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      Le passage à la concurrence d’un franchisé Carrefour via un plan de sauvegarde est validé en appel - Brève du 29 janvier 2024

      Brève
      29 janvier 2024

      Un franchisé Carrefour veut passer à la concurrence à la fin de son contrat, mais les statuts de sa société ne le lui permettent pas. Il obtient du tribunal de commerce un plan de sauvegarde qui lui donne les moyens de résoudre ce blocage. Le groupe franchiseur tente de s’y opposer devant la justice. En vain pour le moment.

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      La cour d’appel d’Amiens est intervenue par un arrêt du 28 novembre 2023 dans un litige survenu entre un couple de franchisés Carrefour et leur franchiseur.

      Rappelons que nous sommes avec ce groupe dans un cas de franchise participative. C’est-à-dire que le franchiseur détient, par l’intermédiaire d’une filiale, 26 % de la société franchisée.

      Fin 2019, les franchisés insatisfaits de leur partenaire lui annoncent dans les délais prévus qu’ils ne renouvelleront pas leurs contrats de franchise et d’approvisionnement une fois ceux-ci parvenus à leur terme. Ils veulent rejoindre une enseigne concurrente après la fin de leurs contrats.

      Ils ont besoin pour cela de modifier l’objet social de leur société selon lequel l’exploitation de leur magasin ne peut s’effectuer que sous l’une des enseignes du groupe Carrefour.

      Or, la structure de la société les en empêche car, comme le précisent ses statuts, cette décision ne peut être prise qu’à la majorité des trois-quarts (soit 75%) alors qu’ils ne disposent que de 74 % des parts.

      Septembre 2023 : la cour d’appel valide l’ouverture d’une procédure de sauvegarde

      Début 2020, invoquant ses difficultés économiques et ce blocage juridique, la société franchisée représentée par sa gérante sollicite du tribunal de commerce d’être placée en procédure de sauvegarde. Ce qui lui est accordé.

      Le franchiseur fait opposition à cette décision.

      Saisie, la cour d’appel d’Amiens déboute le groupe Carrefour par une décision du 28 septembre 2023.

      Elle estime d’une part que les difficultés financières de la société franchisée étaient réelles et d’autre part qu’elle était confrontée à des « problèmes juridiques insurmontables liés au blocage » invoqué.

      Conséquence : aux yeux de la cour, « la procédure de sauvegarde était nécessaire (au jour où elle a été ouverte), pour faciliter la réorganisation de l’entreprise, afin de permettre la poursuite de l’activité économique, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif. »

      Le groupe franchiseur conteste par ailleurs le plan de sauvegarde mis en place en 2021 et le passage à la concurrence de la société franchisée

      Pendant ce temps, l’entreprise continue à fonctionner et le magasin passe sous enseigne Coccinelle le 18 novembre 2020, une fois le contrat avec Carrefour parvenu à son terme.

      Après quelques mois, le 9 avril 2021, le tribunal de commerce d’Amiens valide le plan de sauvegarde présenté par la gérante de la société franchisée.

      Les juges précisent que, « dans le cadre de l’exécution du plan, et en application des articles L.626-3 et R.626-1 du code de commerce, (une) assemblée générale extraordinaire, compétente pour statuer notamment sur les modifications des statuts de la (société franchisée) devra être convoquée sans délai ».

      Cette assemblée générale statuera, conformément à la loi, « à la majorité des voix dont disposent les associés présents ou représentés dès lors que ceux-ci possèdent au moins la moitié des parts ayant le droit de vote ». Ce qui fait sauter le blocage auquel se heurte le couple de franchisés.

      Sans surprise, le franchiseur fait aussitôt opposition à cette nouvelle décision.

      La cour d’appel d’Amiens est à nouveau saisie.

      La cour d’appel d’Amiens écarte l’argument du groupe franchiseur selon lequel la société franchisée n’était pas en situation de proposer un plan de sauvegarde

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceDevant la cour, le groupe franchiseur demande l’annulation de la décision du tribunal de commerce du 9 avril 2021 et le rejet du plan de sauvegarde.

      Il avance pour cela plusieurs arguments.

