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      Rozenn Perrigot, universitaire spécialisée en franchise - Interview du 21 février 2022

      Interview
      21 février 2022

      Particulièrement au fait des questions qui concernent la franchise et le e-commerce, la spécialiste recommande aux franchiseurs sur le sujet transparence, cohérence et collaboration sur le long terme avec leurs franchisés.

      Site Internet marchand de l’enseigne et ventes en ligne : le franchiseur doit impliquer ses franchisés.

      Rozenn Perrigot est Professeur à l’Université de Rennes 1 (IGR-IAE Rennes et CREM-CNRS) et Professeur Affilié à Rennes School of Business.
      Rozenn Perrigot est Professeur à l’Université de Rennes 1 (IGR-IAE Rennes et CREM-CNRS) et Professeur Affilié à Rennes School of Business.

      Vous avez réalisé en 2017 une étude auprès de 136 franchiseurs et vous constatiez que les réseaux de franchise les plus anciens étaient alors les plus éloignés du commerce électronique, notamment en raison des résistances de leurs franchisés :  les choses ont-elles changé ?

      Des résistances demeurent dans les réseaux établis. Quant aux nouveaux franchiseurs, ils développent dès le départ une stratégie multi ou omnicanale. Les candidats à la franchise savent alors d’emblée à quoi s’attendre quand ils auront rejoint le réseau.

      Vous aviez, toujours en 2017, réalisé simultanément une autre étude approfondie auprès de 46 franchisés. Certains voyaient dans le e-commerce le danger d’une concurrence interne au réseau et s’en inquiétaient. Qu’en est-il aujourd’hui selon vous ?

      Tout dépend. C’est encore le cas lorsque la mise en place du e-commerce par l’enseigne manque de transparence et que la communication en interne n’est pas encouragée. Ces manques peuvent générer des tensions et même avoir un impact sur les ventes. Mais le franchiseur peut y remédier s’il implique ses franchisés dans sa stratégie et la mise en œuvre de celle-ci. Aujourd’hui, il est primordial pour un réseau de développer un site Internet marchand. Cela répond à la demande des consommateurs et c’est important par rapport à la concurrence. Mais, pour connaître le succès, une stratégie multi ou omnicanale doit être le produit d’une collaboration entre franchiseur et franchisés.

      Sait-on quel est le flux d’affaires généré en moyenne par les sites marchands des franchiseurs ?

      Aucune étude n’a été réalisée à ce sujet sur la population des franchiseurs en France. On entend souvent dire que le site de la tête de réseau génère un chiffre d’affaires équivalent à celui d’un de ses points de vente. Cela paraît peu pour certains concepts et certains secteurs d’activité.

      Il est vrai que les franchiseurs ont encore beaucoup d’efforts à faire pour optimiser leurs sites Internet en termes d’ergonomie, d’esthétique mais aussi de contenu : informations, photos, vidéos, descriptifs donnant envie d’acheter, etc. Cela requiert bien sûr de mobiliser des savoir-faire spécifiques mais c’est un investissement nécessaire. C’est une question d’image non seulement vis-à-vis des clients, des concurrents et des franchisés – qui peuvent ressentir une certaine fierté d’appartenir à un réseau dynamique -, mais aussi vis-à-vis des candidats à la franchise qui visitent les sites Internet des enseignes avant de les approcher. La « bonne tenue » de cette vitrine électronique mérite autant de soin que celle des points de vente.

      «  Le partage des produits de la vente en ligne : une clé pour maintenir la cohésion du réseau »

      Certains franchiseurs font le choix de garder pour eux la totalité du produit des ventes réalisées via leur site Internet marchand. C’est légal, mais approuvez-vous cette pratique ?

