S’il perd régulièrement des procès contre d’ex-franchisés qui l’ont quitté dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, le groupe Carrefour se dit serein face à l’offensive judiciaire globale lancée par l’Association des franchisés de son réseau. Mais que demande exactement celle-ci à la justice et quelles sont ses chances d’aboutir ?
L’AFC, l’Association des Franchisés Carrefour s’est lancée depuis 2023 dans une vaste procédure contre le groupe de grande distribution, au cours de laquelle elle a reçu l’appui du Ministère de l’Économie.
Pour l’instant, le conflit n’a pas encore été jugé au fond, tous les recours de procédure du franchiseur n’étant pas épuisés.
Mais que veulent donc ces 350 franchisés à la tête d’une partie des quelque 4 000 magasins de proximité du groupe ?
Pour les franchisés contestataires, le déséquilibre dont ils pâtissent chez Carrefour doit être apprécié par les juges en prenant en compte l’ensemble de leurs contrats
Dans leur assignation de décembre 2013 résumée par le tribunal de commerce de Rennes dans son jugement du 3 juillet 2025, ils demandent d’abord que tous leurs contrats de franchise, d’approvisionnement, les statuts de leurs sociétés et les pactes d’associés conclus avec Carrefour soient considérés par les tribunaux comme « indivisibles ».
Pour eux, comme pour le Ministère, le « déséquilibre significatif » qu’ils dénoncent dans leur relation franchiseur-franchisés doit être en effet « apprécié en prenant en compte l’ensemble des contrats litigieux ».
Ils formulent ensuite toute une série de demandes qui portent entre autres sur les conditions d’approvisionnement et les prix pratiqués par Carrefour à leur égard comme à celui de la clientèle finale (un ensemble qui pèse gravement selon eux sur la rentabilité de leurs sociétés).
Ils mettent en cause également les dispositifs qui « restreignent leur liberté », en particulier celle de quitter le réseau et contestent certaines clauses du contrat de location-gérance (une formule qui concerne la plupart des nouveaux entrants).
Ils réclament la fin des « pratiques abusives » d’approvisionnement, de prix d’achat et de revente « imposées » par Carrefour
Concernant l’approvisionnement, les franchisés de l’AFC réclament que les tribunaux fassent cesser certaines pratiques de Carrefour.
Ils remettent ainsi en question la clause qui les engage à une « obligation de fidélité », estimant qu’elle revient en fait à leur imposer une quasi-exclusivité (80 % des achats devant être effectués selon eux à la centrale CSF).
De même, ils demandent que les prix d’achat auxquels leur sont proposées les marchandises soient considérés comme « abusifs ». Entre autres parce qu’ils sont « supérieurs aux prix pratiqués par l’ensemble des concurrents sur le marché dont notamment le Groupe Système U qui dispose d’une centrale d’achat commune avec le Groupe Carrefour ».
Ils souhaitent que cesse également l’« imposition des prix de revente (aux consommateurs) » par les sociétés du groupe. Car en fait de « prix conseillés », il s’agit selon eux bel et bien de « prix (qui leur sont) imposés », notamment par le logiciel dont ils doivent se servir.
La fin d’autres pratiques concernant la livraison des marchandises, la location de matériel par les franchisés auprès du franchiseur, les services de maintenance ou encore le programme de fidélisation des consommateurs est également requise. En cause notamment : leur coût pour les franchisés, « disproportionné au regard du service rendu ».
Les franchisés Carrefour de l’AFC demandent à la justice de leur permettre d’être plus libres au sein du réseau Carrefour et de pouvoir en sortir le cas échéant
Par ailleurs, les franchisés Carrefour de l’AFC veulent que cessent « les pratiques (les) contraignant à demeurer au sein du réseau de franchise pendant toute la durée de vie des sociétés (qu’ils ont) créées ».
Ils désignent ainsi « l’effet cumulé des articles 2 et 15 des statuts de ces sociétés » qui obligent les franchisés à exploiter leur magasin sous une des enseignes du groupe Carrefour à l’exclusion de toute autre et ne permettent de modifier cette situation qu’à la majorité de 75 % dans la branche proximité par exemple alors qu’ils ne disposent que de 74 % des parts de leur société. Les autres 26 % appartenant à une filiale du franchiseur.
En conséquence, ils cherchent à obtenir de la justice que « la clause d’enseigne contenue à l’article 2 des statuts » (de leurs sociétés) soit « réputée non-écrite » tout en précisant que « le caractère réputé non écrit de cette clause n’affecte(rait) en aucun cas l’intégrité de l’objet social des statuts des sociétés franchisées. »
En clair, ils pourraient continuer l’exploitation d’un magasin alimentaire (supérette ou supermarché) sous une enseigne concurrente du réseau Carrefour sans avoir à dissoudre leur société.
Ils ajoutent pour les mêmes raisons que la clause de non-affiliation (post-contractuelle) des contrats de franchise, la clause de non-concurrence des contrats de location-gérance comme celle des pactes d’associés devraient être elles aussi « réputées non-écrites. »
Objectif : permettre aux franchisés qui veulent quitter le réseau Carrefour de pouvoir le faire sans devoir changer de secteur d’activité ou attendre parfois 5 ans dans un périmètre qui paraît excessif (location-gérance). Cette dernière clause ayant d’ailleurs été récemment jugée illicite par la Cour de cassation.
En cause aussi : l’arbitrage et quelques autres points de friction
Les franchisés mettent en cause en outre le « morcellement des clauses compromissoires » qui imposent aux franchisés en cas de litige de recourir à l’arbitrage (procédure très coûteuse) pour chacun de leurs contrats alors que leur problème est souvent global.
Ils dénoncent « l’absence de contreparties à ces clauses du fait de l’absence de transmission de savoir-faire et d’assistance » et estiment que « l’ensemble des contrats est rédigé au seul bénéfice du groupe Carrefour ».
Ils réclament enfin que cessent les pratiques « tendant à dévaloriser les parts sociales » des franchisés en conduisant à « une cession des parts à vil prix ».
Quelles sont leurs chances d’être entendus et suivis par la justice ?
Cette liste n’est pas exhaustive et les tribunaux sont invités à se prononcer sur d’autres points encore.
Une chose est sûre : si les franchisés contestataires obtenaient tout ce qu’ils réclament, le système de franchise de Carrefour serait à revoir de fond en comble.
Quelles sont leurs chances d’y parvenir ? Elles sont incertaines. Tant jusqu’à présent, les seules décisions défavorables à Carrefour dans ses litiges avec des franchisés l’ont été dans le cadre de procédures de sauvegarde.
Dans d’autres procès où les franchisés ont mis en cause tel ou tel aspect de la liste soulevée par l’AFC, comme la franchise participative ou l’arbitrage, la Cour de cassation, systématiquement interrogée par le franchiseur, lui a généralement donné raison.
Il est vrai que jamais un tribunal* n’a encore été sollicité pour juger dans son ensemble ce système de franchise d’un genre particulier.
L’occasion va peut-être se présenter quand la décision d’appel concernant le jugement du 3 juillet 2025 sera connue. Rendez-vous dans un an à un an et demi pour le savoir.