèles comme l’Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), le circuit court, l’ESS (Economie sociale et solidaire)…

      Malgré la digitalisation parfois excessive, certains commerces de proximité résistent, comme par exemple l’épicerie. C’est pourquoi je crois beaucoup à la combinaison de l’hyper-digitalisation avec l’hyper proximité, l’hyper matérialisation. Aujourd’hui, il existe plein de technologies nouvelles, mais je ne crois pas à l’invention d’une nouvelle forme de commerce.