      D’abord, selon lui, la société franchisée a changé d’enseigne de manière illicite. En effet, en dénonçant ses contrats de franchise et d’approvisionnement pour passer à la concurrence, elle a mis fin à l’objet social et donc à la société, circonstance rendant impossible la présentation d’un plan.

      Par ailleurs, en exécution des statuts, il y a eu dissolution de la société et les fonctions de la gérante ont pris fin dès qu’elle a commencé à exploiter le fonds de commerce sous une autre enseigne (novembre 2020), de sorte qu’elle ne disposait pas du pouvoir de convoquer une assemblée générale comme elle l’a fait le 11 juin 2021 afin de modifier les statuts.

      Le groupe franchiseur considère que, dans ces circonstances, seule la liquidation amiable de la société franchisée est possible.

      La cour d’appel écarte cette première série d’arguments.

      Elle relève que, si la filiale du franchiseur présente au capital s’est opposée aux décisions de la gérante de la société franchisée portant sur la modification des statuts, « elle n’a jamais entendu se prévaloir de la dissolution de plein droit, dont elle se prévaut dorénavant, devant une juridiction. »

      Par ailleurs et surtout, aux yeux de la cour, il ressort des statuts que « l’objet principal (de la société) était celui de l’exploitation d’un fonds de commerce de type supermarché, l’enseigne n’étant qu’un accessoire dès lors que les contrats de franchise et d’approvisionnement étaient à durée déterminée et que la durée de la société était de 99 ans. » 

      « Dans ces circonstances, la société (franchisée) a poursuivi l’exploitation du fonds de commerce de type supermarché de sorte que son objet social ne s’est pas éteint par le changement d’enseigne et que sa gérante a pu présenter un plan de sauvegarde ».

      De plus « se trouvant en procédure de sauvegarde, les textes imposaient à (la gérante) de présenter un projet de plan et non de procéder à sa liquidation amiable. »

      Selon la cour, « la modification des statuts de la société franchisée conditionnait la sauvegarde de l’entreprise »

      La filiale du franchiseur soutient également qu’en application de l’article L.626-3 du code de commerce, le tribunal ne pouvait pas valider le plan de sauvegarde avant que les modifications statutaires soient intervenues.

      Pour la cour d’appel, au contraire, la loi* prévoit que le plan de sauvegarde peut contenir une modification des statuts.

      Elle ajoute que le texte n’impose pas l’antériorité des modifications statutaires. Et qu’il prévoit la possibilité pour le tribunal de décider des conditions dans lesquelles l’assemblée compétente statuera sur ces modifications.

      Pour les magistrats d’appel, dans le cas présent, « c’est à juste titre que, comme le lui permet la loi, le tribunal a (validé) le plan de sauvegarde et fixé les conditions dans lesquelles les statuts seraient modifiés. »

      « En effet, la modification des statuts conditionnait la sauvegarde de l’entreprise dans la mesure où la société filiale du franchiseur s’opposait de façon systématique – et de façon contraire à l’intérêt social – à toute décision de l’assemblée générale des associés ».

      La procédure judiciaire, qui intéresse de nombreux franchisés, n’est sans doute pas close

      En conséquence, la société filiale du franchiseur, « qui ne démontre pas que le plan de sauvegarde adopté l’aurait été en fraude, est mal fondée dans sa demande de rétractation du plan arrêté par le tribunal de commerce d’Amiens ».

      Le litige n’est sans doute pas clos pour autant. Le groupe franchiseur n’hésitant guère, généralement, à se pourvoir en cassation.

      L’issue de cette procédure intéressera bien sûr les quelques dizaines de franchisés Carrefour qui, selon leur association, sont actuellement en procédure contre leur franchiseur dans des litiges similaires. Mais aussi tous les acteurs de la franchise qui s’intéressent à la franchise participative.

      *Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Notamment article L.626-3 du code de commerce (modification des statuts)

      >Référence de la décision :

      -Cour d’appel d’Amiens, chambre économique, 28 novembre 2023, RG n° 23/00098

      >A lire aussi sur le sujet, sur la décision précédente, du 28 septembre 2023 :

      Des franchisés Carrefour en procédure de sauvegarde changent d’enseigne avec l’approbation de la justice