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      Prévisionnels : le franchiseur aurait dû accompagner son partenaire - Brève du 23 mars 2020

      Brève
      23 mars 2020

      La cour d’appel de Nîmes sanctionne un franchiseur pour ne pas avoir accompagné avec sérieux un de ses franchisés dans l’élaboration de ses prévisionnels. Elle rappelle que la rentabilité est « une composante essentielle du contrat de franchise ».

      Il est rare qu’un contrat de franchise soit annulé pour erreur sur la rentabilité. C’est pourtant ce qu’a décidé la cour d’appel de Nîmes au terme d’un arrêt du 23 janvier 2020.

      Dans ce litige, un chômeur signe, en 2012, une «convention de partenariat» avec un réseau d’une cinquantaine de magasins de moyennes surfaces. Mais au lieu d’atteindre un chiffre d’affaires de plus de 1 000 000 d’euros comme prévu pour son premier exercice (à cheval sur 2012 et 2013), il plafonne à 700 000 (montants arrondis). Et cela ne s’arrange pas par la suite avec 385 000 réalisés sur 2014 (au lieu de 840 000) et 348 000 en 2015 au lieu de 882 000.

      En termes de résultats nets : au lieu de cumuler 27 000 puis 29 000 et enfin 41 000 € de bénéfices sur ses trois premiers exercices, le franchisé subit successivement 78 000, puis 28 000 et 40 000 € de pertes. Malgré 300 000 € réinjectés dans l’affaire, il dépose le bilan. La liquidation judiciaire est prononcée en 2016.

      Pour le franchiseur, le franchisé était seul responsable de son échec

      Pour le franchiseur, l’échec est dû pour l’essentiel au franchisé. L’enseigne peut en effet « se prévaloir du succès de son réseau, avec des exemples significatifs ». Elle estime avoir informé correctement son futur partenaire, « dans le respect des dispositions de la loi sur l’information précontractuelle ». Le DIP a été transmis et signé dans les délais, plus de trois semaines avant la signature du contrat. Il indiquait les investissements spécifiques nécessaires à la réussite du projet. Mais « il n’était pas dans le rôle du franchiseur d’établir un budget prévisionnel ». Du reste, c’est le franchisé, « commerçant indépendant ayant une expérience des affaires », qui l’a réalisé avec son propre expert-comptable.

      La véritable raison de ses difficultés, toujours selon le franchiseur, résulte du « non-respect du concept, comme le prouvent les fiches de visite du magasin et les préconisations » délivrées. Même si parallèlement, la « dégradation de l’environnement concurrentiel » (l’arrivée d’un gros concurrent), y a aussi un peu contribué. Le franchisé a par ailleurs « cessé de participer aux réunions du réseau depuis mars 2014 ». Autre point : il a « réalisé d’énormes travaux pour mettre en conformité le local qu’il avait choisi ce qui a plombé son premier exercice ». Enfin, il n’a « jamais réclamé » une assistance qu’il n’aurait pas obtenue. Il n’y a donc, selon l’enseigne, ni vice du consentement, ni erreur sur la rentabilité. Et aucune raison de décider la nullité du contrat.

      Pour la cour, le franchiseur n’a pas accompagné sérieusement son partenaire

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceContrairement aux juges de première instance, les magistrats de la cour d’appel de Nîmes n’adoptent pas cette argumentation.

      Ils notent d’abord que le franchisé n’était pas « un homme d’affaires » du secteur, mais un simple salarié au chômage n’ayant « jamais dirigé la moindre entreprise ». En outre il « ignorait la réalité du marché local » et s’est « vu, de fait, imposer le choix de sa zone d’implantation avec beaucoup d’assurances et d’affirmations péremptoires » de la part du franchiseur.

      Certes, il s’est fait assister d’un expert-comptable, mais il est évident aux yeux des juges que celui-ci n’a pu travailler qu’à partir des éléments transmis par l’enseigne. Des documents prouvent, par ailleurs, que les prévisions ont fait l’objet de discussions et de modifications et que les montants finalement retenus n’ont pas été contestés par le franchiseur.

      Si le franchiseur n’a « pas volontairement induit » son partenaire en erreur, il « avait l’obligation contractuelle de l’assister dans l’élaboration de son plan prévisionnel », ce qu’il n’a pas fait.

      L’erreur commise sur la rentabilité entraîne la nullité du contrat assortie d’indemnités

      Pour les magistrats, « il y a une erreur sur la rentabilité résultant d’informations pré-contractuelles artificielles et sans véritable étude ou réflexion de la part du franchiseur. » Or, « la perspective raisonnable de rentabilité de l’opération est une composante essentielle du contrat de franchise ». Et les informations transmises par les franchiseurs sur l’état du marché local et ses perspectives de développement doivent être sincères et utiles, selon les termes même de la loi.

      En l’occurrence, les « chiffres flatteurs » annoncés ont été « déterminants du consentement » du franchisé « qui ne se serait pas engagé dans une telle entreprise s’il avait connu les réelles perspectives d’expansion de sa société, très inférieures aux prévisions », société « pour laquelle il s’est fortement endetté ».