      Franchise-e-commerceEn fait, de plus en plus de franchiseurs mettent en place un système de rétribution des franchisés. C’est même une clé pour maintenir la cohésion du réseau. Mais cela dépend de sa taille et du maillage du territoire. Plus le pays est couvert, plus la logique de rétribution s’impose. A l’inverse, certains jeunes réseaux qui ne comptent encore que quelques unités disséminées sur le territoire national peuvent se dire que cela peut attendre : pourquoi donner à ces premiers franchisés une part du CA réalisé sur Internet avec des clients situés parfois à 500 km de leurs points de vente ? Mais ce faisant, ces franchiseurs repoussent simplement le problème dans le temps. La rétribution des franchisés est un moyen d’entretenir des relations sur une bonne base, d’impliquer les franchisés dans la vie du réseau. C’est une façon de travailler qui va favoriser la collaboration et le dialogue entre franchiseur et franchisés.

      Comment calculer le bon taux de commission du franchisé ?

      Il y a beaucoup de cas de figure. Tout dépend du secteur d’activité, de l’historique du réseau, etc. Il n’y a pas de recette miracle. Je recommande aux franchiseurs de prévoir une rétribution, de reverser une part de la vente en ligne aux franchisés, mais je n’ai pas de pourcentage à indiquer. La franchise doit être considérée comme une relation gagnant-gagnant. Les ventes en ligne doivent aussi conduire à du chiffre d’affaires additionnel pour les points de vente, via la mise en valeur des établissements sur le site Internet. Cela ne peut que motiver les franchisés à être commerçants sur leurs zones et cela permet d’éviter que se creuse un fossé entre les magasins physiques et l’Internet.

      Certains franchiseurs considèrent que le simple fait d’envoyer des clients du site marchand vers les magasins franchisés permet à ces derniers de générer du chiffre d’affaires additionnel pour leur propre compte. En venant chercher leur colis, les clients effectueraient des compléments d’achats. A-t-on pu mesurer cela ?

      Ce discours, que j’entends depuis 10 ou 15 ans, me fait toujours un peu sourire. C’est facile à dire, mais ce n’est pas toujours le cas. D’abord, le « client Internet » peut ne pas vouloir effectuer d’achats complémentaires en magasin, estimant s’être procuré le nécessaire en ligne. Ensuite, lorsqu’il vient chercher sa commande, les employés peuvent être occupés avec d’autres clients. Or, s’il est tenté de jeter un œil sur la collection de produits disponibles dans le point de vente, il faut que le commerçant et son équipe soient particulièrement réactifs. Ce n’est pas toujours possible. S’il y a foule et une file d’attente par exemple, le « client Internet » n’aura pas forcément envie de s’attarder et les vendeuses accaparées par la distribution des colis, pas forcément le temps de le conseiller pour un autre achat.

      « Les clients ne comprennent pas que les prix ne soient pas les mêmes dans les points de vente et sur le site de l’enseigne »

      On sait que les franchiseurs peuvent vendre leurs produits moins chers sur leur site Internet que dans les magasins franchisés du réseau et même offrir la livraison aux clients. Tout cela est admis par la jurisprudence. Mais est-ce une bonne pratique ?

      Si l’on conçoit la franchise comme une collaboration sur le long terme, on peut s’interroger sur cette pratique. Avec de tels choix de positionnement prix, les risques de tensions et conflits sont élevés, les franchisés ayant le sentiment d’être confrontés à de la concurrence déloyale.

      Mais quel est le risque ?

      Le risque, c’est de transformer le magasin en espace de « service avant-vente ». Et là, quand vous êtes commerçant et que vous voyez le client passer du temps avec vos vendeuses pour finalement acheter en ligne, cela peut vous poser un problème. C’est déjà peu agréable de trouver des produits comparables aux vôtres proposés à des prix inférieurs sur les sites Internet des réseaux concurrents, mais quand c’est le cas avec le site de votre propre enseigne, c’est encore plus compliqué.

      Aujourd’hui avec le développement des smartphones, la facilité et la vitesse avec laquelle le consommateur peut comparer les prix pendant l’acte d’achat lui-même, jusque dans la cabine d’essayage par exemple, peut impacter les ventes. Et puis, en majorité, les clients ne savent pas comment fonctionne la franchise. Ils ne prennent pas en compte le fait que le franchisé est un commerçant indépendant qui gère lui-même sa politique tarifaire. Ils ne comprennent pas que les prix ne soient pas les mêmes dans les points de vente et sur le site de l’enseigne. Cela génère quelquefois des conflits entre franchisés et consommateurs, le client exigeant du commerçant qu’il s’aligne sur le prix pratiqué par le site de l’enseigne !

