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      Maître Olga Renaud, avocate spécialisée, cabinet BMGB - Interview du 20 novembre 2023

      Interview
      20 novembre 2023

      Un franchisé repris a tout intérêt à devenir coopérateur si on le lui propose et pas à rester franchisé.

      Olga Zakharova-Renaud, Avocat, cabinet BMGBQuand une coopérative de commerçants reprend une enseigne de franchise, que se passe-t-il pour les franchisés sur le plan juridique ?

      Tout dépend si tous les franchisés doivent devenir coopérateurs ou s’ils peuvent rester franchisés, car les deux modes de reprise sont possibles. Une coopérative peut tout à fait créer une filiale pour jouer le rôle de franchiseur, comme elle peut en créer pour faire des études de marché ou pour d’autres activités. C’est ce que l’on appelle l’ouverture aux tiers. Dans ce cas, le franchisé reste franchisé et rien ne change pour lui, car le franchiseur repreneur, en l’occurrence la coopérative, doit assurer les obligations du contrat jusqu’à son terme sauf à trouver un meilleur accord avec le franchisé. Bien sûr, à la fin du contrat, le franchiseur peut en proposer un autre avec plus ou moins de modifications. Il peut aussi proposer au franchisé de devenir coopérateur.

      Qu’est-ce que cela changerait pour un franchisé de devenir coopérateur ?

      La principale particularité des coopératives, qui sont encadrées par l’article L 124-1 et suivants du code de commerce, c’est que les commerçants y sont à la fois associés et clients. En tant qu’associés, ils peuvent décider des grandes orientations de la coopérative lors de l’assemblée générale de ses membres sur le principe un homme égale une voix. En tant que clients, ils bénéficient de services extrêmement proches de ceux que rend un franchiseur à ses franchisés en termes de formation, de marketing, d’achats. La coopérative dispose d’un savoir-faire opérationnel, organisationnel, dans le choix des produits, etc.

      « Attention à la durée de fidélité et au montant de la pénalité en cas de sortie anticipée : il n’y a pas de négociation possible »

      Il y a sans doute un revers à cette médaille ?

      En tout cas des différences avec la situation du franchisé. Contrairement à la franchise en effet, il faut savoir que les parties ne signent pas de contrat. Les relations entre les associés sont régies par les statuts et le règlement intérieur de la coopérative, votés l’un comme l’autre en assemblée générale. Attention, comme il ne s’agit pas d’un contrat qui peut se négocier, l’adhésion à la coopérative entraîne automatiquement l’acceptation des statuts et du règlement intérieur. Aucune négociation n’est possible.

      Autre différence importante : en franchise, les règles du contrat peuvent être modifiées, mais seulement d’un commun accord. Ce n’est pas le cas dans les coopératives puisque statuts et règlement intérieur ne peuvent pas être modifiés par les parties, mais seulement par l’assemblée générale. Un coopérateur peut donc se retrouver soumis à des règles avec lesquelles il n’est pas d’accord, s’il ne fait pas partie de la majorité qui les a adoptées.

      Il faut donc, au minimum, avant toute adhésion à une coopérative, bien analyser le contenu des statuts et du règlement intérieur. A quoi faire plus particulièrement attention ?

      Ces textes fixent en particulier la durée de fidélité à laquelle le coopérateur s’engage en devenant coopérateur. Certes, tout adhérent peut sortir librement chaque année de la coopérative au moment de la clôture de son propre exercice à condition de respecter un préavis, mais s’il sort avant la fin de sa période de fidélité, il doit s’acquitter d’une pénalité. Un montant qu’il faut connaître.  A noter : cette durée de fidélité à laquelle s’engage le coopérateur ne peut pas être modifiée en assemblée générale.

      « En devenant coopérateur, le franchisé aura de meilleures conditions d’achats »

      Comment cela se passe-t-il sur le plan économique ? Quel est l’intérêt du franchisé ?

      En devenant membre de la coopérative, l’exploitant aura de meilleures conditions d’achats car le coopérateur est associé à la centrale d’achats et celle-ci ne peut pas faire de bénéfices. Les surplus d’exploitation sont redistribués aux associés. La centrale peut faire des provisions bien sûr comme toutes les sociétés commerciales, mais elle doit redistribuer l’excédent. Ce qui procure au coopérateur au final des conditions d’achats plus intéressantes que dans un réseau de franchise.

