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      Prévisionnels trompeurs : après 7 ans de procédure, le contrat est annulé mais l’indemnisation limitée - Brève du 24 août 2022

      Brève
      24 août 2022

      Sur renvoi de la Cour de cassation, la cour d’appel de Paris rectifie son arrêt d’avril 2019. Considérant finalement qu’il y a bien eu transmission de prévisionnels trompeurs à un candidat à la franchise sans expérience, elle annule le contrat. La cour réduit toutefois des deux-tiers la sanction financière accordée en première instance par le tribunal de commerce.

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceLa cour d’appel de Paris s’est prononcée récemment dans un litige qui oppose depuis 2015 un franchisé à son ex-franchiseur à propos d’erreur sur la rentabilité. Elle l’a fait sur demande de la Cour de cassation et, pour l’essentiel, dans un sens diamétralement opposé à ce qu’elle avait jugé en 2019 dans le même conflit.

      Dans cette affaire, le contrat de franchise est signé en janvier 2013. Mais, confronté à des difficultés financières, le franchisé assigne son franchiseur en justice en mai 2015. Sa société ayant été placée en liquidation judiciaire en octobre de la même année, le liquidateur poursuit la procédure.

      Pour le plaignant qui réclame l’annulation du contrat, le consentement du franchisé a été vicié par la transmission de prévisionnels trompeurs. En 2017, le tribunal de commerce de Paris lui donne raison, annule le contrat et condamne le franchiseur à rembourser plus de 300 000 € à la société franchisée.

      Mais le franchiseur fait appel, affirme que les prévisionnels communiqués étaient sincères et transmet à la cour les CA et les résultats publiés sur Infogreffe, pour la période concernée, de six établissements franchisés de son enseigne installés selon lui dans des villes de taille comparable.

      Au vu de ces chiffres, la cour d’appel de Paris (Pôle 5, chambre 4) considère dans son arrêt d’avril 2019 que les prévisionnels transmis n’avaient rien de fantaisistes. Elle estime qu’il n’y a pas lieu d’annuler le contrat de franchise et infirme le jugement initial.

      Saisie par le liquidateur du franchisé qui ne lâche pas l’affaire, la Cour de cassation contredit la cour d’appel. Aux yeux des magistrats de la plus haute juridiction française, les juges d’appel ont eu tort de limiter leur analyse aux seuls chiffres d’affaires des unités franchisées citées en exemple par l’enseigne.

      Ils auraient dû tenir compte des résultats d’exploitation de ces sociétés qui, eux, étaient tous mauvais et, pour le franchisé en litige, largement inférieurs aux prévisions. Lesquelles étaient donc « privées de tout caractère sérieux » et « de nature à induire (le franchisé) en erreur sur la rentabilité du magasin concerné ».

      Par son arrêt du 12 mai 2021, la Cour de cassation a donc renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Paris « autrement composée ».

      Pour la cour d’appel, le consentement du franchisé a été « vicié par une erreur excusable portant sur un élément essentiel du contrat »

      Une cour d’appel de Paris (Pôle 5, chambre 4) dont la présidente de chambre a changé et qui se prononce dans le sens indiqué par la Cour de cassation.

      Dans son arrêt du 15 juin 2022, la cour relève qu’en effet, au lieu d’un résultat d’exploitation positif de 28 000, puis 37 000, puis 40 000 € annoncé pour les trois premiers exercices annuels, le franchisé a subi 28 000 puis 11 000 € de résultats négatifs, puis la liquidation judiciaire.

      Pour la cour, « les chiffres des prévisionnels fournis (…) étaient nettement surévalués dans des proportions telles que le franchisé était dans l’impossibilité de réaliser le modèle économique défini par le franchiseur. »

      « En outre, au vu de son profil professionnel (…) le candidat à la franchise n’avait aucune expérience dans le secteur (…) et ne disposait pas d’éléments pertinents sur le marché local autres que les données fournies par (le franchiseur). »

      Des données « trop optimistes car basées sur les chiffres d’affaires réalisés par des boutiques (à l’enseigne) situées dans des villes qui n’étaient pas comparables à celle (du franchisé). » Ni par leur taille ni par le pouvoir d’achat de leur population.

