Fermer
Secteurs / Activités

      Olivier Urrutia, délégué général de la Fédération du commerce coopératif et associé. - Interview du 25 octobre 2023

      Interview
      25 octobre 2023

      Il y aura d’autres rachats de réseaux succursalistes ou de franchise par des groupements coopératifs ou associés.

      Olivier Urrutia, Délégué général la Fédération du Commerce Coopératif et Associé (FCA)Votre fédération a salué par des communiqués enthousiastes les rachats en 2023 de Go Sport, La Grande Récré et La Cervoiserie : trois chaînes développées en partie ou en totalité en franchise et reprises par des groupements coopératifs ou associés. Est-ce selon vous le signe d’une supériorité de votre formule par rapport à la franchise ?

      Il faut rester modeste et ne pas généraliser. Ceci étant, ces opérations s’inscrivent dans une tendance de fond. Depuis 21 ans – c’est l’Insee qui l’indique -, le commerce coopératif et associé est la forme de commerce qui a connu en France la croissance la plus importante en termes de chiffre d’affaires. Le succès de notre modèle historique, qui existe depuis plus de 150 ans, se confirme et cela se traduit aujourd’hui dans le développement des enseignes. Elles s’apprêtent maintenant – et c’est une nouvelle donne – non seulement à se défendre de la concurrence mais à partir à la conquête de nouvelles parts de marché, par exemple par des rachats comme ceux que vous mentionnez, auxquels j’ajoute d’ailleurs la reprise de certains magasins Casino par Intermarché.

      La principale force de votre formule est-elle due au fait que vos réseaux appartiennent à leurs membres ?

      C’est un début d’explication. Le fait que nos réseaux de commerce et de services appartiennent à leurs adhérents constitue en effet une situation originale et même unique puisque les patrons, les propriétaires de la coopérative sont aussi ses clients. Les gens qui sont aux manettes sont ceux-là même qui appliquent sur le terrain les décisions qu’ils ont contribué à imaginer, élaborer, construire et décider. Il n’y a pas de déconnexion entre une élite et les entrepreneurs dans les points de vente. Cette fluidité constitue l’un des éléments de succès de notre modèle.

      « L’organisation de la coopérative constitue une digue contre le risque de mauvaise gestion »

      Go SportCes chaînes reprises étaient en difficulté (Go Sport et La Grande Récré notamment) : la franchise est-elle selon vous une des causes de cette situation ?

      Non. On compte beaucoup de réseaux de franchise en France, c’est un modèle qui s’est bien développé et qui connaît parfois de belles success stories. Dans les dossiers précis que vous évoquez, les difficultés étaient d’ailleurs largement liées à des questions de gestion dues aux enseignes elles-mêmes. Il faut donc se garder de tirer un trait sur le modèle.

      Ceci étant, dans le commerce intégré comme en franchise, le fait que le pouvoir soit concentré entre quelques mains fait que, lorsqu’elles ne sont pas bien intentionnées ou pas assez performantes, c’est tout le réseau qui part à la catastrophe, alors que l’organisation des coopératives constitue une digue face aux risques de mauvaise gestion. On peut avoir dans un réseau coopératif ou associé des points de vente mal gérés, mais il est plus rare de constater que tout le réseau, appartenant à des centaines de propriétaires, est touché.

      Les groupements coopératifs échappent-ils pour autant aux difficultés de marché ?

      Non, bien sûr. Le commerce peut connaître des crises structurelles comme celle qui frappe en ce moment le secteur du textile (où, soit dit en passant, Intersport est leader devant Zara et H&M). Cela peut concerner tout secteur et du coup toute enseigne. Quant aux crises conjoncturelles comme celles que nous avons traversées dans la dernière période, elles rattrapent tout le monde. Aucun modèle ne passe à côté.

      Ceci étant, face à l’inflation, à la crise de l’énergie, aux conséquences de la pandémie ou de la guerre en Ukraine, nous avons eu moins de dégâts qu’ailleurs. Parce que les points de vente ont été accompagnés par la structure coopérative : à la mutualisation quotidienne des moyens s’est ajoutée la solidarité face aux difficultés et il y a eu peu de défaillances.

