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      Domino’s Pizza : 13 contrats d’ex-franchisés Pizza Sprint résiliés aux torts du franchiseur - Brève du 29 mars 2023

      Brève
      29 mars 2023

      Pour la cour d’appel de Paris, le repreneur en 2016 du réseau Pizza Sprint n’a pas exécuté complètement, comme il aurait dû le faire, le contrat des franchisés qui n’ont pas voulu rallier son enseigne. La cour condamne Domino’s Pizza à plus de 1,8 million d’euros de dédommagements divers.

      Restaurant franchisé Pizza Sprint livraison de pizzasLa cour d’appel de Paris a rendu le 8 février 2023 une série d’arrêts qui condamnent Domino’s Pizza dans le conflit l’opposant à 7 ex-franchisés Pizza Sprint (représentant 13 points de vente).

      Dans cette affaire, les contrats sont signés entre 2009 et 2015 par les franchisés avec le fondateur de Pizza Sprint, un réseau régional né en 1998 qui s’est bien développé pour atteindre 89 points de vente en 2015.

      Mais en octobre de cette année-là, le dirigeant annonce aux membres du réseau qu’il a vendu son entreprise à leur principal concurrent Domino’s Pizza et que celui-ci veut les faire passer sous son enseigne. Les voilà donc « invités à tourner la page Pizza Sprint »…

      Des relations contractuelles entre franchiseur et franchisés qui « se sont rapidement dégradées »

      Cette perspective n’est pas du goût de 31 franchisés sur 60, qui saisissent la justice. Tandis que d’autres acceptent de changer d’enseigne.

      De fait, après ce 25 janvier 2016 où l’acquisition par Domino’s Pizza est devenue effective, les relations contractuelles entre le repreneur de Pizza Sprint et les franchisés qui ont voulu rester sous cette enseigne « se sont rapidement dégradées », comme le constatent les juges dans leurs arrêts.

      Des clauses du contrat de franchise Pizza Sprint frappées de nullité

      De son côté, le Ministère de l’Économie a lancé, suite à une enquête de la Direction de la Concurrence dans le secteur de la restauration commencée en 2013, une procédure judiciaire contre Domino’s Pizza, pointant notamment le « déséquilibre significatif » du contrat Pizza Sprint et réclamant son annulation. Procédure à laquelle certains ex-franchisés Pizza Sprint se sont joints.

      Cette démarche a débouché le 5 janvier 2022 sur un arrêt de la cour d’appel de Paris prononçant la nullité de deux clauses du contrat Pizza Sprint, mais pas celle du contrat lui-même.

      Par ailleurs, la cour a condamné Domino’s Pizza à une amende de 500 000 € pour ne pas avoir modifié ces clauses ainsi que certaines pratiques du franchiseur concernant par exemple l’approvisionnement et les prix d’achat des franchisés. Une décision qui fait actuellement l’objet d’un pourvoi en cassation de la part de Domino’s Pizza.

      La cour d’appel de Paris refuse de prononcer la nullité des contrats en litige

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceDans les dossiers jugés le 8 février 2023, les magistrats commencent par refuser d’accorder aux franchisés la nullité de leur contrat, que tous réclamaient pour divers motifs.

      Pour la cour, il n’y a pas lieu d’annuler. Soit parce qu’il y a dans certains cas prescription, soit parce que le vice du consentement invoqué parfois n’est pas prouvé à leurs yeux, soit parce que le fait pour elle d’avoir annulé deux clauses n’entraîne pas pour autant la nullité de tout le contrat.

      Les juges estiment en effet que les franchisés n’ont « pas démontré en quoi ces clauses étaient essentielles au contrat de franchise ou que leur suppression était de nature à bouleverser l’économie du contrat. »

      Les contrats de franchise sont résiliés. En cause, entre autres, les pratiques liées à l’approvisionnement

      La cour prononce en revanche la résiliation des contrats aux torts exclusifs du franchiseur. Fidèle à sa décision du 5 janvier 2022, elle critique d’abord la mise en œuvre de la clause d’approvisionnement du contrat Pizza Sprint.

