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      Sylvain Bartolomeu, Dirigeant associé, Franchise Management - Interview du 13 novembre 2023

      Interview
      13 novembre 2023

      La cohabitation entre franchise et coopérative ? Possible au sein d’un même groupe, compliquée sous une même enseigne ! 

      Sylvain Bartolomeu, Dirigeant associé de Franchise ManagementEn 2023, plusieurs groupements coopératifs ont racheté des enseignes développées en partie ou en totalité en franchise. Intersport s’est emparé de Go Sport, Joué Club a repris La Grande Récré, le groupe C10 a récupéré La Cervoiserie : est-ce à dire que le modèle de la coopérative serait plus solide que celui de la franchise ?

      Je ne crois pas que ce soit une question de modèle de développement, mais plutôt de taille de réseau et de pertinence de l’offre aux consommateurs. En fait, la période actuelle favorise les stratégies multi-enseignes. Pour un groupe, il est bon d’avoir plusieurs marques en portefeuille. Et les différentes crises que nous avons traversées ont créé les conditions qui placent aujourd’hui les réseaux, quelle que soit leur formule d’association, dans une logique de rachat.

      Par ailleurs, si les opérations que vous évoquez ont eu lieu, c’est d’abord parce que les réseaux repris n’avaient pas atteint la taille critique et connaissaient des fragilités de sortie de Covid comme dans le cas de La Cervoiserie, ou devaient faire face à une très forte concurrence. Entre Intersport et Décathlon par exemple, la voie pour Go Sport était étroite. La marque n’était pas forcément la mieux placée du point de vue de l’implantation territoriale et avait, en moyenne gamme, une offre qui manquait d’aspérité. Enfin, sa capacité en termes d’omnicanalité n’était pas en mesure de la voir rivaliser avec les deux mastodontes du secteur.

      La formule de la franchise était-elle en cause dans les difficultés de ces réseaux à l’origine de leur reprise ?

      Non, le modèle de la franchise n’est pas en cause. La question maintenant va être de savoir si les repreneurs vont être capables de redonner à ces marques une offre attractive et comment ils vont manager la franchise au quotidien.

      « Attention au choc des cultures ! »

      A l’inverse, vous admettrez que l’on connaît peu de rachats de coopératives par des franchises ?

      Récemment, sans doute, mais il y en a eu quand même. J’ai participé il y a quelques années en tant que conseil pendant deux ans au rachat d’une coopérative par un groupe succursaliste d’une centaine de points de vente. Nous avons proposé aux coopérateurs de devenir franchisés et 100 d’entre eux l’ont accepté. Le réseau s’est retrouvé multiplié par deux d’un seul coup. Cela n’arrive certes pas fréquemment, mais ce n’est pas impossible.

      Comment cela s’est-il passé ?

      Bien au début, mais quelques mois après que l’opération financière et juridique a été bouclée, nous avons essuyé une volée de bois vert sur le mode « on nous infantilise », « on ne peut plus influer sur les décisions », etc. Une coalition d’anciens coopérateurs s’est formée avec la ferme intention de faire évoluer les choses. Nous avons évité de peu la formation d’une association de franchisés. Nous étions véritablement devant un choc des cultures. L’équipe du siège baignant dans ses habitudes de management directif et très hiérarchique (je décide, tu exécutes) n’avait pas mesuré à quel point l’aspect psychologique est fondamental dans un réseau d’entrepreneurs indépendants.

       « En coopérative, en franchise, en succursale, l’enjeu est le même : il faut savoir évoluer »

      Reste que, contrairement peut-être à d’autres types de réseaux, on connaît aujourd’hui peu de coopératives qui subissent des difficultés ?

      Peut-être, mais les groupements coopératifs ne sont pas tous à l’abri des problèmes de marché. Allez-voir du côté du monde du bio en ce moment, par exemple. Et puis il y a coopérative et coopérative… Je suis pour ma part intervenu dans des groupements coopératifs qui souffraient de gros problèmes de pouvoir. Un groupe de barons historiques bloquait le réseau et rendait tout changement impossible. J’ai connu des têtes de réseau qui avaient peur de ces « généraux du terrain » comme elles les appelaient et j’ai vu des animateurs qui n’osaient pas faire leur travail. Certains n’ont pas tenu un an…

      On connaît ce même type de blocage dans certains réseaux de franchise, non ?

