Fermer
Secteurs / Activités

      Prévisionnel insincère et DIP absent : le contrat de franchise est annulé - Brève du 26 mai 2021

      Un franchisé en échec accusait son masterfranchisé de lui avoir transmis un prévisionnel trompeur et pas de DIP. Dix ans après le début de la procédure qui l’a emmené jusqu’en cassation, le plaignant obtient la nullité de son contrat.

      Finances Saving Economy concept. Female accountant or banker use

      La cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion vient d’annuler un contrat de franchise  pour vice du consentement du franchisé.

      Dans ce litige, le contrat est signé en août 2008 pour 9 ans. Le prévisionnel transmis par le masterfranchisé fait état d’un chiffre d’affaires annuel hors taxes de plus d’1,17 millions d’euros avec un résultat d’exploitation supérieur à 350 000 €.

      Mais dans la réalité, le bilan de l’exercice clos au 30 septembre 2009 indique un CA de 756 000 € et un résultat d’exploitation négatif de -117 000 (montants arrondis). Rapidement, les difficultés s’accumulent pour le franchisé qui ne règle pas ses redevances, cesse son exploitation en août 2010 et voit sa société placée en liquidation judiciaire en octobre de la même année. En juillet 2011, il assigne son masterfranchisé en justice.

      Pour le masterfranchisé, l’échec du franchisé était dû à ses fautes de gestion

      Près de dix ans plus tard, sur renvoi de la Cour de cassation qui s’est prononcée en septembre 2017, la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion examine l’affaire.

      Pour le masterfranchisé, il n’y a pas lieu d’annuler le contrat. En effet, le prévisionnel transmis en avril 2008 « n’avait qu’un caractère indicatif » puisqu’il faisait référence à un taux de redevances de 4 % (et non 6 % comme dans le contrat) et partait sur l’hypothèse d’un loyer annuel de 46 000 € alors qu’en réalité il a été de 66 000.

      Par ailleurs, si le chiffre d’affaires réalisé a été inférieur de 400 000 € au niveau du prévisionnel et si les charges se sont élevées à 360 000 € au lieu des 120 000 prévus, c’est en raison selon lui « des fautes de gestion du franchisé qui n’a pas respecté le concept ni les prescriptions du masterfranchisé et ne s’est pas suffisamment impliqué dans son affaire ». Le master en veut pour preuve les réclamations de clients reçues en 2010 et l’appel qu’il a lancé aussitôt à son franchisé afin qu’il redynamise son équipe.

      Pour la cour d’appel, le prévisionnel n’était ni sérieux ni sincère et le DIP absent

      La cour ne partage pas cette analyse. Pour elle, ces plaintes et cet appel de 2010 n’expliquent pas la contre-performance de 2008-2009. De même, les faits invoqués par le master selon lesquels le franchisé aurait « de sa propre initiative » conclu un bail de 20 000 € plus cher que prévu et qu’il aurait également acquis de son propre chef « des matériels plus onéreux » qu’envisagé « constituent des éléments insuffisants à expliquer la très forte sous-estimation des charges diverses par le prévisionnel transmis. »

      Pour les magistrats, ce prévisionnel qui « ne mentionne nullement les données auxquelles il a pu se référer pour être établi (…) ne  présentait pas les caractères sérieux et sincère requis par les dispositions de l’article L.330-1 du code de commerce (Loi Doubin) ».

      Quant au DIP Document d’information précontractuelle qui doit être transmis 20 jours au moins avant la signature du contrat, ils en soulignent l’absence dans les pièces qui leur ont été communiquées. Le fait que le texte du contrat signé comporte une mention selon laquelle « [le franchisé] a pris connaissance des éléments d’information mis à sa disposition dans le cadre de la loi du 31 décembre 1989 dite Doubin, et de son décret d’application du 4 avril 1991 » est, aux yeux de la cour, « insuffisant à apporter la preuve » de cette transmission.

      Pour les magistrats, le consentement du franchisé a bel et bien été vicié

      Juridique-2Reste à savoir, pour prononcer la nullité du contrat, si cette absence de DIP et le manque de sérieux et de sincérité du prévisionnel ont – ou non – vicié le consentement du franchisé.

      Sur ce point, le masterfranchisé fait valoir qu’avant de signer son contrat, le futur franchisé était déjà engagé avec lui dans les mêmes conditions à la tête d’un autre établissement franchisé d’un secteur d’activité très voisin.

      En outre, le futur franchisé avait participé en août 2007 à un rendez-vous organisé au siège du franchiseur principal en métropole en vue de préparer l’implantation de l’enseigne à la Réunion. Enfin, les deux parties avaient des liens familiaux laissant supposer que le niveau d’information du futur franchisé pouvait être élevé sur l’enseigne concernée.

      Cela ne convainc pas la cour d’appel. Pour elle, si le futur franchisé a disposé d’informations générales sur le montage de l’opération « implantation d’une franchise à la Réunion », il n’avait pas pour autant « d’informations précises (requises par la loi) en ce qui concerne les frais spécifiques d’installation » de son affaire.

      De même, s’il avait déjà une expérience de gestion d’un établissement dans une activité proche, « Il ne peut être présumé averti des spécificités (de sa future enseigne, ce qui lui aurait) permis d’avoir une analyse critique du bilan prévisionnel lui ayant été transmis ».

      Conclusion des magistrats : « la transmission d’éléments de prévision comptable très prometteurs d’une part et l’absence d’informations précises sur le contexte de l’opération (…) d’autre part sont de nature à avoir déterminé le consentement (du plaignant) à signer le contrat de franchise ».

      « La réticence dolosive et le dol ayant vicié le consentement du franchisé sont donc établis ».

      Le contrat de franchise est annulé

      En conséquence, la cour annule le contrat de franchise d’août 2008. Le masterfranchisé est condamné à rembourser à la société de son ex-franchisé 50 000 € au titre des droits d’entrée et 63 000 € au titre des redevances acquittées. Il doit aussi lui verser 10 000 € au titre du préjudice moral.

      Mais les magistrats déboutent le franchisé de ses demandes de dommages et intérêts de l’ordre de 130 000 € pour les pertes enregistrées au cours de ses 13  premiers mois d’exercice et de 147 000 € au titre de la perte de son fonds de commerce. La cour faisant observer que, lors de son démarrage, la société franchisée ne possédait encore aucun fonds de commerce et que, concernant les pertes enregistrées après la conclusion du contrat, leur montant est « sans lien direct avec le dol lié à la communication d’informations incomplètes et insincères » avant le contrat.

      Rappelons que, dans le prévisionnel transmis, l’investissement de départ se situait « entre 1,2 et 1,5 million d’euros ».

      Références des décisions :

      -Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, 26 mars 2021, n° 17/02040

      -Cour de cassation, chambre commerciale, 13 septembre 2017, n°15-19740

      Lire aussi sur le sujet :

      -Le numéro de Mai 2021 de la Lettre de la Distribution (en dernière page)