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      Emplacements : de nouveaux lieux de consommation

      Dernière mise à jour le 7 juin 2021

      Dans le choix entre centre-ville ou périphérie, de plus en plus d’enseignes n’ont pas de préférence exclusive et développent le multi-format. Une tendance qui est le reflet des nouvelles mobilités urbaines comme de la montée en puissance de la périphérie.

      Faut-il privilégier le centre-ville ou la périphérie ? Ce positionnement simple et souvent exclusif, qui faisait souvent, il y a quelques années encore, partie intégrante d’un concept du commerce organisé, n’apparait plus aujourd’hui aussi pertinent. Ainsi, seulement 13 % des réseaux ayant répondu à notre enquête menée à l’automne 2015 recherchent exclusivement des emplacements situés en centre-ville. Tandis que 23 % d’entre eux optent pour la périphérie seule. Mais environ 40 % des enseignes, le groupe majoritaire donc, n’affiche pas de priorité en termes d’implantation.

      Cette évolution est certainement liée à la montée en puissance de la périphérie. « En dehors de Paris, estime l’avocate Cécile Peskine (LinkeA), les périphéries des villes sont aujourd’hui très fréquentées. Cela peut être payant en termes de chiffre d’affaires mais également  de notoriété. Par exemple, La Pataterie privilégie la  périphérie et ne s’implante jamais en centre-ville, parce que son activité nécessite des surfaces importantes, mais aussi parce la clientèle des cœurs de ville ne correspond pas à celle du concept ».

      « L’emplacement est lié à l’image qu’une enseigne veut donner d’elle-même. La tête de réseau doit donc définir les endroits où il est possible de s’implanter, en fonction de la clientèle visée. Sinon elle risque de faire le grand écart entre le niveau de gamme présenté et un emplacement qui ne correspond pas », rappelle l’expert-comptable Christian Lepicier (In Extenso). Il pointe également un autre problème : « Lorsqu’il y a de trop grands écarts de typologie d’emplacements à l’intérieur d’une chaîne, le réseau peut devenir difficile à gérer. Par exemple, parce que la redevance publicitaire est la même pour tous, alors que les besoins de communication sont différents, selon que l’on est implanté en périphérie ou en centre-ville« .

      Dans un contexte où, dans de nombreuses agglomérations, on observe un déplacement des populations vers les premières, voire deuxièmes ceintures, une chaîne peut-elle faire l’économie d’une présence en centre-ville ? Pour l’urbaniste Pascal Madry (Procos), « le centre-ville représente aujourd’hui environ 15 à 20 % des dépenses de consommation des habitants d’une grande agglomération (versus 80 % il y a cinquante ans) alors que la périphérie en capte environ les deux tiers. Cela correspond au fait que les villes grossissent en s’étalant toujours plus loin. Cela représente donc une prime fabuleuse à la périphérie ».

      Jusqu’à présent, les centres-villes arrivaient toutefois à compenser cette déperdition de consommateurs grâce à leur spécialisation, avec de nombreuses boutiques de qualité, souvent positionnées sur le moyen haut de gamme, et animées par des indépendants. Cette réalité demeure, mais les frontières s’effacent peu à peu. En particulier avec le développement de retail parks, dans lesquels, à côté de moyenne surfaces, s’implantent de plus en plus de petites boutiques sur des secteurs d’activité traditionnellement réservés au centre-ville.

      Autres évolutions : dans les grandes agglomérations, des quartiers situés entre le cœur de ville et la périphérie s’urbanisent. Quant au lointain péri-urbain, il continue à se développer, ce qui permet l’implantation de moyennes surfaces alimentaires, qui peuvent servir, à leur tour, de foyer de développement à d’autres activités aux alentours.

      Tous ces changements représentent autant d’opportunités pour les enseignes, surtout les plus importantes, qui s’intéressent à ces nouveaux lieux de proximité et conçoivent des formats adaptés pour pouvoir s’implanter sur ces différents types d’emplacements.

      Illustrant cette tendance, Christian Lepicier cite l’exemple de McDonald’s, aujourd’hui capable de s’implanter sur des localisations très différentes : centre-ville, grand centre commercial, retail park, aire d’autoroute, sortie d’autoroute, gare, axe passant, etc.

      Mais on peut aussi évoquer des enseignes de restauration comme Buffalo Grill et El Rancho, ou encore le spécialiste en papeterie Bureau Vallée : présents traditionnellement en périphérie, tous cherchent aujourd’hui à se développer dans les zones de flux des centres-villes. A l’opposé, La Mie Câline, qui a construit pendant des années son réseau en cœur de ville, s’intéresse désormais de plus en plus à la périphérie.

      Autre conséquence de cette évolution : alors que traditionnellement les emplacements situés en centre-ville étaient plus chers que ceux situés en périphérie, ce n’est plus forcément le cas. « Aujourd’hui, constate Pascal Madry, une bonne galerie de périphérie peut être  plus chère (en termes de loyer hors taxes au m²) qu’une rue numéro 1 de centre-ville. Mais les prix dans une galerie marchande incluent des prestations (service de sécurité, climatisation) et ne sont donc pas tout à fait comparables« .

      Concernant la périphérie, les experts mettent toutefois en garde contre la permanence d’une surabondance de l’offre, avec des nouveaux projets qui se commercialisent mal. Et rappellent qu’au cours des six dernières années, le trafic dans les centres commerciaux a baissé de 10 %.