      Oui. Et la clé, partout, c’est le management et l’agilité. La promesse au consommateur doit être uniforme dans le réseau et celui-ci doit pouvoir la faire évoluer. Quelle que soit leur formule de développement, beaucoup de réseaux partent sur une bonne idée, mais par la suite n’arrivent pas à prendre les virages nécessaires. En coopérative, en franchise, en succursale, l’enjeu est le même : il faut savoir faire évoluer son parc de magasins, le réduire éventuellement, diversifier son offre, etc. C’est cela l’essentiel.

      « Tout va dépendre des nouveaux positionnements adoptés et de la capacité des franchisés repris à accepter le changement »

      Est-ce que, pour des coopératives, c’est un bon plan de reprendre et de vouloir relancer des réseaux en difficulté et des enseignes comme Go Sport ou La Grande Récré ?

      Ce que l’on sait, c’est que, en général, le plan ne se déroule pas comme prévu. Quand le groupe Bertrand a repris Quick, son objectif était de passer à terme tout le réseau sous enseigne Burger King. Aujourd’hui, Quick est toujours vivant et même revit en réalité…

      Ce que vous dites est-il inquiétant pour les franchisés Go Sport ou La Grande Récré repris ?

      Go SportLe juge de paix sera comme toujours le client. Aujourd’hui, il s’intéresse à certaines marques, moins ou pas à d’autres et il peut, demain, changer d’avis. Aujourd’hui, pour les articles de sport, les jeunes savent pourquoi ils font la queue tous les week-ends chez Courir. Ils y trouvent les produits de marque qu’ils cherchent tous. Tout va donc dépendre pour Go Sport (mais c’est vrai en général) du nouveau positionnement adopté. Va-t-il ou non permettre à l’enseigne reprise de redevenir attractive ? Qu’est-ce que l’on va pouvoir mettre en place comme connexions avec la coopérative pour créer un effet de volume et permettre aux marges des indépendants de repartir à la hausse ? Quelle sera la capacité du réseau de franchisés à accepter le changement ? Si on se fait un bon concept clinquant mais que trop de magasins ne sont pas remis au goût du jour, s’il y a trop de réticences, cela ne marchera pas. Sur le mass market en milieu de gamme, chez Decathlon et Intersport, la promesse est claire. Il faut qu’elle le redevienne pour que Go Sport puisse espérer se relancer. La problématique est à peu de choses près la même pour les autres opérations de reprises évoquées.

      « Pour relancer les enseignes reprises, les coopératives devront investir en management et en développement »

      Précisément, dans ces trois opérations récentes, les coopératives ne proposent pas aux franchisés de devenir coopérateurs. En tout cas pas tout de suite. Une coopérative peut-elle devenir un bon franchiseur alors que ce n’est pas sa culture ?

      Encore une fois il y a coopérative et coopérative. Le principe du système, c’est le partage. Mais tout dépend. Parfois quand on creuse, pour certains coopérateurs, si c’est pour partager pour moi, ça va, pour les autres, non… Tout dépend donc d’abord de l’ADN de la coopérative qui reprend. Et ensuite de son projet. Si le rachat de l’enseigne est réalisé simplement pour augmenter le volume d’affaires, pour écouler des produits, cela ne fonctionnera pas. Il faut investir en management et en développement.

      Le groupe C10 garde aux commandes de La Cervoiserie son fondateur, cela peut-il être une règle ?

      C’est sans doute en l’occurrence un bon choix, car il porte l’ADN de la marque et l’histoire du réseau. Mais dans certains cas, cela peut au contraire bloquer le changement. En fait, avant tout, il faut bien savoir pourquoi on choisit de garder ou pas le dirigeant, quel va être le degré d’autonomie de la marque, quels seront les moyens mis à sa disposition. Le raisonnement doit être le même pour toute l’équipe d’encadrement, les animateurs, etc. Ce sont des projets à deux ans.

      On peut aussi, pourquoi pas, envisager d’introduire une dose de coopérative dans le réseau de franchisés. Cela m’est arrivé dans un réseau racheté, nous avons fait ajouter dans le contrat une clause prévoyant un référendum sur des décisions stratégiques (changement de marque par exemple). Une façon d’accorder au moins un droit de veto aux franchisés, sur le principe coopératif d’un homme égale une voix et limité à certains sujets bien définis à l’avance. Cela est rassurant pour des entrepreneurs indépendants.