      La cour réfute par ailleurs minutieusement toutes les accusations énoncées à l’encontre du franchisé, concluant au contraire à un défaut d’accompagnement du franchiseur. Ses fiches-visites « sommaires » ne pouvant, aux yeux des juges, suffire « en l’état de la gravité exceptionnelle de la situation ».

      Le contrat est donc « annulé pour erreur sur la rentabilité ». Le franchiseur est condamné à verser au liquidateur de la société franchisée près de 50 000 € en remboursement du droit d’entrée, du dépôt de garantie et des redevances versées. De même, il doit payer au franchisé personne physique 200 000 € à titre de préjudice personnel sur son patrimoine (correspondant à son investissement initial) et 5 000 € à titre de préjudice moral.

      La cour n’accorde pas en revanche au liquidateur la prise en charge du passif de 125 000 € ni au franchisé la récupération de ses apports de trésorerie à hauteur de 300 000 €. Motif (classique des décisions de justice dans ce type de litige) : le choix de poursuivre l’activité dans des conditions déficitaires a été une décision de gestion du franchisé lui-même et « ne peut être imputé » au franchiseur.  Le plaignant n’obtient pas non plus, pour la même raison, de compensation concernant les 80 000 € de salaires qu’il estime avoir perdus sur la période.

      Référence de la décision :

      Cour d’appel de Nîmes, 4e chambre commerciale, 23 janvier 2020, n° 18/00148

      A lire aussi sur le sujet :

      Le billet de Laura Attali dans la Lettre de la distribution de février 2020

      Un second contrat annulé pour erreur sur la rentabilité

      Finances Saving Economy concept. Female accountant or banker use

      Ce même 23 janvier 2020, la cour d’appel de Nîmes a également tranché un litige survenu entre le même franchiseur et un autre de ses franchisés.

      Dans ce second cas, la cour relève d’abord, comme dans le premier, que les franchisés (un couple cette fois) étaient « totalement novices », n’étant « en rien des professionnels du secteur » concerné.

      En outre, à partir des documents qui leur ont été transmis en termes de perspectives de chiffres d’affaires et de résultats, les magistrats pointent d’importantes contradictions entre les niveaux avancés et la réalité du réseau.

      Notamment, dans un document à en-tête de l’enseigne et intitulé « Business Plan (…) », il était question d’un CA de 285 000 € pour les trois derniers mois de 2012 et de 1 million d’euros pour l’année 2013, montant qui devait augmenter encore de 9 % en 2014 et 15 % en 2015.

      Des chiffres que le franchiseur a justifiés en expliquant que le CA moyen de son réseau pour un établissement de 1 000 m² dans une zone de 30 000 habitants était alors de 1 087 000 €.

      Or, relèvent les juges, selon les tableaux transmis par le réseau lui-même (dans le cadre de la procédure), concernant les chiffres d’affaires 2012 dans son réseau, 21 franchisés sur 36 avaient réalisé un CA inférieur à 900 000 €. Parmi eux, 12 étaient en-dessous de 700 000…

      La cour en déduit que « s’il n’est pas possible (d’affirmer) que les franchisés ont été trompés délibérément et volontairement, ils sont bien fondés à se prévaloir (…) à une erreur légitime sur la rentabilité de l’affaire. »

      « Cette erreur sur la rentabilité, ajoutent les juges, était déterminante du consentement (de ces franchisés) qui n’auraient jamais consenti de s’installer dans une région qu’ils ne connaissaient pas, avec la signature d’un bail commercial coûteux, s’ils n’avaient pas eu en perspective la manne financière escomptée. Il y a donc lieu (..) d’annuler le contrat de franchise pour vice du consentement (erreur sur la rentabilité). »

      Plus de 700 000 € à verser …

      Dans ce cas, le franchiseur est condamné à verser près de 50 000 € au liquidateur de la société franchisée (correspondant notamment au remboursement du droit d’entrée et des redevances acquittées). La cour lui impose en outre de payer 400 000 € au couple de franchisés en compensation du préjudice subi sur leur patrimoine personnel (apport personnel perdu + emprunt remboursé) et 10 000 € à titre de préjudice moral.

      Au total, à l’issue des deux décisions du 23 janvier (et de l’échec des négociations amiables qui l’ont suivi), le franchiseur se voit condamné à transférer plus de 700 000 € aux ex-franchisés et à leurs sociétés. Des montants qu’il espère sans doute voir annulés ou au moins réduits après une éventuelle décision de cassation en sa faveur. Mais qui, en attendant, eu égard à son chiffre d’affaires inférieur à 3 millions d’euros et aux fermetures des magasins sous enseigne imposées par la crise sanitaire, l’ont amené à réclamer au tribunal de commerce de placer sa société sous procédure de sauvegarde. Ce qui est effectif pour six mois depuis le 22 mai.

      Référence de la décision :

      Cour d’appel de Nîmes, 23 janvier 2020, n° 18/00147