      Pour la cour, « il en ressort que le candidat à la franchise n’avait pas (…) les moyens de contrôler le sérieux des prévisionnels communiqués par le franchiseur ».

      Conclusion : « le candidat à la franchise a été induit en erreur sur les perspectives de rentabilité du commerce, du fait de la confiance dans la notoriété du réseau et de son défaut d’expérience dans le secteur, les données du prévisionnel fourni ayant été un élément déterminant et substantiel dans son engagement dans le réseau. Le consentement du franchisé a donc été vicié par une erreur excusable portant sur un élément essentiel du contrat ». (1)

      Conséquence : la cour confirme la décision du tribunal de commerce (de 2017) « en ce qu’il a prononcé la nullité du contrat de franchise litigieux pour erreur ayant vicié le consentement. »

      La cour d’appel évalue à 30 % des sommes investies la « perte de chance » du franchisé

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      En matière de remboursement et d’indemnisation du franchisé, la cour d’appel ne raisonne pas, toutefois, comme l’avait fait le tribunal de commerce de Paris.

      Annulé, le contrat est réputé n’avoir jamais existé. « Les parties doivent être remises dans l’état dans lequel elles se seraient trouvées si le contrat n’avait pas été conclu. »

      La cour ordonne ainsi le remboursement par le franchiseur du droit d’entrée, des redevances de franchise et de publicité, du dépôt de garantie pour un total légèrement supérieur à 30 000 €. Mais pas des autres frais qui ont été effectués pour le fonctionnement de la société franchisée.

      Elle accorde en revanche des dommages et intérêts puisqu’il y a « manquement à l’obligation d’information » de la part du franchiseur, mais les limite à 100 000 € au lieu des 300 000 demandés qui auraient correspondu à la perte du compte courant associés, du capital social, des frais d’aménagement du local et des loyers.

      La cour d’appel justifie son calcul en rappelant d’abord la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le préjudice réparable correspond  à « la perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses et non (à) celle d’obtenir les gains attendus ».

      Elle relève que les sommes consacrées notamment aux loyers et à l’aménagement du local « auraient pu servir à exploiter une activité commerciale par la société (franchisée) dans un cadre autre que le réseau (du franchiseur), qui aurait pu être bénéficiaire ».

      Les magistrats ajoutent pour être très clairs : « le franchiseur n’a pas à supporter tous les investissements engagés et non amortis par son franchisé, le principe étant que le franchisé est un entrepreneur qui doit assumer ses risques financiers. »

      Voilà pourquoi la cour estime « juste » de fixer à 30 % des sommes ainsi investies (soit 30 % de 300 000) les dommages et intérêts accordés à la société franchisée « en réparation de la perte de chance subie ».

      On l’aura compris : un franchisé qui échoue parce qu’il a été trompé par son franchiseur peut voir son contrat annulé après bien des vicissitudes et sept ans de procédure. Mais il ne peut pas espérer vraiment récupérer tout ce qu’il a perdu.

      >Références des décisions citées :

      -Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 4, arrêt du 15 juin 2022, n°21/09853

      -Cour de cassation, chambre commerciale, 12 mai 2021, arrêt n° 418 F-D, Pourvoi n° G 19-17.701

      -Cour d’appel de Paris, pôle 5, chambre 4, 10 avril 2019, n° 17/14169

       

      >A Lire aussi sur le sujet :

      -L’article d’Anouk Bories, Maitre de conférences à l’université de Montpellier, dans la Lettre de la distribution de Juillet-Août 2022.

       

      (1) « Vice du consentement » et « erreur excusable »

      A ce sujet, la cour a pris soin de rappeler deux règles à connaître concernant ce type de conflit :

      « La méconnaissance, par un franchiseur, de son obligation précontractuelle d’information  n’entraîne la nullité du contrat de franchise que s’il est démontré que celle-ci est constitutive d’une erreur, de nature à vicier le consentement du franchisé ».

      « Conformément au droit commun, l’erreur comme vice du consentement en matière de franchise doit être excusable et porter sur les qualités essentielles de la prestation due ou celles du cocontractant. L’appréciation de l’erreur excusable prend en compte le fait que le candidat à la franchise était profane ou bien était initié dans le secteur concerné. »