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      Fichier clients du magasin franchisé : qui a le droit de l’utiliser après la fin du contrat ? - Brève du 17 août 2022

      Brève
      17 août 2022

      Invoquant son rôle et ses investissements dans la maintenance des fichiers clients de ses franchisés, un franchiseur conteste une ordonnance de référés qui lui interdit de les utiliser après la fin de leurs contrats. La décision est confirmée en appel.

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceQue devient le fichier clients lorsque le contrat de franchise est terminé ? Qui peut l’utiliser ? Le franchiseur ? Le franchisé ? Les deux ?

      Dans l’affaire jugée par la cour d’appel de Douai le 9 juin 2022, le contrat de franchise précisait sur ce point la position et le rôle de chaque partie pendant le contrat.

      Selon le texte, chaque franchisé du réseau était « propriétaire de son fichier clients », « assurait les frais de sa constitution » et s’engageait à « l’alimenter de toutes les informations nécessaires », adresses et autres, « de façon à ce qu’il soit toujours plus réactif et efficace ». Quant au franchiseur, il en « assurait la gestion active », disposant pour cela d’un « droit d’usage et de jouissance concédé par le franchisé qui conservait la pleine propriété (du fichier)».

      Il était également prévu qu’à partir de la deuxième année du contrat, le franchiseur facturerait aux franchisés – sans pratiquer de marge – le coût des opérations de maintenance de leur fichier.

      Le contrat indiquait encore les conditions auxquelles le franchiseur pourrait exercer un droit de préemption sur la cession éventuelle de ce fichier clients.

      Mais comme le relève la cour, « aucune clause contractuelle » ne permettait au franchiseur « d’accéder aux fichiers clients de ses franchisés à la fin du contrat de franchise. »

      Un franchiseur peu pressé de restituer aux franchisés leur fichier-clients après la fin du contrat

      C’est précisément sur ce point que va porter le litige examiné par les juges. En 2019, suite à des difficultés, la chaîne annonce entre autres à ses franchisés (qui représentent un quart du parc de magasins) qu’elle change de stratégie et passe, pour ce qui les concerne, à la commission-affiliation.

      Fin 2019, elle avertit les sociétés franchisées qui ne la suivent pas dans sa démarche de la fin de leurs relations contractuelles à l’issue d’un préavis de 18 mois, soit jusqu’au 31 juillet 2021 (2022, même, pour l’une d’elles).

      Préparant leur sortie, 7 sociétés franchisées réclament à leur franchiseur en mars 2021 une copie de leur fichier clients, expliquant que cet élément est « essentiel et indispensable à la poursuite de leur activité ».

      Le franchiseur ne semble pas pressé de s’exécuter malgré une mise en demeure de restitution et les franchisés saisissent en référé le tribunal de commerce, constat d’huissier à l’appui.

      Ils le font d’autant plus qu’ils ont connaissance d’un courriel interne à la tête de réseau dans lequel un juriste demande à d’autres salariés du franchiseur ce qu’ils savent des « possibilités qui existent d’échapper à la transmission des extractions fichiers-clients aux franchisés »…

      La tête de réseau conteste l’ordonnance de référés lui interdisant d’utiliser les fichiers clients de ses ex-franchisés

      En juillet 2021, le juge des référés ordonne au franchiseur de « restituer » aux sociétés franchisées « l’intégralité des fichiers clients leur appartenant » et lui interdit explicitement de les utiliser à compter du 31 juillet date de fin des contrats (à chaque fois sous astreinte de 5 000 € par jour de retard.)

      C’est de cette ordonnance de référés que la société tête de réseau fait appel. Pour le franchiseur, elle n’a pas lieu d’être entre autres parce qu’il n’y a « pas de trouble illicite », « dès lors qu’(il) peut et même doit exploiter les fichiers jusqu’à la fin des contrats ».

      Mais surtout, il estime que le fichier de la clientèle « est une base de données » dont il est « le producteur et le responsable de traitement, ce qui fonde et légitime son droit d’exploitation des données et s’oppose à ce que toute mesure d’interdiction soit prononcée à son encontre, laquelle aurait un caractère définitif. »

      La cour d’appel de Douai confirme l’ordonnance de référés

      Devenir-Franchise-Loi-DoubinPour la cour, au contraire, il y a bien « un dommage imminent qu’il convient de prévenir » (d’où l’ordonnance de référés). Puisque dans un courrier du 14 mai 2021 adressé au conseil des sociétés franchisées, le conseil de la tête de réseau « indique qu’en sa qualité de responsable du traitement », la chaîne « poursuivra l’exploitation des données qui constituent le fichier clients nonobstant la fin (des) relations contractuelles avec les franchisés » (selon les termes de la cour).

      Par ailleurs, pour les magistrats, dans la mesure où le contrat prévoit que les franchisés doivent s’acquitter des frais de maintenance, « les développements de (la société tête de réseau) consacrés aux investissements qu’elle a réalisés sont inopérants dans le cadre du présent litige ».

      Enfin, comme déjà remarqué, le contrat ne prévoit pas de clause permettant au franchiseur d’accéder aux fichiers clients de ses franchisés après la fin du contrat.

      La cour d’appel de Douai confirme donc l’ordonnance de référés du tribunal de commerce. Les magistrats ajoutant que, contrairement à ce que soutient la société tête de réseau, le prononcé de la mesure « n’excède pas les pouvoirs du juge des référés ».

      Le fichier-clients : « un enjeu majeur dans les réseaux »

      Pour Maître Marie-Pierre Bonnet-Desplan, avocat à la cour, qui analyse cet arrêt dans le numéro de juillet-août de la Lettre de la Distribution« le caractère de référé de la décision et la simplicité de son raisonnement basé sur le droit de propriété ici reconnu par (le contrat) ne permettent pas d’élaborer une conclusion allant au-delà de cette affaire ». 

      Toutefois, pour la spécialiste, « le fichier clients est aujourd’hui un enjeu majeur dans les réseaux ». Et, si elle estime que « les clauses sont désormais plus travaillées et assez claires », elle invite les rédacteurs de contrats à bien « préciser les droits et obligations des parties sur le fichier clients, pendant et après le contrat (…) ». Afin de tenir compte notamment de « l’attraction que constitue la marque, (… de) la richesse des outils marketing d’attraction et de fidélisation des clients, (des) investissements conséquents en compétence et finance mis en œuvre pour cela, (des) fonctions différentes exercées par la tête de réseau et les distributeurs ».

      De quoi en effet, comme elle l’évoque, « réanimer le débat » sur le fait de savoir à qui appartiennent en franchise la clientèle et son fichier…

      >Référence de la décision :

      -Cour d’appel de Douai, 2e chambre, 1re section, 9 juin 2022, n° 21/04131