      Pour les magistrats, si en théorie selon le contrat chaque franchisé était libre de s’approvisionner où il le voulait en choisissant parmi les types de produits sélectionnés par le franchiseur, dans la pratique, il ne pouvait s’adresser qu’à un seul fournisseur, par ailleurs filiale du franchiseur. Avec en prime de fortes pressions exercées par les animateurs du réseau sur les quantités à commander et des prix de vente aux franchisés supérieurs à ceux pratiqués par d’autres entreprises du même secteur.

      « En outre, il n’est pas démontré (…) que les produits sélectionnés par le franchiseur avaient une spécificité au regard du savoir-faire Pizza Sprint ou répondaient à des critères de qualité ou de sécurité particuliers. »

      Les franchisés étaient aussi « soumis par la tête de réseau à une très forte incitation à suivre une politique tarifaire de vente unique » ainsi qu’à « l’utilisation d’un système informatique ne (leur) permettant pas d’établir (eux-mêmes leurs) prix ».

      Enfin, si aux yeux des magistrats, cette « stratégie d’approvisionnement exclusif » menée par la tête de réseau « permettait de générer une rentabilité certaine (pour la filiale du franchiseur), il n’est pas sérieusement démontré qu’elle (ait produit) un avantage concurrentiel pour les franchisés en termes de prix d’achat ou (qu’elle ait été) nécessaire à la préservation de l’identité et de la réputation du réseau ».

      Pour la cour, l’ensemble de ces éléments a donc créé « un déséquilibre significatif » entre les parties au contrat. Il constitue aussi une « exécution déloyale du contrat » de la part des sociétés du franchiseur « de nature à engager leur responsabilité contractuelle. »

      Les juges reprochent aussi au franchiseur de ne pas avoir complètement respecté ses engagements contractuels

      Les magistrats examinent ensuite les reproches des franchisés portant sur le savoir-faire et l’assistance du franchiseur ainsi que sur le déclin progressif du réseau Pizza Sprint.

      La cour note que le contrat prévoyait l’engagement du franchiseur à faire évoluer sa franchise. Donc, selon elle, à actualiser son savoir-faire et à faire progresser la notoriété du réseau. Or, elle estime que cela n’a pas été le cas.

      Certes, le franchiseur « produit des documents attestant d’une présence opérationnelle minimum », reconnaît la cour. Comme des visites de clients-mystères ou la tenue de « comités de pilotage ». Mais elle pointe aussi la faiblesse – à son avis – des actions marketing, de la formation continue et de l’animation du réseau, « l’absence d’évolution du site internet, des méthodes commerciales, l’absence de renouvellement des produits et des recettes. »

      « Enfin, il n’est pas contesté que le réseau Pizza Sprint qui comptait 89 magasins en 2016, a été réduit à 35 en 2017, puis à 11 en juillet 2018 et 4 en 2020. » La notoriété « déclinante, voire moribonde du réseau dès l’année 2016 » ne pouvant évidemment pas soutenir l’activité des franchisés.

      Pour la cour d’appel de Paris, « le franchiseur a manqué à ses obligations contractuelles en ne fournissant plus d’effort d’actualisation de son savoir-faire, en ne respectant pas son obligation de formation et d’assistance sur les méthodes commerciales et marketing nouveaux produits, et en contribuant à la dégradation de la notoriété du réseau ».

      Conséquence : « Ces manquements caractérisant une inexécution partielle du contrat de franchise sont suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur ».

      Le franchiseur est condamné à verser 1,8 million d’euros de compensations diverses à ses ex-franchisés

      Devenir-Franchise-Loi-DoubinEn conséquence, la cour détermine les indemnités à verser aux franchisés.

      D’abord, afin de compenser « les manquements contractuels du franchiseur ayant conduit au non-respect partiel de ses obligations », la cour estime qu’il devra rendre aux franchisés 50 % des redevances perçues à compter du 1er janvier 2016. Ce qui représente, selon les cas, entre 5 000 et 40 000 € par contrat.

