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      Les manquements d’un franchiseur n’entraînent pas forcément la résiliation du contrat à ses torts - Brève du 18 janvier 2023

      Brève
      18 janvier 2023

      Une franchisée reprochait à son ex-partenaire de ne pas avoir respecté ses obligations précontractuelles et contractuelles. Les juges sanctionnent certains manquements, mais refusent de résilier le contrat aux torts exclusifs du franchiseur.

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      Dans ce litige, le contrat est signé en mars et le magasin de 250 m² ouvert en novembre 2012. Rapidement la franchisée rencontre des difficultés financières. Dès le mois d’août 2014, elle écrit à son franchiseur, critiquant sa politique de prix et de marges.

      Après divers autres courriers et une mise en demeure, elle résilie son contrat en 2015, invoquant les manquements de son partenaire à ses obligations contractuelles (inexécution du contrat). Deux ans plus tard, elle l’assigne en justice.

      Pour la franchisée, le franchiseur a « manqué à son devoir de loyauté et à toutes ses obligations tant précontractuelles que contractuelles ». Elle réclame la résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur et de très importantes compensations financières.

      Pas de DIP, mais pas de dol, selon la cour

      La franchisée accuse d’abord son ex-partenaire de ne pas lui avoir remis de DIP (Document d’information précontractuel) et notamment de ne pas l’avoir renseignée sur le coût réel des travaux d’aménagement de la boutique et pas davantage sur le personnel nécessaire pour répondre aux besoins de la clientèle.

      Saisie, la cour d’appel de Paris estime que si, en effet, aucun DIP ne lui a été remis, la plaignante « ne démontre cependant pas en quoi l’absence de ce document (aurait) vicié son consentement ».   De même, elle ne démontre pas « la réalité d’une réticence dolosive du franchiseur ou de grossières erreurs de sa part lors la phase précontractuelle sans lesquelles (elle) n’aurait pas contracté. »

      En conséquence, la cour estime qu’il n’y a pas lieu, pour ce motif, de prononcer la résolution du contrat aux torts exclusifs du franchiseur.

      La cour ajoute que, dans la période précontractuelle, le franchiseur a adressé à sa future partenaire plusieurs courriers l’informant des exigences de son concept en termes de taille du magasin, de coût de la décoration au mètre carré (2 000 €) et de personnel nécessaire.

      D’autres échanges et rencontres ont porté sur les conditions financières du contrat (royalties, etc.) au cours desquels la franchisée « n’a pas soulevé de questions particulières » ni demandé « d’échanger avec d’autres boutiques du réseau pour en apprécier les conditions d’exploitation ».

      Par ailleurs, la commerçante ayant signé son bail commercial en octobre 2011, c’est-à-dire plusieurs mois avant de conclure son contrat de franchise, les magistrats considèrent qu’elle était « en mesure de procéder à un chiffrage des travaux nécessaires à la réalisation de la boutique, tant au niveau du gros-œuvre que de l’aménagement intérieur et de la décoration ».

      Pour la cour, il n’y a donc pas eu de « manœuvres dolosives » de la part du franchiseur « visant à dissimuler intentionnellement des informations, ni de déloyauté particulière de sa part ».

      Des manquements sur les travaux d’aménagement, mais pas de quoi résilier le contrat

      La franchisée reproche aussi à son partenaire des manquements relatifs à la réalisation des travaux. Au total, l’aménagement de la boutique a coûté quatre fois plus qu’indiqué, « en raison des critères incomplets et fluctuants (du franchiseur … et des) manquements des deux architectes mandatés ».

      Des dérapages qui ont, selon elle, faussé complètement ses prévisionnels – « pourtant approuvés par l’enseigne » – et retardé de trois mois l’ouverture de la boutique, ce qui l’a contrainte à injecter des fonds supplémentaires.

      La cour reconnaît « divers manquements du franchiseur dans la définition préalable des travaux nécessaires à l’agencement de la boutique (…) ainsi que dans la conduite de ces travaux ». 

      Elle estime toutefois que, dans la mesure où la franchisée avait visité d’autres boutiques du réseau, elle était en mesure de comprendre que la somme de 2 000 € au m² indiquée par le franchiseur ne concernait que la décoration/ameublement et n’englobait pas les travaux de gros-œuvre nécessaires.

      S’agissant de l’exécution : si, aux yeux des magistrats, une part de responsabilité revient à l’architecte mandaté par le franchiseur, le maître d’œuvre choisi par la franchisée pour les réaliser est aussi en cause.

      La cour d’appel de Paris partage donc en deux le surcoût de 1,7 million d’euros résulté de ces dysfonctionnements. Le franchiseur est ainsi condamné à verser 860 000 € à son ex-franchisée.

      La cour ajoute cependant que, si ces manquements du franchiseur peuvent « justifier l’indemnisation d’une part du préjudice » de la société franchisée, ils « ne peuvent (pas) constituer un motif de résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur, plusieurs années après la réalisation de ces travaux et l’exploitation de la boutique. »

      En poursuivant l’exploitation, la franchisée a en quelque sorte accepté de prendre sa part du préjudice subi…

      La mauvaise exécution du contrat par le franchiseur n’est « pas prouvée » aux yeux des juges

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceLa cour écarte également les accusations de la franchisée concernant l’inexécution du contrat de franchise et portant entre autres sur « les retards de livraison, la gestion des stocks, les périodes de soldes et les prix imposés, l’inégalité de traitement entre distributeurs, le non-respect des marges convenues, de l’exclusivité territoriale et de l’obligation d’assistance. » Pour les magistrats, ces manquements « ne sont pas démontrés » par la plaignante.

      Concernant la rentabilité de la boutique, « rien ne prouve » à leurs yeux que le prévisionnel de la franchisée a été validé par le franchiseur. Rien ne prouve que celui-ci se serait engagé par contrat à un taux de marge commerciale de 65 %.

      A l’inverse, les magistrats font leur l’analyse du franchiseur selon laquelle le déficit d’exploitation constaté était dû à la politique commerciale de la franchisée « basée sur une pratique élevée de remises détériorant mécaniquement sa marge commerciale ». Une politique qui, par ailleurs, a entraîné des frais supplémentaires de personnel.

      Jugée seule responsable de la rupture de son contrat, la franchisée est condamnée

      Au terme de l’arrêt, la cour d’appel déboute la société franchisée de sa demande concernant la résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur.

      De même, elle lui refuse le remboursement de son droit d’entrée ainsi que les dommages et intérêts qu’elle réclamait au titre d’une partie des salaires du personnel, de l’insuffisance de marge brute, de « gains manqués » et de « pertes de revenus futurs ».

      Ayant, aux yeux de la justice, rompu son contrat de manière anticipée sans raison suffisamment valable, la société franchisée se voit au contraire condamnée à verser un peu plus de 60 000 € de redevances au franchiseur (correspondant à la période du contrat non effectuée).

      Elle doit aussi s’acquitter de 60 000 € d’arriérés et de plus de 1,4 M€ de marchandises impayées…

      >Référence de la décision :

      -Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 4, arrêt du 9 novembre 2022, n° 20/12275

      -A Lire aussi sur le sujet :

      -L’article d’Anouk Bories, maître de conférences à l’université de Montpellier, dans la « Lettre de la distribution » de décembre 2022, qui relève la « sévérité » de cette décision à l’égard de la franchisée, liée à « l’approche libérale du contrat de franchise » suivie par la cour.