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      Un franchiseur sanctionné pour avoir abusé de son droit d’agrément - Brève du 5 juillet 2022

      Brève
      5 juillet 2022

      Un franchiseur refuse d’agréer le changement de dirigeant d’une société franchisée, entre autres parce qu’il dissimule l’arrivée d’un nouveau propriétaire. Si les juges reconnaissent le droit de veto du responsable de réseau, ils estiment que ses arguments pour refuser le candidat repreneur ne sont pas pertinents.

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceLa cour d’appel de Versailles a tranché, le 12 mai 2022, un conflit portant sur le droit d’agrément du franchiseur en cas de vente de l’entreprise du franchisé.

      Dans cette affaire, le contrat de franchise d’une durée de 10 ans est signé en 2011. Le litige surgit à mi-parcours, en 2016, lorsque la société franchisée sollicite l’accord de son franchiseur sur le changement de son mandataire social (un dirigeant en remplace un autre).

      Le franchiseur refuse cette modification. Peu après, le franchisé indique « se résigner à prendre acte de la décision unilatérale » de son partenaire de « mettre fin » au contrat.

      Une interprétation contestée par le responsable du réseau qui réclame le versement de plus de 250 000 € pour cause de résiliation anticipée et injustifiée, puis saisit la justice.

      L’affaire vient devant la cour d’appel de Versailles.

      Pour le franchiseur, le changement de mandataire social cachait le rachat de l’entreprise franchisée par un repreneur non désiré

      Pour le franchiseur, son refus d’agrément est justifié. D’abord parce que le simple changement de président de la société franchisée cache en fait… un changement de propriétaire.

      Certes, le capital de la société-mère qui détient 100 % des actions de la société franchisée est inchangé. Mais cette société-mère appartient elle-même à un holding qui a décidé de la vendre à un repreneur.

      Un repreneur qui n’est pas un inconnu puisqu’il s’agit d’un pluri-franchisé qui développe depuis 20 ans des établissements sous différentes enseignes du groupe franchiseur. Et auquel le franchiseur reproche, entre autres, de ne pas avoir respecté son concept dans ses établissements à la même enseigne que celle du franchisé en litige.

      Pour la cour, le changement de contrôle de la société franchisée ouvrait bien le droit à un refus d’agrément du franchiseur…

      A la lecture du contrat, la cour d’appel approuve le franchiseur sur la première partie de son raisonnement.

      Pour les juges, le contrat a en effet bien prévu que si le nouveau mandataire social « n’est pas associé de la société d’exploitation de l’établissement » ce qui est exactement le cas ici, il s’agit en fait d’une « modification substantielle entraînant un changement de contrôle » au sein de la société franchisée.

      Un changement de contrôle que le franchiseur a le droit de ne pas approuver.

      …mais les reproches formulés à l’égard du repreneur ne sont pas suffisants pour justifier ce veto

      Les magistrats critiquent en revanche les motifs avancés par le franchiseur pour refuser cette prise de contrôle.

      Pour le franchiseur, ce candidat repreneur « s’est vu retirer quelques années plus tôt une franchise » sous la même enseigne que celle du franchisé en litige « pour non-respect des normes ».

      Un non-respect et de « nombreux manquements » constatés également, toujours selon le franchiseur, dans un autre établissement de la même chaîne appartenant au même pluri-franchisé. Lequel ne serait « globalement » pas en adéquation avec ce concept.

      Citant le contrat de franchise, la cour souligne qu’en cas de veto à la reprise de la société franchisée, le franchiseur devait motiver son refus. Elle examine donc en détail les raisons de celui-ci. Et les critique.

      Les motivations du refus d’agrément contestées une à une par la cour d’appel

      Reprise-franchiseIl apparaît ainsi que le repreneur « ne s’est pas vu retirer la franchise » pour l’un de ses établissements sous l’enseigne concernée. « Si quelques dysfonctionnements ont été constatés entre 2010 et 2012, ils ne sont pas à l’origine de la résiliation du contrat de franchise qui a eu lieu à l’initiative du franchisé » et non du franchiseur. Et ils sont « insuffisants pour justifier un refus d’agrément », estime la cour.

      S’agissant de l’autre établissement – le dernier exploité par ce pluri-franchisé sous cette enseigne, où « de nombreux manquements » au concept auraient été constatés -, il se trouve que le seul manquement antérieur au 21 avril 2016 (date du courrier du franchiseur refusant l’agrément) date du 20 avril, c’est-à-dire de la veille.

      Et s’il est exact, selon les juges, « qu’il est d’une certaine gravité, car il pouvait avoir des conséquences sur la santé de la clientèle et sur l’image de marque de l’enseigne, il s’agit d’un fait unique ».

      Le franchiseur ne produit par ailleurs aucune pièce à l’appui de ses autres accusations en matière de délais de rénovation, de respect des horaires d’ouverture et de logiciels de gestion.

      La « sauvegarde des intérêts commerciaux légitimes du franchiseur » n’était pas en danger, estiment les magistrats

      En conclusion, « s’il est certain que le franchiseur dispose du droit de refuser un agrément à un franchisé, ce droit doit être justifié par des impératifs tenant à la sauvegarde de ses intérêts commerciaux légitimes. »

      Pour la cour, tel n’était pas le cas ici. « En refusant l’agrément » au repreneur de la société franchisée, le franchiseur « a abusé de ses droits ».

      Conséquence : la résiliation du contrat de franchise (et du contrat de prestation de services qui lui était lié) est prononcée aux torts de la société franchiseur. Ses demandes de paiement au titre de la résiliation anticipée du contrat par le franchisé sont rejetées.

      Enfin, le franchiseur est condamné à rembourser au franchisé plus de 11 000 € correspondant aux frais que celui-ci a subi du fait des changements d’enseigne et de signalétique qu’il a dû effectuer suite au refus d’agrément.

      -Référence de la décision :

      Cour d’appel de Versailles, 12e chambre, 12 mai 2022, n° 20/05822

      -A lire aussi sur le sujet :

      L’article de Maître Marie-Pierre Bonnet-Desplan, avocat à la cour, dans la Lettre de la Distribution de juin 2022