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      Les juges protègent la liberté de concurrence d’un franchisé - Brève du 3 avril 2023

      Brève
      3 avril 2023

      Parce qu’à l’issue de son contrat, un franchisé rejoint un réseau concurrent créé par son fils, le franchiseur l’accuse de non-respect de sa clause de non-affiliation, mais aussi de concurrence déloyale. La cour d’appel de Paris le déboute sur les deux plans.

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceLa cour d’appel de Paris vient de prendre position, par un arrêt du 8 février 2023, dans le cadre d’un litige opposant un réseau de franchise de près de 500 unités à l’un de ses ex-franchisés à propos de concurrence déloyale.

      Dans cette affaire, le premier contrat est signé fin 2003, puis renouvelé à deux reprises, la dernière fois début 2013 pour une durée de 5 ans.

      Tout se passe bien entre les parties pendant des années. Le franchisé devient même le premier du réseau par le chiffre d’affaires réalisé et compte un effectif d’une cinquantaine de collaborateurs dans une grande ville.

      Un succès dû selon lui en grande partie au fait que le franchiseur lui a permis, à partir de 2014, de se détacher de son savoir-faire en lui laissant appliquer une stratégie personnelle.

      2014, c’est aussi l’année où le fils du franchisé part aux États-Unis et y découvre, dans le même créneau d’activité, un concept qui le séduit. En juillet 2016, il crée sa société en France et commence à y développer ce réseau leader mondial du secteur.

      Selon le franchiseur, le franchisé n’a pas respecté sa clause de non-affiliation post-contractuelle

      En septembre 2016, le franchisé se porte candidat à la présidence de la structure régionale de la chaîne rassemblant ses confrères, afin, explique-t-il, de leur faire partager les secrets de sa réussite. Mais comme, à cette date, il a notifié au franchiseur son intention de ne pas rester dans le réseau au-delà du terme de son contrat, l’enseigne n’agrée pas sa candidature.

      En janvier 2018, quand son contrat de franchise arrive à expiration, le franchisé rejoint aussitôt le réseau d’origine américaine de son fils, entraînant avec lui son établissement et tous ses salariés.

      Pour le franchiseur, ce ralliement est doublement fautif dans la mesure où une clause de non-affiliation post-contractuelle interdisait au franchisé pendant un an de rallier un réseau concurrent. En outre, le franchisé a commis là, selon son ancien partenaire, un acte délibéré de concurrence déloyale doublé de parasitisme.

      La cour d’appel annule la clause de non-affiliation portant selon elle sur un trop vaste territoire

      Contract signatureSaisie, la cour d’appel de Paris contredit le franchiseur. Elle prononce d’abord la nullité de la clause de non-affiliation post-contractuelle. Si, rappellent les juges, une clause de ce type « peut être considérée comme inhérente à la franchise », elle doit cependant « rester proportionnée » à l’objectif poursuivi.  C’est à dire « limitée quant à l’activité, à l’espace et au lieu qu’elle vise » et équilibrée quant aux intérêts légitimes du franchiseur et du franchisé. (*)

      Elle doit ainsi permettre au franchiseur de protéger son savoir-faire et d’avoir le temps de concéder sa zone à un autre franchisé. Elle ne doit pas non plus trop limiter la liberté de réinstallation du franchisé qui sort du réseau.

      Or, dans ce litige, la cour juge que la clause est « disproportionnée » et « porte une atteinte excessive à la liberté d’exercice » de la profession concernée. Puisqu’elle s’étend à tout un département français « alors qu’une interdiction d’exercer une activité identique dans un périmètre beaucoup plus restreint (s’avérait) dans le cas présent suffisante (…) ».

      La cour ajoute que « le tissu des (points de vente dans cette activité) est particulièrement dense » (dans le département concerné) et que « le franchiseur ne démontre pas en quoi (son) savoir-faire nécessite une protection à (cette) échelle ».

      Pour le franchiseur, le franchisé a créé déloyalement un réseau concurrent et procédé à des débauchages fautifs

      La cour examine ensuite les accusations de concurrence déloyale et de parasitisme.

      Pour le franchiseur, il n’y a pas de doute : le franchisé a, dès 2016, créé un réseau concurrent au sien, avant la fin de son contrat. Il a « placé formellement son fils à sa direction » en attendant de pouvoir sortir lui-même du réseau. D’ailleurs, la société du franchisé est devenue par la suite directrice générale de celle de son fils.

      Par ailleurs, toujours selon le franchiseur, le franchisé « s’est approprié le fruit de (son) travail sans contrepartie en débauchant au total en une année 57 personnes dont 5 membres de l’encadrement du réseau, soit plus de la moitié de l’effectif d’encadrement ». Le franchiseur a dû les remplacer par des personnes « qui n’ont été opérationnelles qu’environ 6 mois après leur embauche » alors même que le nouveau réseau (qui compterait 80 unités en ce début 2023) « se constituait rapidement des forces vives dans le sillage » de l’ancien.

      De même, le franchiseur accuse son ancien partenaire, témoignages à l’appui, d’utiliser ouvertement des données confidentielles auxquels les ex-cadres du réseau avaient accès pour attirer d’anciens collaborateurs. Notamment concernant les questions de salaires.

      Pour la cour « rien ne prouve » que le franchisé a été déloyal et fautif

      Adoptant point par point l’argumentation du franchisé, la cour d’appel de Paris rejette toutes ces accusations.

      Pour les magistrats, rien (de ce qui est produit au procès) « ne démontre que le franchisé aurait été partie prenante du réseau concurrent avant la fin de son contrat ». La circonstance selon laquelle le fils du franchisé le dirigeait depuis 2016 « ne peut être reprochée au père ».

      Concernant le personnel embarqué : dans la mesure où 49 personnes étaient auparavant des salariés de la société franchisée, « il n’est pas anormal », estiment les juges, « qu’ils aient suivi leur employeur lors de son affiliation au nouveau réseau ».

      S’agissant des 6 anciens cadres, le franchiseur « n’apporte pas », selon la cour, « d’éléments permettant de confirmer un débauchage fautif, les départs ayant eu lieu sur plusieurs mois dans le courant de l’année 2016 ».

      En outre « tout salarié non lié par une clause de non-concurrence est libre de quitter son employeur pour se mettre au service d’un concurrent ».

      Par ailleurs, « les attestations des salariés et franchisés (du réseau concurrencé) qui indiquent avoir été contactés par des cabinets de recrutement (…) ne peuvent suffire à démontrer l’aspect fautif de ces contacts, dont il n’est pas établi de surcroît qu’ils puissent être imputés à (la société de l’ex-franchisé) ».

      Enfin, « il n’est pas prouvé », ajoute la cour, « que la candidature du franchisé à la tête d’une structure régionale de son ancien réseau en 2016 ne l’était pas seulement au titre de son enseigne d’alors, mais en lien avec son affiliation future », comme l’a affirmé le franchiseur.

      Quant au détournement et à l’usage illicite d’informations confidentielles, les juges estiment que « le franchiseur ne démontre pas que les informations évoquées proviendraient de la société du franchisé ».

      Le franchiseur est débouté sur toute la ligne.

      >Référence de la décision :

      -Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 4, 8 février 2023, n° 21/07084

       

      (*) Il est question ici d’un contrat signé avant 2016, donc non concerné par les effets de la loi Macron sur le sujet, loi qui renforce encore les conditions de validité de ce type de clauses (article L.341-2 du code de commerce).