      Vous savez si cette clause a déjà été utilisée ?

      Pas encore à ma connaissance, mais elle a permis de faire signer massivement le contrat de franchise !

      « Conserver trop de succursales peut devenir un problème »

      Chez Joué Club, les adhérents ne semblent pas s’orienter vers un rachat rapide et massif des 89 succursales La Grande Récré. La coopérative qui veut garder les deux enseignes s’est donc organisée pour faire, pendant un temps du moins, du succursalisme. Si ce portage se prolonge, peut-il devenir un problème ?

      la grande recree – 3 juillet2019Oui, cela peut poser un problème. Pour une coopérative, le style de management succursaliste représente une mutation culturelle extrêmement forte, un style de management très différent. En outre, le parc de magasins peut se révéler très lourd à gérer du jour au lendemain.

      Ceci étant, il peut être intéressant aussi d’avoir des unités en propre. Un réseau qui manque de succursales, ce n’est pas non plus idéal.

      Mais les dirigeants de la coopérative vont avoir forcément comme objectif de passer une partie du parc en indépendants. Ils vont devoir pour cela trouver des coopérateurs ou des franchisés. Sinon, ce serait beaucoup trop lourd.

      « Il me paraît difficile de mélanger coopérateurs et franchisés sous une même enseigne. »

      Précisément, la coopérative Joué Club « n’exclut pas » de voir cohabiter demain sous son enseigne La Grande Récré trois types de magasins : les intégrés non encore revendus à des adhérents, les succursales reprises par des coopérateurs et les magasins franchisés : cela est-il tenable à long terme ?

      Non. A un moment donné, il faut une ligne de conduite. Dans le groupe Fournier par exemple, SoCoo’c se développe en franchise, Mobalpa et Perene en concession. Chaque marque a sa structure de développement indépendante avec une partie en propre, mais il y a une certaine proximité entre elles. Et au niveau du groupe, les fonctions RH, marketing et internet sont mutualisées. Le système est lisible, clair et cohérent. Chacun sait où il va.

      A l’inverse, il me paraît difficile de faire cohabiter plusieurs formules de développement sous la même enseigne. Autant au sein d’un même groupe peuvent coexister des marques qui ont chacune leur ADN et leur mode de développement. Autant il me paraît compliqué de gérer une même marque avec des styles de management différents. Certains membres du réseau seront associés, d’autres pas. Or, il faut que les choses soient claires.

      Certes, nous sommes aujourd’hui dans une époque où, conséquence des crises – pandémie, inflation, etc. – nous traversons une phase opportuniste. Des possibilités de croissance externes s’ouvrent, on s’en saisit. Très bien. Mais il faut savoir pourquoi on le fait.

      Demain, si le modèle ne convient pas au client final, s’il ne convient pas au client indépendant, les beaux tableaux Excel du siège sur l’expansion à venir ne serviront à rien.

      « Devenir coopérateur ? pourquoi pas ! Mais le franchisé doit s’interroger sur le projet comme le ferait un investisseur »

      Quels conseils donneriez-vous à des franchisés repris par une coopérative ? Accepter de devenir coopérateur si on le leur propose ?

      Je leur dirais surtout de bien regarder avant de choisir. Un franchisé est un entrepreneur indépendant, sous enseigne c’est vrai, mais il doit avoir la possibilité de sortir. Il doit donc analyser la stratégie qui est envisagée par le repreneur : a-t-elle un sens ? Devenir associé pourquoi pas mais quelles sont les possibilités du projet ? Que va devenir la marque ?  Il faut s’interroger comme le ferait un investisseur, un fonds d’investissement. C’est cela qui est important. Et il faut se demander quel projet l’on souhaite pour soi-même : est-ce que j’ai envie d’entrer dans ce groupe ? Il faut le faire avec le plus d’objectivité possible. Et se demander également si les promesses sont atteignables. Sinon, vous pouvez toujours envisager de vendre votre affaire. Vous êtes un chef d’entreprise indépendant. La franchise est un lien contractuel entre deux entrepreneurs indépendants. Vous devez pouvoir choisir.

      Sylvain Bartolomeu est dirigeant associé de Franchise Management et membre du Collège des experts de la FFF

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