      La cour estime ensuite la perte de marge des franchisés due à « la mise en œuvre déloyale de la clause d’approvisionnement » à 15 % du montant des achats effectués (au lieu des 40 % avancés par les plaignants). Soit, entre 22 000 et 124 000 € selon les points de vente.

      Les magistrats admettent de même dans la plupart des cas la nécessité de compenser la perte de valeur des fonds de commerce des franchisés (qu’ils aient pu ou non les vendre) en prenant comme base de calcul un taux de 65 % du chiffre d’affaires réalisé en moyenne sur leurs trois derniers exercices. Ce qui donne des montants compris entre 22 000 et 130 000 €.

      Enfin les juges accordent à chaque franchisé personne physique une compensation comprise entre 15 000 et 30 000 € pour « préjudice moral » en raison « des multiples difficultés rencontrées au cours de l’exécution du contrat, de l’orientation autoritaire (du représentant du franchiseur), de son absence de loyauté à l’égard des franchisés, du mépris manifesté à leur égard », etc.

      Au total, Domino’s Pizza France et ses filiales rachetées au fondateur de Pizza Sprint se voient condamnés à verser aux franchisés dans la procédure quelque 1,8 million d’euros. Soit entre 46 000 et 290 000 € par point de vente concerné. Des sommes qui peuvent paraître importantes, mais restent bien inférieures à celles réclamées par les plaignants. Les pertes de valeur de leurs fonds de commerce notamment ont été au total divisées par quatre par rapport aux jugements de première instance du tribunal de commerce de Rennes.

      Ces décisions ne sont pas définitives, la Cour de cassation pouvant être appelée à se prononcer sur cette série d’arrêts. Domino’s Pizza estime en effet ne pas avoir été tenue par une obligation d’actualiser le savoir-faire ni de maintenir l’importance du réseau. L’enseigne affirme ne pas avoir commis de manquements à ses obligations contractuelles et n’avoir contraint aucun franchisé Pizza Sprint à changer d’enseigne.

      >Références des décisions :

      -Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 4, arrêts du 8 février 2023

      n°s 20/01706, 20/01712, 20/01748, 20/04545, 20/04557, 20/04558, 20/04561

      -A lire aussi sur le sujet, dans la Lettre de la Distribution de mars 2023, l’article de Nicolas Eréséo, maître de conférences à l’université de Strasbourg, pour qui cette affaire « illustre de manière remarquable le devoir du franchiseur d’animer son réseau et de faire évoluer son savoir-faire ». L’auteur estime également qu’en cas de rachat d’une enseigne, « les promoteurs doivent (…chercher) un accord avec les franchisés. A défaut, il est certainement mal venu de miser sur un pourrissement progressif du réseau, comme l’illustre la présente affaire. »

      >Un autre arrêt de la cour d’appel de Paris favorable à Domino’s Pizza aux dépens d’un ex-franchisé Pizza Sprint

      La même cour d’appel de Paris (Pôle 5, chambre 4) a précédemment débouté de ses demandes un autre ex-franchisé Pizza Sprint qui n’avait pas voulu, lui non plus, passer sous enseigne Domino’s Pizza.

      Les juges ont considéré que la rupture du contrat de franchise et l’exclusion du franchisé de son réseau en 2017 étaient justifiées dans la mesure où le franchiseur avait décidé, à son échéance annuelle, de ne pas renouveler le contrat de location-gérance de cet exploitant pour ses deux points de vente.

      Pour les magistrats, les deux contrats (franchise et location-gérance) formant un tout indivisible, l’extinction de l’un devait entraîner celle de l’autre.

      Résultat : au lieu de près de 800 000 € qui lui avaient été accordés en première instance pour gains manqués et préjudice moral, le franchisé s’est retrouvé condamné, parce qu’il a poursuivi son activité quelque temps dans les mêmes locaux, à verser à son ex-franchiseur près de 140 000 € de loyers et autres compensations.

      >Référence de cet arrêt :

      -Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 4, 29 juin 2022, n°18/19812