      Beaucoup de villes se sont ces dernières années équipées de moyens de transports en commun, essentiellement des tramways, et ont entrepris des opérations de rénovation urbaine et de requalification de l’appareil commercial  dans les zones concernées. Cela conduit-il à une nouvelle attractivité des centres-villes ?

      « Nos études ont débouché sur plusieurs constatations, confie Pascal Madry. D’une part, les centres-villes s’embellissent mais aussi souvent se rétractent. D’autre part, les déplacements se font aujourd’hui essentiellement de banlieue à banlieue, alors que le flux généré vers le centre-ville par un tramway est minime. Et puis sa mise en service contribue plutôt à faire fuir les gens âgés, qui privilégient l’accès en voiture, et à faire venir une population plus jeune. Cela fait partir les derniers commerces de bouche, qui sont remplacés par des boutiques de mode. Mais, après près la période de travaux liée à l’implantation d’un tramway -qui dure souvent de deux à trois ans-, on constate en gros les mêmes chiffres d’affaires qu’avant. Globalement, c’est donc une opération blanche« .

      Seules 15 enseignes, plutôt qualitatives, privilégient uniquement les rues numéro 1. Cette typologie d’emplacement, qui était considérée naguère comme le « must », ne semble donc plus, pour l’immense majorité des chaînes, représenter une évidence. « Chez Procos, explique Pascal Madry, nous analysons les choses de façon beaucoup plus fine, en comparant les poids de chiffre d’affaires de chaque local d’un centre-ville. Dans cette approche, la notion de rue numéro 1 n’est plus une référence : nous segmentons de plus en plus les différents emplacements avec des spécialisations par type d’activité. »

      Le spécialiste de l’urbanisme commercial le répète : ce qui compte de plus en plus aujourd’hui, c’est l’analyse des flux, en centre-ville comme en centre commercial. « Les zones de chalandise classiques avec un stock de clients défini fonctionnent de moins en moins, car les mobilités sont toujours plus importantes, analyse-t-il. Les Français se déplacent aujourd’hui neuf fois plus que dans les années 60. Il y a donc moins de clientèle captive sur une zone donnée, et le commerce essaie de s’adapter à ces mouvements complexes« .

      Pour illustrer son propos, le directeur de Procos évoque tel centre commercial qui justifie désormais le montant des loyers pratiqués par les quelques millions de « likers » qu’il revendique sur Facebook. Cette évolution risque, selon lui, d’avoir, dans un avenir proche, une influence sur la définition des baux commerciaux.

      Autre sujet de réflexion : les conséquences du développement d’Internet sur le déploiement des réseaux, la définition des zones de chalandise ou encore le concept d’exclusivité territoriale lui-même. Tous les intervenants constatent que la plupart des chaînes de franchise, si elles disposent de sites marchands et misent sur le « cross canal »  sont encore en phase de réflexion : quelles complémentarités entre la commande sur le Net et le retrait en boutique ? Comment faut-il rémunérer la mission du franchisé, qui délivre au client ce qu’il a commandé sur le Net ?

      En tout cas, Internet ne remplace par le point de vente physique mais conduit plutôt à des pratiques nouvelles. Plus besoin d’avoir tout le stock sur place : on équipe les vendeurs de tablettes, ou les magasins de bornes, ce qui permet d’être en liaison permanent avec le stock central, et de commander les pièces ou produits choisis par le client. Certes, on en perd ainsi quelques-uns, qui voudraient repartir avec le produit souhaité tout de suite, mais la réserve peut être diminuée, et on y gagne en termes de  rentabilité. « Dans le prêt-à-porter, ajoute Cécile Peskine, cela permet de faire tourner les collections plus rapidement, pratiquement toutes les 6 semaines« .

      Sur un autre plan, on voit certains « pure players » ouvrir des points de vente, afin de retrouver le contact direct avec la clientèle. Une stratégie déjà testée, il y a dix ou vingt ans, par la VPC classique avec, à l’époque, des succès mitigés. Elle permet notamment de générer des achats d’impulsion. D’autres grandes enseignes constatent que, sur les zones où elles ne sont pas présentes avec un magasin physique, elles réalisent, sur le Net, des chiffres d’affaires inférieurs à la moyenne.

      Sur 342 réseaux ayant répondu à notre enquête, 45 (soit 13 %) recherchent exclusivement des emplacements situés en centre-ville.

      – Parmi ces mêmes chaînes, 15 ne visent que des emplacements en rue n°1 : L’Occitane en Provence et Saga Cosmetics (Parfum), Pascal Caffet (Chocolat), Sherpa Alimentation (Proximité alimentaire), Pêchés Gourmands (Confiserie), Finsbury, Repetto (Chaussure), One Step (Prêt-à-porter Femme), Coldwell Banker Previews (Immobilier), Bath Bazaar (Cuisines et bain), Côté Sushi (Sushi), Big Fernand (Burger), Stratto (Restauration rapide), Pegast (Sandwiches) et Toma Interim (Ressources humaines).

      79 autres (23 %) optent pour la périphérie seule.

      129 enseignes (38 %) ciblent des sites tantôt en centre-ville, tantôt en périphérie.

      3 (1 %) acceptent tout type d’emplacement sans aucune préférence.