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      Le site du franchiseur détourne-t-il la clientèle des franchisés ? - Brève du 12 septembre 2019

      Brève
      12 septembre 2019

      Un franchisé reprochait à son franchiseur de lui avoir imposé la transmission de son fichier clients. Et surtout de l’avoir exploité à son profit via son site internet de e-commerce sans réelle contrepartie, provoquant ainsi un déséquilibre significatif. Il demandait la nullité de ses contrats. La cour d’appel de Paris le déboute dans un arrêt très argumenté.

      Fotolia_38482213_L© Javierafael – Fotolia.comLa cour d’appel de Paris a tranché, le 22 mai 2019, un litige portant notamment sur l’utilisation du fichier clients d’un franchisé par le site de e-commerce de son franchiseur.

      Dans ce conflit, qui éclate après 20 ans de collaboration et l’ouverture de quatre magasins dans la distribution, le franchisé, en redressement judiciaire, réclame la nullité de ses contrats et la réparation de son préjudice.

      Des contreparties en termes de fidélisation et de marketing, selon la cour

      Le franchisé estime que l’obligation qui lui a été faite, par un avenant de 2012, de « mettre l’intégralité de son fichier clients à disposition du franchiseur » a permis à celui-ci d’en tirer « un avantage considérable dépourvu de toute contrepartie, lui ayant causé un préjudice important ». En outre, les conditions imposées dans la mise en œuvre de la plate-forme internet du réseau constituent pour lui un « déséquilibre significatif » contraire à l’article L.442-6 du code de commerce.

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceSaisie, la cour d’appel de Paris n’est pas de son avis. Citant largement le contrat, les magistrats relèvent d’abord que la base de données « reste attachée au fonds de commerce du franchisé ». Et surtout, ils considèrent qu’il « existe bien des contreparties réelles et sérieuses » à sa mise à disposition « temporaire », dans « l’exploitation des coordonnées des clients, soit à des fins de fidélisation de ces derniers, soit à des fins marketing, pour accroître le volume de vente des membres du réseau. »

      Ils ajoutent que le franchiseur ne s’est pas « approprié la clientèle » du franchisé. La preuve ?  Le chiffre d’affaires réalisé par son site internet sur les quatre villes concernées s’est élevé en 2015 à 17 800 €, soit 1 % seulement du CA réalisé par la société du franchisé dans ses points de vente en 2011 (derniers chiffres publiés).

      Détournement ou apport de clientèle ?

      Mais devant la cour, le franchisé critique aussi en détail les conditions de fonctionnement du site internet de e-commerce qui lui ont été imposées.

      Pour lui, quand son franchiseur adresse aux clients de ses franchisés des offres promotionnelles les incitant à commander en ligne, il « court-circuite (ses partenaires) en réalisant la vente à (leur) place » alors qu’il ne leur « verse aucune rémunération » et leur « impose néanmoins la gestion des échanges ».

      « Mais le produit est prélevé sur le stock du franchiseur et adressé par lui au domicile du client ! », objecte la cour (donc, pourquoi rémunérer les franchisés ?).

      Quant à l’échange d’articles, il « ne génère pas d’obligations disproportionnées », estiment les juges, puisqu’il se pose le plus souvent en termes de tailles, que le franchisé dispose a priori d’un stock suffisant et qu’il peut toujours se réassortir. En outre, à leur avis, « l’échange en boutique a pour but de générer du trafic vers les points de vente physiques, les boutiques pouvant ainsi, à cette occasion, enregistrer des ventes additionnelles cette fois à leur seul profit ».

      Un bénéfice trop faible en cas d’achat en ligne avec retrait en boutique, selon le franchisé

      La liste des reproches du franchisé ne s’arrête pas là. Selon lui, lorsqu’un client achète en ligne sur le site de e-commerce de l’enseigne puis vient chercher son article en boutique, la commission qu’il perçoit est anormalement limitée à 20 % (au lieu d’une marge bénéficiaire de 50 % quand il vend le produit en magasin) « alors qu’il délivre le même service et supporte les mêmes frais ». 

      « Mais le franchisé n’assure dans ce cas aucune gestion de stock puisque le produit est prélevé sur celui du franchiseur et n’assure aucun frais de port », oppose la cour. Pour qui «il n’est donc pas disproportionné qu’il soit moins rémunéré que lorsqu’il vend sur son propre stock. » 

      Le franchisé déplore encore que, dans les faits, les clients « se voient invités à découvrir la collection dans les magasins, pour ensuite profiter des offres promotionnelles du franchiseur sur son site de e-commerce. » Mais pour la cour, il ne démontre pas « quel serait le pourcentage de clients » qui procéderaient ainsi « d’autant que, ajoute-t-elle en réitérant son raisonnement, « le détournement du flux en boutique permet d’attirer les clients et les inciter à acheter ».

      Pas de déséquilibre significatif, conclut la cour. Mais quels avantages pour le franchisé ?

      Ultime grief formulé par le franchisé : quand le consommateur opte pour une réservation en ligne du produit dans son magasin, certes sa marge de 50 % est alors préservée, mais le procédé comporte « deux inconvénients majeurs » : le client est « hésitant et dispose de trois jours pour acheter effectivement l’article réservé ». D’autre part, l’exploitant doit « supporter les frais afférents au stock » dont il doit disposer pour ce type de ventes.

      Argument non valable pour les juges qui n’y voient aucun déséquilibre, « l’existence d’un stock suffisant étant indispensable dans la distribution ». Les frais supplémentaires ne sont par ailleurs, à leurs yeux, « pas prouvés ».

      Conclusion : pour les magistrats de la cour d’appel de Paris, les dispositions du contrat contesté ne comportent pas de déséquilibre significatif. Le contrat n’est donc pas en contradiction avec l’article L.442-6 du code de commerce. Le franchisé, qui n’a, pour eux, pas subi de préjudice, est débouté de ses demandes de nullité du contrat.

      Une question se pose toutefois à la lecture de cet arrêt, comme le relève Nicolas Ereseo, Maître de conférences à l’Université de Strasbourg dans le numéro de Juillet-Août de « La lettre de la distribution » : quel avantage le franchisé a-t-il retiré (en termes de chiffre d’affaires) de la transmission de son fichier ? La cour, apparemment, ne s’y est pas intéressée.

      Référence de la décision :

      Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 4, 22 mai 2019, RG n° 17/05279