      « La coexistence entre coopérative et franchise peut être pérenne. Mais la franchise doit rester minoritaire dans un groupement »

      Bricorama-lyon-7-1536×1153La coopérative, c’est la démocratie – un homme égale une voix – alors que la franchise est verticale – le franchiseur décide de l’essentiel et les franchisés doivent suivre – : pensez-vous que ces deux formules si différentes peuvent cohabiter de façon pérenne au sein d’un même groupe d’enseignes, voire au sein de la même enseigne ?

      Oui, c’est possible. Cela s’est déjà vu. Mais la partie franchisée reste toujours minoritaire dans le groupe. Cela a été vrai pour Lynx Optique, franchise reprise en 2003 par le groupe Krys et passée au modèle coopératif en 2009. C’est vrai pour Lissac reprise en 2005 par Optic 2000 et toujours développée en franchise. Si Lissac a conservé la formule avec succès en développant ce réseau pendant 18 ans, cela veut bien dire que la coexistence entre les deux formules est possible et peut être pérenne. Plus près de nous, il y a eu aussi la reprise de Bricorama et celle de Rapid Pare-Brise par le groupement des Mousquetaires en 2017 et 2018, etc.

      Dans le cas des reprises récentes, les dirigeants repreneurs ont annoncé vouloir conserver à la fois les enseignes et les franchisés. Sauront-ils s’affirmer comme de bons franchiseurs alors même que ce n’est pas leur culture ? Ne vont-ils pas chercher à réduire le nombre de franchisés, à les transformer en coopérateurs ? Ou à faire passer progressivement leurs magasins dans les mains des adhérents ?

      Je ne peux pas répondre à leur place évidemment et tout est possible. Y compris qu’ils se montrent de bons franchiseurs. Je ferai observer aussi que si, à l’occasion de ce type d’opération, la part des franchisés se rétracte, cela ne veut pas forcément dire qu’il s’agirait alors de mauvais franchiseurs. Mais plus simplement qu’ayant repris un réseau qui était en difficulté, ils ont pris les meilleures décisions pour le sauvegarder, ce qui peut passer par la concentration des efforts sur certains points de vente et pas sur d’autres. Par ailleurs, si certains groupements absorbent petit à petit les points de vente franchisés ou finissent par proposer aux franchisés repris de devenir coopérateurs, c’est une stratégie qui répond à un besoin du groupe sans que les franchisés soient perdants pour autant. Mais si vous me demandez s’il s’agirait en règle générale d’un objectif que se donneraient les coopératives, alors ma réponse est « non ». Le mouvement coopératif regroupe des réseaux dans des secteurs d’activité très différents (une trentaine pour la FCA). Tous n’ont pas le même niveau de concurrence, la même histoire d’enseigne, ce qui peut avoir des conséquences sur le mode de développement choisi. En tout cas, les coopératives ont parfaitement les capacités de gestion nécessaires pour intégrer des réseaux succursalistes ou franchisés.

      « Les quatre reprises de cette année montrent que c’est possible. Elles peuvent inspirer d’autres acteurs. »

      Y aura-t-il selon vous d’autres opérations de ce type à l’avenir ?

      Pendant longtemps, le modèle coopératif a été circonscrit au monde du commerce. Depuis vingt à vingt-cinq ans, il a gagné celui des services. Il y a aujourd’hui des coopératives de notaires, d’huissiers, d’architectes, de médecins. C’est encore minoritaire, mais cela existe. Pendant longtemps, l’objectif était de résister à la concurrence du succursalisme qui s’est beaucoup développé dans les années 1950-60. Mais aujourd’hui on constate que notre modèle est celui qui a le mieux performé en termes de croissance économique depuis une vingtaine d’années. Un grand nombre de nos enseignes se portent bien et même très bien et sont en mesure de passer de la défensive à l’offensive en matière de développement de réseaux et de conquête de parts de marché. Les quatre reprises récentes peuvent tout à fait inspirer d’autres acteurs. Elles leur montrent à tous que c’est possible. Qu’une coopérative peut libérer suffisamment de trésorerie pour reprendre et relancer une enseigne succursaliste ou une enseigne de franchise. Oui, il y aura sans doute d’autres opérations de ce type à l’avenir.

      -En savoir plus sur la FCA

      -Voir aussi notre article : l’offensive des coopératives va-t-elle se poursuivre ?