      Intersport a déclaré par exemple mettre sa centrale d’achats à disposition des franchisés Go Sport dont la coopérative a repris les contrats, c’est déjà un avantage ?

      Go SportSans doute. Mais rien n’oblige les dirigeants de la coopérative à accorder aux franchisés les mêmes conditions de prix qu’aux associés de la centrale. Ils peuvent déterminer les conditions qu’ils veulent…

      Donc un franchisé a intérêt à accepter de devenir coopérateur si on le lui propose ?

      Oui, je pense qu’un franchisé repris par une coopérative a tout intérêt à devenir coopérateur et pas à rester franchisé s’il a le choix. Car il aura des avantages qu’il n’a pas en tant que franchisé, avantages liés à la structure même de la coopérative.

      Et puis il n’aura pas au-dessus de la tête l’épée de Damoclès de la fin du contrat. Car sauf faute grave de sa part qui lui vaudrait l’exclusion, il est assuré de rester coopérateur jusqu’à la fin de sa période de fidélité.

      Dans deux opérations – le rachat de Go Sport par Intersport et celui de La Grande Récré par Joué Club – les coopératives ont repris plusieurs dizaines de magasins appartenant en propre à l’enseigne acquise. Elles doivent les revendre, par exemple à leurs adhérents ?

      Oui. Une coopérative peut faire du portage, mais cela doit être provisoire. Elle n’a pas vocation à gérer elle-même des magasins.

      « En cas de cohabitation entre coopérateurs et franchisés sous une même enseigne, il peut y avoir des tensions »

      Donc – et ce sera sans doute le cas au moins pour La Grande Récré – on peut se retrouver demain avec un réseau ou coexisteraient sous la même enseigne trois types de magasins : intégrés, coopérateurs et franchisés : la gestion ne risque-t-elle pas d’être compliquée ?

      Si, d’autant que la coopérative doit exécuter les contrats en cours en les respectant à moins qu’elle ne les renégocie et obtienne l’accord de chaque franchisé… Elle doit de toute façon fournir les mêmes services que le franchiseur précédent. Elle peut proposer plus éventuellement, mais pas moins que dans le contrat de franchise initial.

      Des déséquilibres voire des tensions peuvent donc surgir entre coopérateurs et franchisés ?

      la grande recree – 3 juillet2019Oui, bien sûr, si les conditions économiques sont différentes. Notamment concernant la redistribution tarifaire en fin d’année. Elles peuvent être meilleures pour les coopérateurs… Si, sous une même enseigne avec les mêmes produits, le régime n’est pas le même pour tous, il n’y aura pas de bonne ambiance dans le réseau, il n’y aura pas la même rentabilité ! Mais la coopérative pourrait se montrer sensible à l’attente des franchisés et faire des efforts en matière de conditions d’achats, même si juridiquement elle n’y est pas contrainte. Il y a bien sûr des chaînes de franchise qui proposent dans leur contrat des remises de fin d’année (RFA) correctes. Mais ce n’est pas le cas de toutes.

      Une coopérative peut-elle devenir un bon franchiseur ?

      En tout cas, s’il n’est pas logique qu’une coopérative devienne franchiseur, ce n’est pas impossible. La preuve : il existe des coopératives qui développent des franchises de façon pérenne.

      Pourquoi alors les coopératives qui ont récemment racheté des réseaux ne tentent-elles pas de transformer les franchisés repris en coopérateurs ?

      Ce serait logique qu’elles le fassent en effet. Mais cela prend du temps. Car pour intégrer le point de vente et le franchisé dans la coopérative, il faut l’accord des coopérateurs de sa zone. C’est aussi une affaire de personne. En franchise, le responsable du réseau recrute ses franchisés en fonction de leur profil (contrat intuitu personae), mais dans les coopératives, la personnalité du coopérateur entrant est encore plus importante puisqu’il s’agit de recruter un associé avec lequel on va partager le bien commun qui est la coopérative… Cela peut être une explication. Mais je ne suis pas dans le secret de leur stratégie.

      Maître Olga Renaud est membre du collège des experts de la FFF. Elle conseille exclusivement les franchisés, concessionnaires, commissionnaires-affiliés, coopérateurs, etc. (pas les franchiseurs)

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