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      Information précontractuelle et prévisionnels : une décision inhabituelle de la cour d’appel de Paris - Brève du 22 décembre 2016

      Brève
      22 décembre 2016

      Fait rare : la cour d’appel de Paris a condamné récemment un franchiseur, notamment pour avoir transmis à son futur franchisé des informations précontractuelles chiffrées, jugées non fiables.

      La cour d’appel de Paris a récemment condamné un franchiseur pour manquement « à son obligation précontractuelle d’information« . Passée inaperçue, cette décision mérite pourtant d’être connue. D’autant qu’elle est assez rare, venant des magistrats de Paris (Pôle 5, chambre 4).

      Un écart du simple au double

      L’affaire commence fin 2009 dans le secteur du prêt-à-porter. Un commerçant exploitant 3 magasins dans une grande ville, dont 2 en franchise avec une marque en déclin, décide de rejoindre un nouvel arrivant sur le marché. En l’occurrence une chaine internationale ne comptant encore que 5 points de vente en France mais désireuse de s’y développer.

      Il signe son contrat de franchise, s’engageant à ouvrir 8 magasins sur l’agglomération, dont 3 dans les deux ans, sur la base de données indiquées par le franchiseur, de l’ordre de 1,5 à 1,8 M€ de CA annuel par magasin.

      Mais très vite, les niveaux atteints ne sont pas à la hauteur : 950 000 € en 2010, 659 000 en 2011, 721 000 en 2012. Moins de la moitié de ce qui était annoncé ! Les pertes s’accumulent : 80 000 €, puis 117 000, puis 238 000… En 2013, la société franchisée est placée en liquidation judiciaire.

      Des chiffres « grossièrement surestimés » par le franchiseur

       

      Rappelant qu’il n’est pas tenu à une obligation de résultat, le franchiseur estime devant la justice qu’il n’est pas responsable de cet échec. Et ajoute que le franchisé, professionnel confirmé du secteur et bon connaisseur du marché local, aurait manqué d’implication dans son affaire.
      Les magistrats de Paris ne tranchent pas dans ce sens.

      D’abord ils notent que l’écart entre les prévisions et la réalité « dépasse la marge habituelle d’erreur ». Puis, s’ils reconnaissent que rien n’oblige un franchiseur à transmettre des comptes prévisionnels, ils rappellent que, de jurisprudence constante, si des chiffres sont transmis, ils doivent être sincères et sérieux. Or, en l’occurrence, « aucun document n’est produit » (par le franchiseur) pour attester du sérieux de ses chiffres. La méthode suivie pour les obtenir n’est pas non plus précisée.

      Pour les juges « les chiffres d’affaires annoncés dans le DIP ont été grossièrement surestimés et (le franchisé) n’a pas été informé, de manière objective, sur la rentabilité prévisionnelle de l’entreprise« .

      État du marché local et manque de sincérité du franchiseur

      Par ailleurs, si le franchisé était un bon connaisseur du marché local, les magistrats estiment que le franchiseur aurait pu « au moins fournir des éléments d’information sur (son) magasin ouvert en janvier 2008″ dans la même agglomération (plutôt que de faire l’impasse totale sur cet état du marché local réclamé par la loi).

      Or, il n’a communiqué que des chiffres de sociétés exploitant son concept hors de France « ce qui démontre son absence de sincérité dans l’information ».

      Pas de faute de gestion démontrée du franchisée

      Enfin, le franchiseur ne démontre pas de « défaillance du franchisé dans la gestion de ses affaires de nature à expliquer l’écart entre les chiffres annoncés et ceux réalisés ».

      Au contraire, « compte tenu des résultats économiques obtenus (par le franchisé) antérieurement à la signature du contrat, de ses qualités de sérieux et de compétences reconnues (par sa précédente enseigne) et de son expérience professionnelle, c’est vainement que (le franchiseur) invoque son manque d’application dans ses affaires ».

      Conclusion : le franchiseur a « manqué à son obligation précontractuelle d’information« .

      Un préjudice évalué à 200 000 euros au lieu du 1,2 M€ espéré

      Les magistrats ayant également admis qu’il n’avait « pas apporté (à son franchisé) l’aide (prévue au contrat) » (en matière de transmission du savoir-faire et d’assistance) et qu’il lui avait au contraire « imposé une politique commerciale » (approvisionnements) à l’origine « de stocks grevant lourdement sa trésorerie », le franchiseur est débouté de ses demandes (de 58 000 € de factures impayées) et condamné.

      Mais la cour d’appel de Paris ne va pas, dans cet arrêt du 12 octobre 2016, jusqu’à donner entière satisfaction au franchisé qui réclamait des dommages et intérêts de plus de 1,2 million d’euros (équivalant à la totalité de son passif). Car pour les magistrats, « d’autres éléments doivent être pris en considération« . Tels que « la mauvaise conjoncture économique », la « mauvaise adaptation au public français des marques » de la franchise concernée, son « implantation très nouvelle » en France, et « l’importance des investissements et des charges ».

      En outre, au moment d’évaluer les montants des dommages, la cour rappelle que « le franchiseur n’est pas tenu à une obligation de résultat » et que « le franchisé reste un commerçant indépendant« . Elle estime donc que le préjudice du franchisé sera « équitablement réparé » avec 200 000 euros.

      Autrement dit, pour les magistrats de Paris (Pôle 5, chambre 4), si le franchiseur est en faute (notamment parce qu’il a transmis « des informations non fiables »), le franchisé, professionnel confirmé, a pris sa part de risque en se lançant en 2010 dans le prêt-à-porter avec une enseigne étrangère encore inconnue en France. Il doit donc assumer une (grande) partie de son échec.

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