      Êtes-vous favorable à ce que les opérations de promotion soient coordonnées c’est-à-dire simultanées et identiques sur le site marchand et dans les magasins d’un même réseau ?

      E-commerceIl faut les harmoniser dans la mesure du possible. Les différences de promotion entre les deux canaux de distribution ne peuvent que renforcer l’incompréhension des franchisés et des clients. On ne peut pas comprendre ce manque de cohérence. Il faut éviter en tout cas d’avoir des décalages trop marquants. Si un franchisé déclenche des promotions de l’ordre de 50 % tous les deux mois, les autres membres du réseau vont protester et le franchiseur va intervenir. C’est la même chose au niveau du site Internet… sauf peut-être si le franchiseur a particulièrement besoin de déstocker un article à un moment donné et dans ce cas, il faut qu’il soit transparent avec les franchisés. Encore une fois le client ne connaît pas les subtilités du fonctionnement de la franchise. Il faut veiller à la cohérence de l’offre dans un même réseau.

      Fichier-clients et plateformes de livraison : « les franchiseurs doivent être cohérents »

      Souvent les franchiseurs demandent aux franchisés de leur communiquer leur fichier-clients pour organiser des opérations promotionnelles, ce qui peut se comprendre mais leur permet aussi d’inciter les consommateurs à commander via Internet : que pensez-vous de cette pratique ?

      C’est un point très sensible. Tout dépend de la philosophie du franchiseur, c’est-à-dire, pour le candidat à la franchise qui envisage de s’engager, du niveau de transparence, de bonne foi, de sincérité qu’il va constater dans les relations franchiseur/franchisés du réseau concerné. Si on se trouve en présence d’une logique court terme privilégiant le gain financier pour le franchiseur, c’est risqué. Si l’on s’inscrit au contraire dans ce que devrait être la franchise, à savoir une collaboration sur le long terme, c’est différent. D’autant que le franchiseur peut, davantage que le franchisé, disposer du temps et des compétences techniques nécessaires à ce type d’opérations. Je suis régulièrement surprise de certains comportements de franchiseurs qui sont loin de la logique de partenariat que doit être la franchise. Il y a des franchiseurs sérieux et d’autres qui le sont moins…

      Attention lorsque l'activité du franchisé dépend d'une plate-forme de livraison.Dans certains secteurs comme la restauration rapide, les enseignes font de plus en plus appel à des plateformes de livraison comme Deliveroo. La plateforme encaisse le prix de vente et en transmet le montant au franchisé mais celui-ci doit lui reverser une commission qui peut aller jusqu’à 25 et même 30 %. Or, les franchiseurs font payer au franchisé une redevance sur cette part du CA qui s’évapore en commission du livreur. Qu’en pensez-vous ?

      On peut s’interroger sur ce qui reste au franchisé. Est-il nécessaire et utile de prendre une part sur quelque chose qui a été prélevé par un prestataire extérieur ? Il ne faut pas surcharger les coûts des franchisés. Dans la majorité des restaurants, cela entraîne des conséquences financières dommageables pour eux. Il ne faut pas les étouffer !

      En conclusion, que conseillez-vous aux franchiseurs pour éviter que le sujet « Internet et site marchand » ne génère des litiges avec les franchisés ?

      Je leur conseille d’être cohérents dans les pratiques et dans les propos. Dans les pratiques : en appliquant la même logique aux points de vente et au site Internet, et donc pour les prix et les promotions. Dans les propos : en jouant la carte de la transparence et d’un partenariat gagnant-gagnant à long terme. Enfin je leur conseille de bien prendre en considération, dans ce domaine du e-commerce comme dans les autres, les différentes parties prenantes : en premier lieu le client, dont les demandes évoluent, mais aussi les franchisés en place et les candidats à la franchise.

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